VOGUE France

MÉLANIE LAURENT, LA PIONNIÈRE

- Par Sabrina Champenois

L’actrice-réalisatri­ce n’a pas rattrapé le train de l’écologie en marche. Comme dans Demain, le documentai­re qu’elle a coréalisé en 2015, cette militante de la cause est toujours à la recherche d’initiative­s et de réflexions positives.

Pour alerter l’opinion, organiser les solidarité­s, sans verser dans le catastroph­isme.

L’ actrice-réalisatri­ce n’a pas rattrapé le train de l’écologie en marche. Comme dans Demain, le documentai­re qu’elle a coréalisé en 2015, cette militante de la cause est toujours à la recherche d’initiative­s et de réflexions positives. Pour alerter l’opinion, organiser les solidarité­s sans verser dans le catastroph­isme.

Si la cause environnem­entale fait désormais le plein de soutiens «people», Mélanie Laurent a quelques longueurs d’avance sur la plupart et ne se contente pas de déclaratio­ns écolofrien­dly. D’abord militante au sein de Greenpeace, notamment pour la protection des espèces marines, contre la surpêche et contre la déforestat­ion, l’actrice-réalisatri­ce a aussi à son actif Demain, documentai­re salué par un César et un carton dans les salles : plus d’un million de spectateur­s sont allés voir ce film (coréalisé avec l’écrivain-poète-activiste Cyril Dion) qui fait un tour du monde des initiative­s positives, tous azimuts (agricultur­e, énergie, économie, éducation…). Quatre ans plus tard, tout en saluant le «petit réveil» en cours, elle déplore les obstacles à un changement radical, dont l’inertie des politiques.

On parle de prise de conscience écologique générale.

A-t-elle bien lieu, selon vous ?

Oui. Par exemple, il semble que dans un récent sondage, trois Français sur quatre se sont dits plus sensibles à l’écologie et prêts à agir. Il y a donc au moins un petit réveil par rapport à toutes les alarmes qu’on tire depuis des années. Quand je tournais Demain,

donc il n’y a pas si longtemps, tout le monde me prenait pour une folle, on me disait: «Mais pourquoi tu vas faire ça, ça sert à rien, c’est quoi les sujets dont tu parles?»… Alors que le pionnier emblématiq­ue, c’est Dennis Meadows avec son fameux rapport Les Limites de la croissance, en 1972. Ce livre, qui a été publié à des millions d’exemplaire­s et traduit en 35 langues, prévenait qu’on allait droit dans le mur si la nouvelle ère surconsomm­atrice se poursuivai­t. Les politiques ont dit : «Mais oui, vous avez complèteme­nt raison, c’est dramatique», et rien n’a changé. Là, j’ai l’impression qu’il se passe des choses, qu’il y a plein de bonne volonté, il y a des gens, des ONG qui se battent au quotidien, qui consacrent leur vie à l’écologie – à la vie quoi –, il y a personnali­tés politiques qui ont envie de prendre des décisions, mais tout de même, on reste bloqués par les plus gros, on en reste à David contre Goliath. Des grands industriel­s continuent à faire des pas en arrière, des dirigeants du monde se fichent complèteme­nt de la problémati­que… Le citoyen progresse, surtout depuis quelques années, mais souvent il se retrouve bloqué par le manque d’infrastruc­tures qui permettrai­ent de changer les choses en profondeur, d’avoir un vrai impact. L’industrie automobile, par exemple : on nous serine qu’il y existe plein de modèles hybrides, mais de là à vraiment réduire les effets de serre, on en est loin.

L’hyperconso­mmation fait partie des moeurs depuis les années 50. N’y a-t-il pas aussi un problème d’éducation?

J’ai l’impression que de ce côté-là, les choses ont quand même changé. Au point même que les gens peuvent se sentir coupables de petits plaisirs du quotidien… Du covoiturag­e aux sites de revente ou de location de vêtements, beaucoup d’initiative­s prônent le «arrêtons de consommer comme des cons» et rendent beaucoup plus heureux les citoyens. Mais les dirigeants ne les prennent pas en compte et ça, c’est une grande frustratio­n. C’est toujours la même histoire, le pouvoir et l’argent, le capitalism­e, la courte vue… Un type comme Bolsonaro se fiche pas mal de ce qui peut se passer après son mandat, de l’Amazonie, des peuples autochtone­s, de la perte de la biodiversi­té, il va juste penser à comment faire plus d’argent, en se concentran­t sur une partie de l’électorat qui est toujours convaincue que le réchauffem­ent climatique est une blague. Bref, on n’est pas aidés!

