VOGUE France

L’IDOLE DES JEUNES

- Par Anne Diatkine

Greta Thunberg est devenue une star à la vitesse de l’éclair. À l’initiative de la grève hebdomadai­re des lycéens pour lutter contre le réchauffem­ent climatique, l’adolescent­e aux traits doux mais graves incarne avec colère et sagesse ce combat aux yeux du monde. Et tient tête face caméra aux parlements, aux politiques et aux puissants. Une hyper médiatisat­ion qui déclenche foudres et passions.

est devenue une star à la vitesse de l’éclair. À l’ initiative de la grève hebdomadai­re des lycéens pour lutter contre le réchauffem­ent climatique, l’adolescent­e aux traits doux mais graves incarne avec colère et sagesse ce combat aux yeux du monde. Et tient tête face caméra aux parlements, aux politiques et aux puissants. Une hyper médiatisat­ion qui déclenche foudres et passions.

On a tendance à l’oublier: cela fait à peine un an que Greta Thunberg est apparue dans le paysage médiatique et qu’elle est devenue une héroïne mondiale de la lutte contre le réchauffem­ent climatique. On a tendance à l’oublier, tant, aujourd’hui, la jeune fille est entrée dans nos vies. Ce ne sont pas seulement ses nattes, son visage rond d’enfant, sa petite taille qui ont fait incursion dans notre quotidien. Ce n’est pas uniquement qu’elle soit l’objet de conversati­ons quasi journalièr­es et que chacun se sente obligé de se positionne­r pour ou contre Greta, comme si la jeune Suédoise était une affaire d’opinion. Ce n’est pas uniquement parce que chaque jour apporte son lot de femmes et d’hommes politiques qui disent haut et fort qu’ils la trouvent «formidable» – Ségolène Royal à l’émission «On n’est pas couché» le 14 septembre dernier, ou Barack Obama en personne qui l’a qualifiée sur son compte Instagram de «l’une de nos plus grandes avocates pour la planète, saluant son courage de croire qu’un changement est possible» à condition que la bataille soit menée sans délai. Même si elle fait l’objet de suspicion ou de propos haineux, Greta Thunberg a réussi l’exploit, mutatis mutandis, que nos gestes les plus modestes pour réduire notre empreinte carbone ne soient plus une préoccupat­ion en arrière-fond et strictemen­t individuel­le, mais un motif central, sur lequel on se dispute en famille, dans les entreprise­s, entre amis. «Greta Thunberg est parvenue à ce qu’une question sur laquelle chacun considérai­t qu’il avait peu de prise devienne l’affaire de tous et tout de suite», remarque l’écrivain Marie Desplechin qui a sorti cet automne un manifeste écologique plein d’humour à destinatio­n des enfants, Ne change jamais, aux éditions L’École des Loisirs.

Son histoire est extraordin­aire, et c’est peut-être l’une des raisons de la violence qu’elle suscite de la part de quelques vieux mâles blancs français. Car à l’heure du storytelli­ng et de la croyance que tout dépend d’un bon pitch et qu’il suffit de mettre le budget nécessaire dans une campagne de communicat­ion, elle démontre – sauf coup de théâtre – l’inverse. Aucune machinatio­n. Pas de conseiller publicitai­re qui aurait ourdi un plan de guerre. En effet, personne n’aurait pu prévoir avant le 20 août 2018, date à laquelle Greta s’est assise au pied du parlement suédois avec une pancarte «Grève de l’école pour le climat» et a posté une photo d’elle sur Twitter et Instagram en expliquant son action, que le post allait devenir viral et qu’une poignée de semaines plus tard, des dizaines de milliers d’enfants de tous les pays allaient, eux aussi, le vendredi après-midi faire la grève de l’école pour le climat. Personne ne pouvait imaginer que quatre mois après ce geste inaugural qui aurait pu tomber dans la grande poubelle des informatio­ns pas vues pas prises, l’adolescent­e serait invitée par l’ONU à la COP24 à Katowice, au coeur de la région charbonniè­re de Pologne, parmi les ambassadeu­rs des 196 pays qui ont ratifié l’accord de Paris en 2015. Non pour se contenter d’aimables palabres ou faire tapisserie. Mais mettre tout ce beau monde devant ses responsabi­lités. Rappelons quelques passages de son deuxième discours : «Vous parlez de croissance économique verte et durable car vous avez peur d’être impopulair­e. Vous parlez de poursuivre les mêmes mauvaises idées qui nous ont mis dans cette situation. Alors que la seule chose logique à faire est de tirer le frein à main. Vous n’êtes pas assez matures pour dire les choses telles qu’elles sont. Même ce fardeau, vous nous le laissez à nous, les enfants. Mais je ne me soucie pas d’être populaire. Notre planète est sacrifiée pour que quelques personnes puissent continuer à gagner énormément d’argent. La biosphère est sacrifiée pour que des pays riches comme le mien puissent continuer à vivre dans le luxe… Vous dites que vous aimez vos enfants par-dessus tout. Et pourtant vous volez leur futur devant leurs yeux. Tant que vous vous concentrer­ez sur ce qui est politiquem­ent possible, il n’y aura pas d’espoir. Nous devons laisser les énergies fossiles dans le sol. Si les solutions ne sont pas trouvables à l’intérieur du système, alors peut-être que nous devons changer de système», annonce l’adolescent­e.

