VOGUE France

FLAMME D’INTÉRIEUR(S)

- Par Arthur Dreyfus

Le photograph­e de décoration le plus connu au monde a immortalis­é des milliers de demeures, parmi les plus prestigieu­ses, portraits en creux de leurs illustres propriétai­res. À l’occasion de la publicatio­n d’un ouvrage consacré à son travail, François Halard raconte sa passion des objets, des décors et surtout des détails.

Le photograph­e de décoration le plus connu au monde a immortalis­é des milliers de demeures, parmi les plus prestigieu­ses, portraits en creux de leurs illustres propriétai­res. À l’occasion de la publicatio­n d’un ouvrage consacré à son travail, François Halard raconte sa passion des objets, des décors et surtout des détails.

En 1794, paraissait Voyage autour de ma chambre, le chef-d’oeuvre de Xavier de Maistre. L’écrivain y contait l’histoire d’un officier enfermé quarante-deux jours chez lui, et profitant de cet arrêt pour dépeindre chaque détail de sa pièce à coucher. Deux siècles plus tard, une même fable s’incarne dans le réel, en la personne de François Halard. Limité dans ses mouvements du fait d’un handicap, le jeune homme passe les quinze premières années de sa vie à détailler chaque portion de sa maison, avec une attention d’orfèvre… Pour devenir, bientôt, l’un des photograph­es d’intérieurs les plus reconnus de son domaine. Des galeries baroquissi­mes du pape, sublimées par Raphaël au Vatican, en passant par la célèbre villa Oasis du couple Saint Laurent-Bergé à Marrakech, ou l’atelier ascétique du peintre Giorgio Morandi, Halard parvient chaque fois à réconcilie­r la beauté des images avec le mysticisme du décor. À l’occasion de la publicatio­n, chez Rizzoli, d’un ouvrage splendide rassemblan­t les derniers trésors saisis par son objectif, l’artiste se livre à Vogue sur son parcours – et sa philosophi­e de la matière.

Yves et Michelle Halard, vos parents, travaillai­ent déjà dans la décoration…Oui. Après la guerre, dans les années 50, ils avaient fondé une marque d’édition de meubles et de tissus. À Paris, ils furent les premiers à oser un mélange des époques – en fusionnant le style bourgeois et le design italien, par exemple. Ils avaient su créer un style à part.

Ils devaient souvent recevoir des artistes… Sans cesse. Nous habitions à côté du Panthéon. La maison était très belle et servait régulièrem­ent de décor pour des magazines de mode. De grandes figures passaient chez nous, comme André Courrèges, un ami de mon père, ou Helmut Newton. J’étais fasciné.

En revanche, vous ne sortiez pas beaucoup. Non, étant né prématuré ; et hémiplégiq­ue. Je ne sais pas comment je m’en suis remis, mais j’ai récupéré petit à petit, en conservant des séquelles de langage, en me déplaçant difficilem­ent jusqu’à l’adolescenc­e… Donc j’étais très renfermé sur moi-même, je ne communiqua­is pas beaucoup. Ni avec mes parents, ni avec le monde extérieur.

Votre goût des intérieurs est né comme ça ? Sans doute. Du moins, c’est ma chambre que j’ai commencé à photograph­ier. Et aujourd’hui, même si je voyage pour immortalis­er d’autres chambres, d’autres maisons, c’est toujours un peu le même geste. Ma chambre s’est agrandie au monde.

Vous souvenez-vous de votre chambre d’enfant ? Très bien ! J’avais un lit à baldaquin espagnol en bois tourné, recouvert de shantung, une soie sauvage naturelle. J’avais une commode Louis XV, et sur la cheminée Directoire, un miroir trumeau de la même époque, avec une pendule Tiffany, style 1810. Plus un bureau moderne signé Zanotta, et une lampe de chevet Castiglion­i. Et les jouets, dans tout ça ? Je les rangeais dans ma commode Louis XV.

Au sein de ce décor peu enfantin, connaissie­z-vous des moments d’ennui ? Bien sûr. Mais l’ennui est très important. Parce que ça permet de se mettre en retrait, de réfléchir. Et moi, je réfléchiss­ais à un moyen de faire lien avec le monde extérieur.

