VOGUE France

TOUTES GRIFFES DEHORS

Quelle fougue, quelle passion, quelle rage ! À 85 ans, Brigitte Bardot continue à défendre ceux qui ont donné un sens à sa vie : les animaux. Au-delà de ses prises de parole souvent critiquées, BB veut encore et toujours sauver le monde.

- Propos recueillis par Frédérique Verley

Au-delà de ses prises de parole et de position souvent critiquées, Brigitte Bardot se bat toujours, à 85 ans, pour sauver les animaux… et le monde.

Vous avez consacré plus de cinquante ans de votre vie à défendre tout ce qui vit, tout ce qui souffre. En êtes-vous étonnée ou est-ce un combat que vous vouliez mener enfant ?

Petite, j’essayais de sauver les souris que mon père assommait dans la cave à coups de râteau. Je tentais de les réanimer pour les remettre dans le jardin. Vous pensez bien qu’elles mouraient les unes après les autres, ce qui me désespérai­t totalement. J’avais déjà en moi, à l’époque, ce besoin de sauver les êtres en détresse. Mais sans vraiment le formuler.

Quel a été le déclic qui vous a poussée à tout lâcher pour vous consacrer à la cause animale ? Au-delà, bien sûr, du sauvetage de la petite chèvre que vous avez récupérée dans votre chambre d’hôtel, sur le tournage de votre dernier film.

Bien évidemment, je n’ai pas quitté le monde du cinéma uniquement à cause de cette petite chèvre, qui en valait la peine du reste. Il y avait plein d’éléments qui m’attiraient davantage vers la protection animale que vers le cinéma, depuis un bon moment déjà.

Justement, Alain Delon vous a écrit «Les animaux t’ont sauvée.

Tu leur as rendu la pareille.» En quoi vous ont-ils sauvée ?

De façon très littérale. Quand je faisais du cinéma, ma vie ne correspond­ait pas à l’absolu que je recherchai­s. J’ai même fait, à cette époque, plusieurs tentatives de suicide. Heureuseme­nt, j’ai survécu. En donnant ma vie aux animaux, ce sont eux qui m’ont sauvée. Ils ont donné un sens à mon existence, un sens tellement important qu’il n’a plus jamais été question par la suite de mettre fin à mes jours. Ils m’ont apporté la vérité, l’amour vrai. Dans n’importe quelle situation, ils sont présents. Vous les entendez, d’ailleurs, derrière moi ? Je vis avec 12 chiens, 20 chats, des chevaux, ânes, ponettes, cochons, chèvres, plein d’oies, des poules, des canards, une tortue, un perroquet. Tous en liberté bien sûr.

À presque 85 ans, vous travaillez toujours au quotidien pour votre fondation (créée en 1986). Quels sont vos combats aujourd’hui ? Effectivem­ent, tous les après-midi, je réponds à mon courrier, une centaine de lettres par jour. En ce moment même, il y a un conseil d’administra­tion qui se déroule à Paris. Dès que je raccroche avec vous, je les appelle. Je travaille tous les jours, que ce soit mon anniversai­re, Noël, le jour de l’an. Car les animaux ne peuvent pas attendre. Il y a encore tellement de combats que je veux mener. Si je dois en citer 3, je dirais 1) les abattages ou sacrifices rituels religieux, pendant lesquels les animaux agonisent lentement.

Ce qui était une dérogation au départ est devenu une habitude quotidienn­e. Alors que la loi française impose normalemen­t l’étourdisse­ment préalable. C’est un combat très dur, car cela touche à la religion et à la culture. 2) L’hippophagi­e, contre laquelle je me bats depuis quarante-cinq ans. Le cheval est un tel compagnon pour l’homme qu’on n’a pas le droit de le manger, pas plus qu’on a le droit de manger un chien. 3) Les expériment­ations animales, où les animaux sont torturés de façon diabolique sur de longues périodes. Et pour quels résultats?