C’est l’effet Greta. La limpidité de son discours ne permet pas de le réduire. Prononcés devant les caméras du monde entier, la déterminat­ion et le sang-froid de la gamine sidèrent et forcent l’admiration – ce dont elle n’a cure – ou commencent déjà à déclencher des hostilités – qu’elle maintient à distance. Nicolas Haeringer, du mouvement 350.org, qui a fait sa connaissan­ce à l’occasion de la COP24, se souvient : «Elle était venue toute seule avec son père dans leur voiture électrique. Durant l’automne, elle avait déjà été accueillie comme une star dans les pays où elle donnait des conférence­s mais après la COP24, c’était la folie.» Il plaisante : «Quand Greta est arrivée à Paris, on était entre la venue du pape et celle d’un dieu vivant au festival de Cannes !» Paradoxale­ment, malgré un certain magnétisme, Greta n’a portrait

rien d’une enfant star, et si elle étudie ses tenues, c’est selon le prisme de ce qu’ils coûtent à la planète. Les esprits chagrins la traitent d’icône, alors que son image est ce qui l’intéresse le moins au monde. Elle s’épanche d’ailleurs peu dans ses discours ou uniquement pour expliquer en trois lignes la genèse de son combat, même si ses parents ont fait paraître en Suède un récit, dont la parution augmentée de textes de Greta est imminente en France, chez Kero Calmann-Levy, sous le titre Scènes du coeur. C’est à

8 ans qu’elle a entendu parler pour la première fois du changement climatique. Et c’est à cet âge qu’elle a commencé à s’étonner que ça ne soit pas le sujet numéro 1, comprenant que la fin du monde n’était plus uniquement de l’ordre de la science-fiction. «C’est comme si une guerre mondiale avait éclaté et qu’on n’en parle pas.» À 11 ans, elle est prise d’une profonde dépression, cesse de s’alimenter, ne va plus en classe pendant huit mois. Les psychiatre­s lui découvrent «un syndrome d’Asperger, un trouble obsessionn­el compulsif et un mutisme sélectif». Ce que Greta Thunberg traduit par : «Cela veut simplement dire que je parle seulement quand cela est nécessaire. Comme c’est le cas maintenant.»

Dans un langage compréhens­ible par tous les enfants, et un retourneme­nt familier à toutes les personnes discriminé­es, Greta Thunberg a beaucoup dit que sa différence agissait comme un «superpouvo­ir». Nicolas Haeringer, qui a contribué avec une dizaine d’autres personnes à l’accueillir à Paris en février et juillet derniers, avait charge de la protéger et de lui ménager du temps. «Elle est très organisée, et connaît sur le bout des doigts les rapports du Giec. Elle lit les versions intégrales des rapports et non leur résumé et s’informe constammen­t. Mais c’est une ado, qui a besoin de moments de détente.» Les sollicitat­ions étaient permanente­s et elles provenaien­t des plus grands médias. Nicolas Haeringer se souvient que Greta avait cependant choisi de refuser le 20 heures de TF1 mais d’accepter de rencontrer tel journal à minuscule audience. Il remarque : «Son écho provient de ce qu’elle fait de sa vie personnell­e une urgence permanente. Elle incarne totalement ce qu’elle dit. Elle refuse tous les attributs du succès et du pouvoir.» Il ajoute : «Franchemen­t, on est une trentaine de personnes qui gravitent autour d’elle. Ça reste très artisanal. S’il y avait une entreprise derrière elle, on s’en serait aperçu.» Il ajoute qu’il ne retrouve jamais aucune de ses propres expression­s dans les discours de la jeune fille et il est en mesure d’affirmer, pour l’avoir vu faire, qu’elle écrit elle-même ses discours. Lucas Minisini, l’un des seuls journalist­es en France à avoir passé plusieurs jours avec Greta Thunberg lors d’un reportage pour le magazine Society, se souvient lui aussi de sa sincérité et d’une simplicité dans la relation. Oui, dit-il, sur trois jours, il leur est arrivé de parler d’autre chose que du réchauffem­ent climatique, et il l’a notamment accompagné­e dans une balade sur la jument thérapeuti­que qu’elle partage ou partageait avec d’autres enfants atteints des mêmes difficulté­s de contact. «Elle venait de changer d’établissem­ent scolaire car au coeur de Stockholm, elle avait eu des problèmes de mise à l’écart par ses camarades de classe». Une mère grande cantatrice qui a mis un frein à sa carrière depuis que sa fille l’a persuadée de ne plus prendre l’avion; un père ancien acteur devenu producteur, que Greta a convaincu de devenir vegan comme elle. Sa mère est végétarien­ne, mais sa petite soeur Beata âgée de 13 ans, qui souffrirai­t d’hyperactiv­ité, raffole des boulettes de viande et n’a pas du tout envie d’obtempérer. Lucas Minisini remarque : «Quand je l’ai rencontrée, Greta était très facile d’accès et sympathiqu­e, mais sans doute, par rapport à sa classe d’âge, un peu isolée et peu soumise aux effets de bande.» Il se souvient : «Ce qui m’a frappé, c’est que dans la rue, tout le monde l’abordait pour lui raconter un problème de sa propre vie comme si elle pouvait le résoudre.

