POUR TOUT L’OR DU MONDE
Parce que ce sont eux qui ont pignon sur rue, les joailliers prennent peu à peu conscience qu’ ils ont le devoir de faire évoluer une filière qui peut se révéler particulièrement écocide. De nombreuses initiatives prouvent qu’un autre bijou est possible.
Parce que ce sont eux qui ont pignon sur rue, les joailliers prennent peu à peu conscience qu’ils ont le devoir de faire évoluer une filière qui peut se révéler particulièrement écocide. De nombreuses initiatives prouvent qu’un autre bijou est possible.
La joaillerie «green»? Vous voulez dire, les émeraudes, les malachites, les chrysoprases, les aventurines? Ou peut-être ce cuivre oxydé que l’on appelle vert-de-gris? – Non, non. green comme écologique. Silence embarrassé… Il faut dire que si l’on analyse froidement la situation, la joaillerie n’est pas intrinsèquement vertueuse. Ses ressources sont épuisables, l’impact de leur extraction est colossal et elles parcourent la terre entière avant d’arriver à vos doigts. Sauriez-vous dire où a été extrait l’or de votre alliance? Je ne vous jette pas la pierre: la majorité des bijoutiers ne le sait pas non plus. Les circuits sont complexes, les intermédiaires nombreux, les filières parfois douteuses.
L’explication est avant tout chimique: l’or est un corps simple élémentaire, c’est à la fois son grand avantage en tant que monnaie et son grand inconvénient en matière de traçabilité. Il ne se lie pas au niveau moléculaire, il peut donc s’isoler facilement.
On peut l’extraire de tout, le réutiliser à l’infini, sans aucune perte: il est inaltérable. Mais, revers de la médaille, il est absolument impossible à sourcer puisque le fondre c’est faire disparaître toutes les étapes antérieures: il est donc particulièrement facile à blanchir. Pourtant le coût écologique de son extraction est très différent selon sa provenance. Les besoins énergétiques sont immenses mais l’empreinte carbone dépend de leur source. La quantité de cyanure utilisée pour l’extraction sera fonction de la concentration du métal et le traitement des déchets – ou des eaux usées – n’a rien de commun d’une mine à l’autre.
Une nouvelle exploitation entraînera une déforestation, créera des voies d’accès pour les orpailleurs illégaux qui opèrent dans des conditions sanitaires désastreuses. Quoi qu’en disent les industriels d’un côté ou les militants de l’autre, l’impact environnemental est absolument impossible à calculer, ce qui explique sans doute les écarts dans son évaluation. Une seule chose est sûre, l’or vert ça n’existe pas. Pour ce qui est du jaune, il y a malgré tout d’infinies nuances de gris qui permettent d’accompagner une prise de conscience plus responsable. Tout d’abord, des circuits certifiés permettent de tracer le parcours du métal. Depuis 2005 et une première prise de conscience des grands acteurs du marché, le Responsible Jewellery Council accompagne les producteurs, raffineurs, tradeurs, fabricants et revendeurs en définissant des standards éthiques, sociétaux, environnementaux. Bien sûr, le label est soumis à audit. Parmi les premiers adhérents: Cartier, Van Cleef & Arpels, Tiffany & Co, Piaget, Fred, Hublot, le groupe De Beers… Aujourd’hui ils sont plus de mille cent.
Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable de Kering, insiste sur «la capacité d’accélération de la transformation quand on joue collectif». Le groupe, très axé mode, possède aussi Boucheron, Pomellato, Dodo, Qeelin et deux horlogers.
Pour toutes les marques et tous les secteurs, l’objectif est le même: réduction de 40 % de l’empreinte environnementale et de 50 % des gaz à effet de serre d’ici 2025 : développement d’une économie circulaire, utilisation d’énergies renouvelables, action proactive de compensation carbone… Les évolutions sont lentes: dans le contexte sociétal actuel, changer les mentalités, c’est finalement plus facile que changer toute une chaîne d’approvisionnement et de fabrication. Chez Chopard, par exemple, il aura fallu cinq ans pour basculer l’ensemble de la production sur de l’or éthique, une révolution facilitée en amont par l’intégration verticale de la production (y compris une fonderie en propre depuis 1978): «Cela signifie que nous sommes dans une position unique qui nous garantit la maîtrise de nos processus de fabrication jusqu’au produit final, en contrôlant ainsi l’or utilisé dans toutes nos créations tout au long de la chaîne de production», assure Caroline Scheufele, coprésidente et directrice artistique du joaillier suisse. Officiellement depuis 2014 – mais le travail avait commencé bien avant – le label Fairmined accompagne les mines artisanales dans leur transformation sociétale et écoresponsable. Elles ne représentent que 10 % de l’extraction mondiale de l’or mais, partant de bien plus loin, c’est là où la marge de progression est la plus forte. Aujourd’hui, seuls cinq cents kilos d’or par an sont labélisés, soit à peu près six millièmes de la production mondiale. La marque JEM (Jewellery Ethically Minded) est née de la rencontre avec cette filière: «On achète l’or directement auprès des mines labellisées Fairmined : un circuit court qui assure la traçabilité et un total contrôle de la filière d’approvisionnement», assure Dorothée Contour, présidente et cofondatrice de la marque. Pour le joaillier Courbet, la solution à l’or sale se trouve dans le recyclage du matériel informatique obsolète: il y aurait 200 grammes d’or dans une tonne de téléphone portable alors qu’il n’y en a qu’en moyenne 25 grammes dans une tonne de roche extraite des mines (selon une étude universitaire sinoaustralienne). La démarche du trublion de la place Vendôme est large : packaging en chutes de cuir agglomérées, boîtes pliées sans colle et bien sûr, diamants de synthèse qu’une législation franco-française interdit d’appeler «diamants de culture», même si fondamentalement c’est bien ce qu’ils sont. Une prouesse technologique qui n’a pas vocation à devenir une norme mais qui a le mérite de proposer une véritable alternative pour une clientèle qui sans aucun doute ne fera que croître dans les prochaines années. «Nous surveillons de près l’évolution des diamants de synthèse, assure par exemple Sabina Belli, à la tête de Pomellato. Jusqu’à présent nous ne sommes pas engagés dans cette direction parce que l’intérêt du public reste faible. Mais nous sommes convaincus que le diamant de synthèse trouvera sa place dans l’univers de la joaillerie.» Une affirmation que ne démentirait pas Swarovski: le cristallier propose, depuis 2017, une collection de «created diamonds» pour sertir ses collections, vues sur Penélope Cruz au dernier festival de Cannes.