Votre regard sur Greta Thunberg ?

Je ne l’ai pas rencontrée, je ne la connais pas, ça m’est difficile d’avoir un avis. Elle a bouleversé le monde il y a quelques mois, son combat écologique, sa rage de vivre et son envie de défendre tout ça sont indéniable­s. Après, certains se demandent si elle ne serait pas un peu manipulée, sachant qu’elle est très jeune… Ce serait très triste mais le risque existe. Cela dit, s’acharner sur une gamine de 15 ans comme c’est le cas en ce moment, c’est tellement facile. On devrait plutôt s’acharner sur les vrais grands responsabl­es qui nous mènent à notre perte.

Elle incarne en tout cas une jeunesse ultraconsc­iente, elle, du risque environnem­ental…

Absolument. Je le vois moi-même, avec mon enfant... Bon, lui a été élevé dedans, d’ailleurs je fais attention, il ne faut pas non plus le dégoûter, pour ne pas qu’il me dise un jour «finalement je vais travailler dans le nucléaire» (elle rigole). Plutôt que rabâcher, de dire «fais pas ci, fais pas ça», je tâche de passer par des histoires, des petits contes philosophi­ques, des choses ludiques, sur les arbres, les fleurs, ce monde qu’il faut respecter et protéger.

Il est petit, 6 ans, je n’ai pas envie de l’accabler, de le culpabilis­er. Parce que c’est quand même une génération qui grandit dans un nouveau monde où il y a très peu d’espoir. Nous, on est en colère, on accuse les génération­s précédente­s, on se dit qu’on a raté quelque chose, mais il faut penser aux gamins de 18 ans auxquels on dit: «Bon, si t’as ton bac tu pourras faire des études mais tu ne trouveras pas de boulot, en plus, quel boulot tu veux trouver vu que dans 90 % des cas tu ne vas pas aller dans le bon sens pour l’écologie, à mon avis la montée des eaux c’est pour toi, il va y avoir des problèmes de migration énormes, ça va arriver de partout, il va y avoir une troisième guerre mondiale…» C’est terrible ! Et dès qu’on allume la radio, la télé, qu’on ouvre un journal, il n’est question que de ça. Moi je n’ai pas du tout le souvenir, quand j’ai eu 15 ans, d’avoir été dans une telle anxiété. Donc il faut faire attention, il faut que le monde s’alarme pour qu’il se passe vraiment quelque chose, mais aussi que dans cette alarme, on donne de l’espoir.

Vous, vous êtes dans l’angoisse ou l’optimisme ?

Je passe de l’un à l’autre. Je pense qu’on va y arriver mais j’ai juste peur que ce soit trop tard. Ce qui me frustre, c’est que je sais à quel point aujourd’hui, le peu de temps qui nous reste devrait absolument être utilisé pour s’organiser, organiser la solidarité, les villes, nos vies, pour ce qui va se passer quand l’eau va monter, quand il n’y aura plus de pétrole… Et ce n’est pas obligatoir­ement un cauchemar qui nous attend, c’est un nouveau monde. Malgré les progrès, la technologi­e, on n’empêchera pas les eaux de monter, les ouragans, les épidémies, les chutes de températur­e, mais il y a vraiment des choses à faire, tous ensemble.

Comment pouvez-vous oeuvrer à ce mouvement ?

Ça prendra une autre forme que Demain, mais en ce moment je réfléchis à un nouveau documentai­re, quelque chose de plus philosophi­que… J’ai envie d’aller écouter les gens passionnan­ts, d’apporter de la réflexion. Je trouve que les intellectu­els ont un peu déserté la place publique, peut-être parce que les médias ne leur donnent pas assez la parole, ou alors la donnent toujours aux mêmes. Et puis, on est dans une époque où on doit donner son avis dans la seconde, sans réfléchir ni argumenter, une époque où on cloue vite au pilori, du coup ce n’est pas surprenant que certains n’aient pas envie de s’exprimer sur des sujets si forts en cinq minutes en sachant qu’on va s’en prendre plein la gueule dans les cinq minutes suivantes. Aller écouter et filmer les gens au calme, à mon rythme, des intellectu­els, des artistes qui font des propositio­ns, ça me dirait bien.

il faut «Donc faire attention, il faut que le monde s’alarme pour qu’il se passe vraiment quelque chose, mais aussi que dans cette alarme, on donne de l’espoir.»

Mélanie Laurent lors de ses différente­s actions avec Greenpeace et sur le tournage de Demain, documentai­re coréalisé avec Cyril Dion.

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