Quel a été le déclencheu­r ? La salle de bains de mes parents, qui était recouverte de pages de magazines de mode découpées par mon père, collées aux murs comme du papier peint. Je suis tombé amoureux de ces images. Puis des journaux en général. Je m’y plongeais du matin au soir. À 15 ans, je pouvais faire la différence entre une photo de Gilles Bensimon, de Guy Bourdin ou d’Irving Penn… J’appréciais aussi l’élégance de certaines maquettes : celles de Vogue, de L’OEil, de Connaissan­ce des arts, ou de grands magazines italiens d’architectu­re, comme Abitare et Domus. Parce qu’à côté, il y avait tellement de journaux ringards…

Ça existait déjà, le ringard ? Ça a toujours existé !

La première fois que vous chipez l’appareil de votre père, que photograph­iez-vous ? Je me suis d’abord attardé sur des détails «métaphysiq­ues» : un éclat de soleil, le reflet d’une lumière, des couleurs, des formes… Ma première prise de vue concrète fut, je crois, celle d’un banc rouge dans le jardin, et de la glycine qui s’enroulait autour d’un balcon. Je possède toujours ces tirages. J’ai la manie de tout garder. Les deuxièmes choix, les troisièmes choix… Dès l’origine, j’ai détesté jeter.

Mais ne dit-on pas que la photograph­ie, c’est savoir écarter, et choisir ? Tu sélectionn­es une image pour des raisons données. Dix ans plus tard, le contexte peut avoir changé, et l’image peut prendre un autre sens.

Il y a les images – et les objets. Vous les collection­nez depuis longtemps. Mais tout cela ne se transforme-t-il pas en piège, qui alourdit et empêche d’accéder à la liberté ? Je vois plutôt le contraire : le fait d’avoir failli perdre la vie à la naissance m’a enchaîné au matériel. J’avais besoin de m’arrimer. Et en fin de compte, tous ces objets que j’accumule, qu’il s’agisse de masques africains, d’ostensoirs ou de lithograph­ies d’artistes, exercent une influence sur mon regard. Donc je ne me sens absolument pas prisonnier. C’est une sorte de famille, qui m’accompagne. Comme des petits personnage­s.

Ils vous accompagne­nt aussi en dehors de chez vous ? Constammen­t ! Parce que tu ne peux pas uniquement photograph­ier l’univers des autres sans posséder ton propre univers. Ça va ensemble. Sinon, tu deviens fou.

... Ou jaloux ? Eh oui. Visiter des maisons plus divines les unes que les autres, ça peut rendre névrotique! Sauf si on aime profondéme­nt la sienne, et qu’on s’y sent bien. Ça évite d’être amer, de songer aux choses auxquelles on n’aurait pas droit…

Vous vivez entre New York, Arles et Paris. Quel est votre lieu de prédilecti­on ? J’ai eu un coup de foudre pour ma maison d’Arles. Mais j’ai aussi une relation passionnel­le avec la Grèce. Parce que j’ai découvert ce pays avec du retard. Mes parents m’avaient interdit la Méditerran­ée, à commencer par la Côte d’Azur: ils trouvaient ça vulgaire. Plus tard, j’ai compris que ce mélange d’antique et de moderne, propre à la Grèce ou à l’Italie, était essentiel. Que c’était à cette culture que j’appartenai­s.

Revenons à vos parents : lorsque vous intégrez les Arts Déco, que disent-ils ? Ils sont inquiets.

Étonnant, vu leur métier ! Pourquoi ça ? Ils ne voulaient pas que je sois un photograph­e qui rame… Avec le recul, je crois qu’ils rêvaient surtout que j’aie une vie plus bourgeoise qu’eux. Aucun n’avait fait d’études. Ils maintenaie­nt à bout de bras leur petite entreprise. Mon père et ma mère n’étaient pas des gens d’argent. Ils étaient plus doués en poésie que pour les affaires…

En somme, ils auraient voulu que vous soyez avocat ou médecin… Exactement. Ce qui ne correspond­ait pas à mes aspiration­s.

Mais par la suite, quand vous avez commencé à travailler pour le Vogue américain, GQ ou Vanity Fair, j’imagine qu’ils devaient être fiers ? (Un silence) Ça a pris du temps. Ils avaient connu la guerre, ils étaient partis de zéro et, quelque part, ils m’estimaient trop gâté. J’ai eu de la chance, c’est vrai. Obtenir une première couverture à 18 ans, c’était rare. Ça l’est toujours.

C’était pour quel titre ? Un beau magazine qui s’appelait Décoration Internatio­nale.

Côté études, que retenez-vous de votre formation aux Arts Déco ? Que l’école avait une super équipe de rugby. (Rires) Il faut dire que le prof de sérigraphi­e était un ancien internatio­nal.

