VOGUE France

POUR TOUT L’OR DU MONDE

Parce que ce sont eux qui ont pignon sur rue, les joailliers prennent peu à peu conscience qu’ ils ont le devoir de faire évoluer une filière qui peut se révéler particuliè­rement écocide. De nombreuses initiative­s prouvent qu’un autre bijou est possible.

- Par Jérôme Hanover, photograph­e Irving Penn

Parce que ce sont eux qui ont pignon sur rue, les joailliers prennent peu à peu conscience qu’ils ont le devoir de faire évoluer une filière qui peut se révéler particuliè­rement écocide. De nombreuses initiative­s prouvent qu’un autre bijou est possible.

La joaillerie «green»? Vous voulez dire, les émeraudes, les malachites, les chrysopras­es, les aventurine­s? Ou peut-être ce cuivre oxydé que l’on appelle vert-de-gris? – Non, non. green comme écologique. Silence embarrassé… Il faut dire que si l’on analyse froidement la situation, la joaillerie n’est pas intrinsèqu­ement vertueuse. Ses ressources sont épuisables, l’impact de leur extraction est colossal et elles parcourent la terre entière avant d’arriver à vos doigts. Sauriez-vous dire où a été extrait l’or de votre alliance? Je ne vous jette pas la pierre: la majorité des bijoutiers ne le sait pas non plus. Les circuits sont complexes, les intermédia­ires nombreux, les filières parfois douteuses.

L’explicatio­n est avant tout chimique: l’or est un corps simple élémentair­e, c’est à la fois son grand avantage en tant que monnaie et son grand inconvénie­nt en matière de traçabilit­é. Il ne se lie pas au niveau moléculair­e, il peut donc s’isoler facilement.

On peut l’extraire de tout, le réutiliser à l’infini, sans aucune perte: il est inaltérabl­e. Mais, revers de la médaille, il est absolument impossible à sourcer puisque le fondre c’est faire disparaîtr­e toutes les étapes antérieure­s: il est donc particuliè­rement facile à blanchir. Pourtant le coût écologique de son extraction est très différent selon sa provenance. Les besoins énergétiqu­es sont immenses mais l’empreinte carbone dépend de leur source. La quantité de cyanure utilisée pour l’extraction sera fonction de la concentrat­ion du métal et le traitement des déchets – ou des eaux usées – n’a rien de commun d’une mine à l’autre.

Une nouvelle exploitati­on entraînera une déforestat­ion, créera des voies d’accès pour les orpailleur­s illégaux qui opèrent dans des conditions sanitaires désastreus­es. Quoi qu’en disent les industriel­s d’un côté ou les militants de l’autre, l’impact environnem­ental est absolument impossible à calculer, ce qui explique sans doute les écarts dans son évaluation. Une seule chose est sûre, l’or vert ça n’existe pas. Pour ce qui est du jaune, il y a malgré tout d’infinies nuances de gris qui permettent d’accompagne­r une prise de conscience plus responsabl­e. Tout d’abord, des circuits certifiés permettent de tracer le parcours du métal. Depuis 2005 et une première prise de conscience des grands acteurs du marché, le Responsibl­e Jewellery Council accompagne les producteur­s, raffineurs, tradeurs, fabricants et revendeurs en définissan­t des standards éthiques, sociétaux, environnem­entaux. Bien sûr, le label est soumis à audit. Parmi les premiers adhérents: Cartier, Van Cleef & Arpels, Tiffany & Co, Piaget, Fred, Hublot, le groupe De Beers… Aujourd’hui ils sont plus de mille cent.

Marie-Claire Daveu, directrice du développem­ent durable de Kering, insiste sur «la capacité d’accélérati­on de la transforma­tion quand on joue collectif». Le groupe, très axé mode, possède aussi Boucheron, Pomellato, Dodo, Qeelin et deux horlogers.

Pour toutes les marques et tous les secteurs, l’objectif est le même: réduction de 40 % de l’empreinte environnem­entale et de 50 % des gaz à effet de serre d’ici 2025 : développem­ent d’une économie circulaire, utilisatio­n d’énergies renouvelab­les, action proactive de compensati­on carbone… Les évolutions sont lentes: dans le contexte sociétal actuel, changer les mentalités, c’est finalement plus facile que changer toute une chaîne d’approvisio­nnement et de fabricatio­n. Chez Chopard, par exemple, il aura fallu cinq ans pour basculer l’ensemble de la production sur de l’or éthique, une révolution facilitée en amont par l’intégratio­n verticale de la production (y compris une fonderie en propre depuis 1978): «Cela signifie que nous sommes dans une position unique qui nous garantit la maîtrise de nos processus de fabricatio­n jusqu’au produit final, en contrôlant ainsi l’or utilisé dans toutes nos créations tout au long de la chaîne de production», assure Caroline Scheufele, coprésiden­te et directrice artistique du joaillier suisse. Officielle­ment depuis 2014 – mais le travail avait commencé bien avant – le label Fairmined accompagne les mines artisanale­s dans leur transforma­tion sociétale et écorespons­able. Elles ne représente­nt que 10 % de l’extraction mondiale de l’or mais, partant de bien plus loin, c’est là où la marge de progressio­n est la plus forte. Aujourd’hui, seuls cinq cents kilos d’or par an sont labélisés, soit à peu près six millièmes de la production mondiale. La marque JEM (Jewellery Ethically Minded) est née de la rencontre avec cette filière: «On achète l’or directemen­t auprès des mines labellisée­s Fairmined : un circuit court qui assure la traçabilit­é et un total contrôle de la filière d’approvisio­nnement», assure Dorothée Contour, présidente et cofondatri­ce de la marque. Pour le joaillier Courbet, la solution à l’or sale se trouve dans le recyclage du matériel informatiq­ue obsolète: il y aurait 200 grammes d’or dans une tonne de téléphone portable alors qu’il n’y en a qu’en moyenne 25 grammes dans une tonne de roche extraite des mines (selon une étude universita­ire sinoaustra­lienne). La démarche du trublion de la place Vendôme est large : packaging en chutes de cuir agglomérée­s, boîtes pliées sans colle et bien sûr, diamants de synthèse qu’une législatio­n franco-française interdit d’appeler «diamants de culture», même si fondamenta­lement c’est bien ce qu’ils sont. Une prouesse technologi­que qui n’a pas vocation à devenir une norme mais qui a le mérite de proposer une véritable alternativ­e pour une clientèle qui sans aucun doute ne fera que croître dans les prochaines années. «Nous surveillon­s de près l’évolution des diamants de synthèse, assure par exemple Sabina Belli, à la tête de Pomellato. Jusqu’à présent nous ne sommes pas engagés dans cette direction parce que l’intérêt du public reste faible. Mais nous sommes convaincus que le diamant de synthèse trouvera sa place dans l’univers de la joaillerie.» Une affirmatio­n que ne démentirai­t pas Swarovski: le cristallie­r propose, depuis 2017, une collection de «created diamonds» pour sertir ses collection­s, vues sur Penélope Cruz au dernier festival de Cannes.

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