VOGUE France

ELECTRO-CHOC

- Par Sophie Rosemont, portraits Juliette Abitbol

Aux manettes du somptueux «Rest» de Charlotte Gainsbourg, SebastiAn est de retour avec son second album solo : «Thirst», la sensation sonique de l’automne.

Aux manettes du somptueux «Rest» de Charlotte Gainsbourg, SebastiAn avait mis tout le monde à genoux. Le voilà de retour avec son second album solo. D’une puissance tant rythmique que mélodique, le «Thirst» du petit prince de l’électro française est la sensation sonique de l’automne.

L es rythmes martiaux de la techno, la souplesse du hip-hop, la chaleur du R’n’B et une identité pop affirmée malgré sa radicalité électroniq­ue : pas de doute, on est bien chez SebastiAn. Huit ans après la sortie de son premier album «Total», les retrouvail­les se savourent. Même si, malgré cette absence des bacs, le musicien français était resté présent… mais d’abord pour les autres. À son actif, la bande originale du film Le monde est à toi de Romain Gavras, celle des défilés de Saint Laurent, des collaborat­ions avec Philippe Katerine, Frank Ocean et, surtout, Charlotte Gainsbourg, dont il a produit le superbe «Rest» dont on ne s’est pas encore tout à fait remis. C’est de la richesse de ces rencontres qu’est né «Thirst». «Elles ont changé mon rapport à la création, explique-t-il. Frank Ocean m’a fait découvrir qu’il n’y avait pas de limite d’un point de vue technique et psychologi­que. Chez Charlotte, c’était plus intime, plus difficile aussi à cause du sujet de “Rest”, le deuil de sa soeur. Il a été sa catharsis.» On lui rapporte alors ce que nous a raconté Charlotte Gainsbourg sur leur première entrevue, où chacun s’était laissé dévorer par sa propre introversi­on. Il avait fallu du temps pour s’apprivoise­r. «Charlotte affiche sa timidité, commente SebastiAn. Moi, je la dissimule. En arrivant chez elle, j’en ai fait des caisses ! A posteriori, j’avais été touché par cette rencontre ratée, où j’avais insisté pour qu’elle chante en français alors que je n’étais pas en position de le faire.» Néanmoins conquise, Charlotte est revenue vers lui avec les textes profondéme­nt personnels de «Rest». On connaît le succès qui a suivi… Très logiquemen­t, elle intervient aujourd’hui sur «Thirst» avec le vénéneux Pleasant.

Ce n’est pas la seule puisque la majeure partie de l’album est habitée par des vocalistes de différents horizons : le soul man Mayer Hawthorne, le rappeur japonais Loota ou encore les Sparks, figures aussi décalées qu’iconiques de la pop américaine, sur un jouissif Handcuffed to a Parking Meter. Il s’agit ici d’un «plaisir de parvenir à une autre voix que la sienne, explique SebastiAn. Moi qui ai tendance à être seul, j’ai mis l’accent sur les rapports humains. Le coeur du disque est parti de là, en voyageant un peu partout, entre les États-Unis et le Japon, en travaillan­t avec tous ces artistes par qui j’ai connu d’autres personnes… “Thirst” est aussi un carnet de voyage.»

«Charlotte affiche sa timidité, moi, je la dıssimule. En arrivant chez elle, j’en ai fait des caisses !»

Lequel nous transporte dans les clubs occidentau­x comme dans l’urbanité slave – en témoigne le titre Beograd, clin d’oeil à ses origines serbes – et s’inscrit dans la volonté universali­ste de la French Touch dont est héritier SebastiAn.

C’est au milieu des années 2000 qu’il a fait ses premiers pas, signé par Pedro Winter au sein de son label Ed Banger. Très vite, il se produit en première partie de Daft Punk, sympathise avec Justice et devient le grand espoir de l’électro française. Sur scène, il ne fait aucun compromis avec le public, imposant sa maîtrise des machines et un langage sonore quasi politique. Avec son regard clair et sa mélancolie que l’on devine lancinante, son charme slave rappelle un certain Serge Gainsbourg. La rencontre avec Charlotte était inévitable! On se souvient alors d’une discussion quelques années plus tôt, où SebastiAn nous avait confié avoir, en dépit de ses apparences réservées, un tempéramen­t exalté. Est-ce encore le cas aujourd’hui, malgré la fameuse maturité de la trentaine, ce qui justifiera­it le titre de son nouveau disque? En effet, thirst signifie «soif» en anglais. «Ce disque évoque autant la soif au premier degré, celles d’années passées en club, que celle, plus générale, qu’on sent dans l’air du temps, explique-t-il. Celle de créer, aussi. Quand on a la chance de faire ce qu’on aime, elle est toujours forte malgré le temps qui file. C’est ce que j’ai pu vérifier en studio, face à des artistes à la longue carrière comme les Sparks ou Paul McCartney. Ils sont adorables, n’ont aucune preuve à faire, partagent leur envie.» D’où le besoin de SebastiAn de poursuivre des collaborat­ions qui lui permettent de nourrir son art. Une compilatio­n des bandes sonores composées pour Saint Laurent ne devrait d’ailleurs pas tarder à paraître. «À l’origine, je n’ai aucun rapport avec la mode. Si je suis toujours habillé en noir, c’est parce que c’est pratique !, s’amuse-t-il. Ce qui m’intéressai­t, c’était le processus : c’est très abstrait de faire de la musique sur mesure pour des vêtements sur mesure, et en moins de trois jours. Mais Anthony Vaccarello ne m’a rien imposé hormis les thèmes… Tout est explosif et abusif dans ce monde, donc il m’interroge.» On l’a compris, l’image a toute son importance dans le travail de SebastiAn. Sur la pochette de «Total», photograph­iée par Jean-Baptiste Mondino, le musicien embrassait son double. Loin d’un délire égotique, il s’agissait plutôt «d’un humour pincé dissimulé derrière l’esthétique», un reflet annonciate­ur du narcissism­e des réseaux sociaux. Pour «Thirst», le procédé est décliné en une scène de bagarre avec son alter ego : «Quand on s’aime trop, ça finit mal», résume-t-il.

En effet, il faut parfois sortir de soi pour se trouver réellement. Ne pas se laisser dévorer par ses démons. On les devine nombreux chez SebastiAn qui, pour composer, choisit de ne pas céder à son besoin d’analyse. En cela, il se rapproche de la méthode de Gaspar Noé, qui a réalisé le clip de Beograd : d’abord l’impulsion (voire la pulsion), puis la réflexion. D’où une musique qui fait danser tout en réveillant les parties les plus retirées de notre inconscien­t. Un peu dangereuse et follement séduisante: «Le cerveau, c’est l’ennemi de la compositio­n, qui doit fonctionne­r à l’instinct. Seule la technique doit être domptée. Le coeur, lui, reste sauvage.»

«Quand on a la chance de faire ce qu’on aime, l’envie est toujours forte malgré le temps qui file. C’est ce que j’ai pu vérifier en studio, face à des artistes à la longue carrıère comme les Sparks ou Paul McCartney. Ils sont adorables, n’ont aucune preuve à faire, partagent leur envie.»

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