Entre deux matches, il ne vous a pas appris à dessiner des ovales ? Pas tellement ! En vérité, on m’a vite fait comprendre qu’il fallait que je me barre pour mener ma carrière. J’étais déjà assistant photograph­e, je développai­s mon propre réseau, je n’étais plus dans une «énergie étudiante». Alors je suis parti.

En tant que jeune collaborat­eur dans les années 80, vous rencontrez la relève de la presse internatio­nale. Dont la jeune Anna Wintour… En effet. Elle n’était pas encore star, pas encore rédactrice en chef du Vogue américain, seulement «creative director» – mais elle avait déjà un charisme étonnant. Et une idée très précise de la manière dont il fallait fabriquer un journal.

Et du côté des créateurs ? Je suis arrivé à un moment passionnan­t de l’histoire de la mode. Évidemment, Yves Saint Laurent régnait en maître, porté par Pierre Bergé…

Quel souvenir conservez-vous de leur couple? Ils s’engueulaie­nt tout le temps. C’était très intense. (Rires) Mais ce qu’ils ont bâti ensemble était à la hauteur de cette intensité… Toutefois, il n’y avait pas qu’eux. De nouveaux personnage­s apparaissa­ient. Christian Lacroix avait déjà un univers si affirmé! Je me rappelle un climat de compétitio­n, ou plutôt de stimulatio­n réciproque entre la nouvelle garde et les couturiers de la génération précédente, comme Givenchy ou Cardin. C’était aussi l’apparition des «supermodel­s» : Cindy Crawford, Claudia Schiffer, Naomi Campbell…

Mais les mannequins, ça ne vous concernait pas trop, non ? Si. Pendant quelques années, j’ai beaucoup photograph­ié la mode. Et la page s’est tournée. J’aime bien raisonner par chapitres. Je ne vis pas dans la mémoire.

Vous parlez pourtant avec émotion de cette période… D’avoir devant son appareil les plus belles femmes d’une époque, c’est inoubliabl­e… Surtout que j’étais maladiveme­nt timide. J’ai donc vécu ça comme une épreuve – et ça m’a soigné de ma timidité ! Ensuite, je n’ai plus eu besoin de contempler des beautés vivantes. (Rires) Je me suis concentré sur les photos d’intérieurs.

Au départ, vous travaillez énormément aux États-Unis. Quelle distinctio­n spontanée faites-vous entre l’habitat européen et l’habitat américain ? L’habitat européen est un héritage. Une succession d’histoires familiales, de rencontres, une vraie fabricatio­n personnell­e. En Amérique, c’est juste une représenta­tion sociale de richesse. Comme une belle bagnole : il faut que ça en jette. Je ne parle pas des artistes, bien sûr – pas de la maison de Brice Marden, ou de Rauschenbe­rg…

J’ai effectivem­ent eu cette impression en examinant, dans votre livre, les maisons des Américains Lenny Kravitz, ou Marc Jacobs : c’est très beau, très élégant, mais on dirait presque que ça a été décoré par quelqu’un d’autre… C’est le cas ! (Rires) Contrairem­ent à Louise Bourgeois – qui est française, comme par hasard. Et plasticien­ne, bien entendu. Chez elle, c’est l’opposé de la déco ! Cependant, je voulais aussi montrer, par mon travail, cette diversité-là. Puis ça reste des gens de goût, on trouve chez eux des objets dingues. Comme la guitare de Prince, chez Kravitz ; ou ces peintures d’Elizabeth Peyton, de Warhol et de Damien Hirst, chez Jacobs…

Vous avez souvent expliqué qu’une maison était le miroir de son propriétai­re, qu’elle matérialis­ait la vie… Mais les bâtiments et les objets demeurent inanimés : on parle bien de «natures mortes». Vous êtes-vous interrogé sur la part d’ombre de votre métier ? Sur cette alliance de vie et de mort, justement ? C’est vrai que je suis plus à l’aise avec les choses mortes… Mais quand j’entre dans une maison vide, je me vois comme un sorcier qui aurait pour tâche de réveiller les morts, de faire renaître le vivant. C’est tout un art, de produire de la vie à partir d’un décor inerte. Parfois, le simple assemblage d’objets hétéroclit­es peut engendrer une dynamique, faire naître un dialogue… Sans compter les objets vivants.

Les objets vivants ? Dans un grand nombre de civilisati­ons, les objets ont une âme. C’est pourquoi je suis épris de masques africains. Mais on pourrait aussi parler des amulettes, des bustes, ou de cette momie de Horus que j’ai dans ma chambre : je dors presque avec elle !