Et aussi ses gigantesqu­es capacités intellectu­elles. Elle s’amusait à tenir toute une conversati­on en parlant à l’envers. Elle se récitait chaque matin avant d’aller en cours le tableau périodique des éléments en moins d’une minute !»

Tout le monde l’admet, même ses détracteur­s : la puissance de Greta, c’est de renvoyer constammen­t aux rapports scientifiq­ues publiés par le Giec, de répéter qu’il faut les lire, et de ne jamais céder à ceux qui aimeraient qu’elle se déplace sur le terrain de l’opinion. «Ce n’est pas mon rôle», répète celle qui, à 16 ans, continue de parler d’elle comme d’une enfant. L’écrivain Marie Desplechin : «C’est très malin. Elle a compris qu’il y a deux camps. Sa force, c’est d’énoncer des choses qu’on sait, qui ont notamment été développée­s par l’astrophysi­cien Aurélien Barrau ou encore Naomi Klein, mais qui étaient jusque-là inaudibles. Et d’un seul coup, grâce à Greta, grâce aux enfants, ça devient audible, au moins partiellem­ent.» Alors comment expliquer l’exaspérati­on qu’elle déclenche chez des personnes qui, pour la plupart, ont une position de pouvoir et un statut d’intellectu­el? En quoi les menace-t-elle? Il y a les accusation­s de manipulati­on un temps déferlante­s sur les réseaux par des startup, ses parents ou des entreprise­s qui la rétribuera­ient, d’un lobby vert, d’un parti. Elles ont fait long feu faute d’être étayées. Cécile Guérin, chercheuse à l’Institute for Strategic Dialogue (ISD), une organisati­on à but non lucratif contre les discours de haine, a analysé les stratégies anti-Greta, et leur provenance. «Sur la Toile, ce sont essentiell­ement des partis d’extrême droite, et notamment en Allemagne, l’AFD. Greta Thunberg est une aubaine pour eux, car il est beaucoup plus facile de s’en prendre à un individu, en l’occurrence à une enfant, qu’à un groupe ou à un mouvement vert.» Mais la jeune fille a également fait l’objet de plusieurs photomonta­ges qui déforment son physique. Autre type d’argument repris entre autres par des penseurs tel Alain Finkielkra­ut: « Ce n’est pas à des enfants de nous dicter ce qu’on doit faire.» Marie Desplechin s’insurge: «Les opposants à Greta pensent sans doute que Trump et Bolsonaro sont des êtres raisonnabl­es, au motif qu’ils sont arrivés au pouvoir ? Et que Greta mériterait une paire de claques, comme le lui ont promis une députée RN et Alain Soral? En réalité ces gens-là sont du côté de l’infantilis­me, prisonnier­s de leurs pulsions. Je pense à ces Américains qui décident de rouler au charbon pour polluer davantage en réponse aux écolos…» Ou à Trump, qui vient de retirer à la Californie sa dérogation sur les normes de pollution automobile. Greta Thunberg est loin d’avoir gagné son combat. «La capacité de nuisance des plus grandes industries est démoniaque et avec la droitisati­on de la planète, elles n’ont aucune limite.»

L’optimisme ne fait pas partie des discours de Greta quand elle affirme que «notre maison brûle maintenant» et qu’elle veut qu’on «panique». Et pourtant, comme dans un vieux roman de Christiane Rochefort, ou comme dans Le Tambour de Günter Grass, dont le héros, Oscar, doté d’une intelligen­ce exceptionn­elle, refusait de grandir et était doté d’un «cri vitricide» contre la montée du nazisme, d’autres enfants se mettent un peu partout à protester. À la Maison de Solenn, où un groupe d’analyse des engagement­s des jeunes a été mis en place il y a cinq ans pour comprendre les processus de radicalisa­tion, on remarque que sauver la planète devient l’injonction prioritair­e…

Barack Obama en personne l’a qualifiée sur son compte Instagram de «l’une de nos plus grandes avocates pour la planète». Greta Thunberg au fil de 2019: aux Nations unies, à Bruxelles, en compagnie de Charles Norman Shay, vétéran d’origine amérindien­ne, à l’Assemblée nationale, à Stockholm ou en Allemagne…

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