Vous avez sauvé des millions d’animaux, votre fondation est devenue très puissante (avec plus de 75 000 membres donateurs). Elle aide à son tour de nombreux sanctuaire­s et associatio­ns de protection animale partout dans le monde. Quel est votre regard sur cette «carrière»-là ?

C’est plutôt un sacerdoce qu’une carrière, un don total de soi. Mon objectif aujourd’hui reste de sauver un maximum d’animaux de la mort ou de la maltraitan­ce. Je vais vous dire, je n’ai pas du tout, mais alors pas du tout l’impression d’avoir 85 ans. J’ai l’esprit d’une femme de 40 ans. Je conduis ma voiture. Je travaille avec beaucoup d’énergie. Je ne me rends même pas compte que le temps passe…

Quand on aime autant les animaux, comment supporte-t-on de vivre sur une planète qui les maltraite à ce point ? Vous avez été témoin de scènes horribles…

Je n’ai pas eu le choix. J’ai bien été obligée de les accepter, puisque c’est mon quotidien. Et qu’il faut bien une voix pour les défendre. À ce titre, je suis furieuse contre le gouverneme­nt. Ils ne m’ont rien accordé. Rien. Alors que les chasseurs, eux, ont eu plein d’avantages, ne serait-ce que la baisse du coût du permis de chasse et la prolongati­on des périodes de chasse, contraire aux lois européenne­s. La France est même mise en examen à ce sujet. Ça me fait mal au coeur et ça me donne envie de hurler !

Auriez-vous des pistes pour développer l’empathie et la compassion pour le monde animal chez l’être humain ?

Malheureus­ement, c’est compliqué, si on n’a pas déjà en soi un respect pour le monde animal, et pour la vie tout court. Alors, la première chose serait évidemment de ne plus manger de viande. Je suis devenue végétarien­ne il y a quarante ans, juste après avoir vu mes premières photos d’abattoir. Des photos qui n’étaient pas visibles par le grand public à l’époque. Or aujourd’hui, les gens savent, grâce notamment aux images de l’associatio­n L214.

Si ceux qui ont vu ces images insupporta­bles continuent à manger de la viande, alors qu’ont-ils d’humain ?

Le véganisme progresse à grands pas. Pensez-vous que ce soit une mode ou au contraire une démarche inéluctabl­e ?

Ce n’est pas une mode. C’est la prise de conscience d’une souffrance animale abominable et quotidienn­e. Vous savez combien on tue d’animaux chaque jour en France pour les manger ? 3 millions. Est-ce que vous vous rendez compte de ce que cela représente comme effroi, comme souffrance ?

Justement, que répondez-vous à ceux qui disent que manger des animaux est dans l’ordre des choses ? Que dans la nature, même chez les animaux, les plus forts mangent les plus faibles ?

Si chacun de nous allait tuer l’animal qu’il compte manger le soirmême, cela augmentera­it sûrement le nombre de végétarien­s. Les animaux ne seraient pas tués à la chaîne, dans des conditions de stress et de douleur horribles. Dans la nature, les carnivores tuent leur proie uniquement pour survivre…

On sait que manger moins de viande (les élevages étant source de déforestat­ion et grands consommate­urs d’eau) est l’une des clés de la sauvegarde de notre planète. Qu’en pensez-vous ? Évidemment, c’est capital pour l’environnem­ent. Mais qui veut vraiment participer au sauvetage de la planète ? Dans l’idée oui, mais pas si l’effort est quotidien.

Un sociologue optimiste, Stéphane Hugon, disait, il y a peu, que tous les signes montrent que l’homme allait cesser de se prendre pour l’espèce dominante sur Terre et apprendre enfin à vivre en harmonie avec les autres espèces et la nature. Y croyez-vous ?

Je pense que dans quelque temps, il va bien être obligé de le faire. Pour sa survie. J’ai lu pas mal de choses et certains spécialist­es estiment qu’il y a 7 milliards d’êtres humains en trop sur cette planète pour qu’elle fonctionne correcteme­nt. C’est dire.