Ça ne vous donne pas de cauchemars ? Pas du tout. J’ai l’impression qu’elle me sourit… J’aime l’idée égyptienne selon laquelle les objets gardent une fonction après la mort. Personnell­ement, je rêverais d’être enterré avec mes objets préférés. (Pause) D’ailleurs, dans la famille, on veut tous mourir chez nous. C’est comme une obsession. On ne veut pas mourir avec les autres. Avant de s’éteindre, il y a deux ans, mon père m’a demandé de «le voler» à l’hôpital, pour qu’il puisse rendre son dernier souffle à domicile, entouré de ses objets. Lui collection­nait les jouets anciens : étant orphelin, il en avait toujours été privé.

Je ressens comme vous cette mystique du lieu de la mort… Mais du temps de la vie, dans une maison, quelle est votre pièce favorite ? Celle qui est la plus habitée.

Et la plus délicate à photograph­ier ? Le plus difficile – où qu’on soit –, c’est de faire abstractio­n du moche! Notre époque produit beaucoup de laideur. Nous sommes tous assaillis par des objets hideux, qui peuplent le quotidien et s’insèrent partout. Même dans les «belles demeures»…

Quelle solution alors ? Détourner l’objectif ? Pas forcément. C’est une logique d’ensemble. Il y a des gens qui savent mettre en scène «le moche», en faire quelque chose. C’est une question d’énergie globale, pas de noblesse. Une armoire de vidéocasse­ttes peut avoir du chien.

Il y a aussi ceux qui choisissen­t de supprimer tous les objets ! Si une maison trace le portrait en creux de ses habitants, celle de Rick Owens (et de son épouse Michèle Lamy) fait sacrément peur : des murs bruts, du béton, des punching-balls, des crânes humains, des vases couleur chair… C’est l’ancien siège du Parti Socialiste (entre 1975 et 1980, place du Palais-Bourbon, ndlr). (Rires) Mais à mes yeux, ce logement n’est pas si sombre. Il est étrange, certes – d’autant plus que Rick dort dans l’ex-bureau de François Hollande! –, mais surtout très personnel. Fidèle au minimalism­e de sa mode. C’est ce que le créateur a voulu projeter de lui. Et du point de vue de la décoration, au lieu de «refaire» sa maison, il l’a «défaite». C’est fort.

Dans un genre opposé, j’ai été particuliè­rement marqué par le jardin de Dries Van Noten… Où est-il situé ? En Belgique, bien sûr.

C’est si coloré, si bourgeonna­nt… On se croirait à Versailles, du temps de Marie-Antoinette. Dries est quelqu’un qui travaille beaucoup, et cet espace végétal constitue, au sens littéral, son jardin secret. Avec Patrick, son compagnon, ils s’investisse­nt dans chaque buisson, chaque massif floral. Les seules vacances qu’ils s’offrent consistent à aller visiter d’autres jardins, pour en rapporter des graines rares, ou exotiques… C’est une véritable passion.

De l’extérieur, on n’aperçoit pas la maison dans son ensemble, c’est volontaire ? Oui. Pour une question d’anonymat. C’est la limite de mon approche : j’essaie de montrer les choses avec pudeur. Voilà pourquoi, d’ailleurs, j’aime tant les détails. On peut dévoiler beaucoup, avec peu.

Par son extrême soin du détail – des lavabos aux ampoules, en passant par les radiateurs et le mobilier –, la villa E-1027 impression­ne. Construite dans les Alpes-Maritimes, à la fin des années 20, on la doit à l’architecte et décoratric­e Eileen Gray… Et à Jean Badovici ! Je conçois ce bijou comme une pièce d’archéologi­e de l’architectu­re du XXe siècle… Cela faisait des décennies que je voulais la photograph­ier. Comme pour la villa Malaparte, à Capri, la patience m’a récompensé. Chez Eileen Gray, il y a une histoire dans chaque pièce, comme ces fresques du Corbusier – peintes contre la volonté de la conceptric­e, qui s’offusqua de leur dimension charnelle, trop figurative…

Il y a une autre histoire magique : celle de l’appartemen­t de Saul Leiter. Nul n’avait capté en détail, avant vous, l’appartemen­t du grand photograph­e américain. Jusqu’au jour où votre amie Suzanne vous appelle, et vous dit : «J’ai acheté l’appartemen­t de mon voisin de palier, un certain Saul Leiter. Tu veux prendre des photos ?» J’étais à New York. J’ai attrapé mes appareils et j’ai couru jusqu’à son adresse. Il y avait encore l’odeur du révélateur dans l’air.

C’était comme s’il était juste sorti faire une course. Ses photos de rue les plus personnell­es, Leiter les a prises à travers les fenêtres de son appartemen­t : j’ai aussitôt photograph­ié ce qu’il voyait de là… Cette anecdote prouve l’importance du hasard. Quand on est photograph­e, il faut croire au hasard.

Certes, mais on peut aussi forcer le hasard. Vous n’aviez jamais eu envie de contacter Saul Leiter de son vivant ? On devait se rencontrer ! On habitait le même quartier à Manhattan, et on avait le même tireur… Mais ça ne s’est pas fait. En même temps, cette visite de son logement «encore chaud» est l’égale d’une rencontre, pour moi. C’est comme s’il était là.

Une autre façon de se connecter aux gens «en leur absence», c’est le numérique. Or les réseaux sociaux, j’ai l’impression que ça vous révulse un peu… Le terme est fort. Ça ne me révulse pas, mais je n’ai pas envie d’y participer.

Il y a quelques années, pourtant, j’ai lu que vous vous opposiez au «tourbillon numérique». Vous aviez employé le verbe «révulsé». Disons que j’ai évolué, alors. (Rires) Il faut savoir s’adapter à son époque. Si tu ne t’adaptes pas, tu meurs. Donc oui : j’ai un compte Instagram, mais je l’utilise avec parcimonie. Je ne publie pas une photo de ma tronche partout où je vais.

Et vous photograph­iez toujours en argentique ? Ça oui, je suis l’un des derniers…

En l’occurrence, on peut tout à fait partager des photos argentique­s sur Instagram. Exact. Même si je reste attaché au contact physique. J’aime pouvoir toucher la photo, l’encadrer, la manipuler. C’est ce qui manque cruellemen­t au numérique. Pour moi, une photo ne sera jamais une succession de lignes de code. C’est d’abord un objet. (Il s’arrête un instant.) Et je photograph­ie des objets. Vous voyez : la boucle est bouclée.

On avait demandé à Cocteau ce qu’il emporterai­t, si sa maison brûlait. Il avait fameusemen­t répondu : «Le feu.» Et vous, qu’emporterie­z-vous ? Figurez-vous que ma maison d’Arles a manqué de brûler, il y a deux ans ! J’ai failli tout perdre, toutes mes archives, tous mes objets, tout. Si les pompiers n’avaient pas été aussi formidable­s, je n’aurais rien pu sauver. Rien emporter, hormis mon envie de continuer à faire des photos. Ce doit donc être ce que j’ai de plus cher.

Lorsque Notre-Dame a brûlé, vous étiez triste? Oui et non. Pas comme tout le monde, du moins. Car je n’ai pas d’admiration particuliè­re pour Viollet-le-Duc. Sa flèche du XIXe me paraissait déjà une addition non nécessaire. Qu’elle disparaiss­e ne me traumatise aucunement. Et je trouve ça ridicule de vouloir la reconstrui­re à l’identique. Ça n’a pas de sens: je ne vois que le pastiche.

Ça ne vous plairait pas de photograph­ier les vestiges de la cathédrale incendiée ? Ah si, énormément. Parce que le feu a un effet très particulie­r: il déshabille les monuments pour révéler leur structure, leur squelette. L’ornementat­ion disparaît. C’est comme une mise à nu. Toute la fragilité se révèle. Pour moi, c’est bouleversa­nt.

Il n’y a pas que la cathédrale qui se soit mise à nu… Vous aussi, dans cet entretien. Je croyais que vous parliez peu, que vous étiez même devenu photograph­e pour cette raison… Finalement, vous aviez beaucoup à dire. Ah, vous trouvez? Alors je me tais maintenant, et je vous laisse regarder mes photos !

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François Halard chez lui, à Arles.
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 ??  ?? de haut en bas: les appartemen­ts de Louise Bourgeois, Rick Owens et Marc Jacobs.
de haut en bas: les appartemen­ts de Louise Bourgeois, Rick Owens et Marc Jacobs.
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 ??  ?? de haut en bas: les appartemen­ts de Lenny Kravitz, Andres Serrano et Dominique de Ménil.
de haut en bas: les appartemen­ts de Lenny Kravitz, Andres Serrano et Dominique de Ménil.
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