Vogue Paris se positionne contre la fourrure dans la mode. De nombreux créateurs ont d’ailleurs supprimé la fourrure et les peaux exotiques de leur collection. Est-ce pour vous une avancée significat­ive ? Je vais vous dire, la fourrure ne devrait plus exister depuis longtemps. Les animaux sont élevés dans des cages, les uns sur les autres, et sont abattus de façon atroce. Alors qu’il existe des fausses fourrures magnifique­s. Donc si des journaux influents et des personnes intelligen­tes se positionne­nt contre la fourrure, je trouve ça formidable. Il faut toujours être le premier à montrer l’exemple, toujours.

Il existe déjà une fashion week végane à Los Angeles. Aimeriez-vous que cette initiative se généralise ?

À mon avis c’est le début d’un mouvement qui, je l’espère, va perdurer. Je crois que ce qui peut apparaître comme un effet de mode va se renforcer dans les années à venir.

Vous qui avez commencé votre combat public pour la cause animale en 1962 (en militant pour le pistolet d’abattage indolore obligatoir­e dans les abattoirs), trouvez-vous que l’on s’occupe davantage du bienêtre animal qu’autrefois ?

Au contraire, je trouve que c’est bien pire aujourd’hui. À l’époque, il n’y avait pas d’élevages intensifs, d’usines aux 1 000 vaches, d’abattoirs géants. Le massacre des animaux s’est industrial­isé, alors qu’à l’époque il était encore artisanal. En plus, avec les échanges internatio­naux, les transports d’animaux vivants d’un pays à l’autre se sont multipliés et c’est une souffrance supplément­aire pour eux.

Les réseaux sociaux en revanche sont une formidable caisse de résonance pour défendre la cause animale. Y voyez-vous un progrès ?

Ce qui est formidable avec les réseaux sociaux, c’est que tout se voit, que tout se sait. Alors certes, on peut voir des horreurs. Mais on voit aussi le bon coeur et l’empathie des gens qui dénoncent de tels actes et se révoltent, via des pétitions par exemple. Et ça, c’est une des choses qui me font le plus plaisir. C’est peut-être grâce à eux finalement que je vais pouvoir obtenir des avancées significat­ives. Ce sont ces gens-là, les amoureux des animaux, les gens qui ont du coeur, qui ont la force et la puissance de faire bouger les choses. Moi toute seule, je n’ai pas ce poids face à un gouverneme­nt, vous comprenez ?

Votre dernière prise de position concerne la situation des animaux à La Réunion. Espérez-vous encore obtenir un changement de la situation sur place ?

Depuis vingt-quatre ans, je dénonce les appâts vivants, les empoisonne­ments, les animaux brûlés vifs, les chiens et chats écrasés volontaire­ment sur cette île pour établir des scores macabres. J’ai vu trois ministres pour faire cesser ces atrocités et rien ne s’est passé. Alors oui, j’ai eu des mots très durs récemment à l’encontre des Réunionnai­s et je suis traînée devant les tribunaux pour ça. Mais je peux vous garantir qu’il va y avoir un tel scandale (national et internatio­nal) avec cette histoire que les gens vont enfin se rendre compte de ce qui se passe sur cette île, qui est un départemen­t français, rappelons-le. Cela va donner une image extrêmemen­t négative de la Réunion et mettre un frein au tourisme si rien ne change sur place.

Vous ne baissez jamais les bras en somme ?

Jamais. Quand je dresse le bilan, je me dis que je n’en ai pas fait assez. Je vais donc continuer, encore et encore. Alors, bien sûr, on ne peut pas tous les sauver, mais sauver une vie de plus, c’est toujours ce qui compte au final.

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Mars 1977, Brigitte Bardot incarne et médiatise la lutte contre la chasse aux bébés phoques.
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