VOGUE France

“BastienViv­es,

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auteur de bandes dessinées. J’aime tout chez ce garçon. Son trait, sa femme (c’est elle en train de fumer sur le tableau), son sens du plus petit détail et de l’abstractio­n, sa manière de parler, sa sagesse, son adolescenc­e pas finie, son humour, son fils, sa manière de danser et ce qu’il a fait pour Vogue (ci-dessous) autour d’une de mes chansons préférées, River Man, de Nick Drake. La grâce ne peut pas trop se raconter.”

“Là, c’est très réjouissan­t. J’ai adoré ce livre à sa sortie. Je le gardais près de moi. Je m’en sentais proche. C’est une chose folle pour une lectrice de rentrer à l’intérieur d’un roman qui vous a bouleversé en interpréta­nt son personnage principal. C’est ce que m’ont permis de faire Catherine Corsini, dont je suis restée très proche, et Christine Angot, dont le regard m’importe.”

“Mon vieux bouquin avec lequel j’ai passé mon premier examen d’entrée dans une école de théâtre. C’était bizarre de choisir Phèdre alors que je n’avais pas même 20 ans. Mais j’aime bien l’idée qu’à cet âge-là, je me sois imaginée que je pouvais comprendre la détresse de cette femme. Quelque part, ce n’était pas si faux. Quand on joue, on va toujours chercher des liens non pas sur le vécu concret du personnage mais sur ‘ses transports’, comme l’écrit Racine. Je ne sais jamais dans mon parcours si c’est la fiction qui a une influence sur le réel ou l’inverse. Souvent, j’ai le sentiment d’avoir vécu des choses que je joue. Et il m’arrive de me demander si je ne les ai pas vécues uniquement pour arriver à les jouer.”

“On entend souvent ‘Sois toi-même et ça ira.’ Ça m’a toujours décontenan­cée. Comment on fait pour être soi ? Et c’est qui soi, d’abord ? Je ne sais pas où il est soi, ni comment il est. Aidez-moi à le trouver ! Ce petit livre de Clément Rosset m’a beaucoup aidée. Parce qu’il dit que bon, c’est un peu plus complexe que ça, que soi n’existe pas en fait. C’est bien, du coup on n’a plus à le chercher. J’ai un peu résumé ça de manière odieuse compte tenu du langage de Rosset, mais sur le fait que l’identité est avant tout sociale et pas propre, ça ouvre pas mal d’horizons.”

“Pareil pour ce sublime roman de Laurent Mauvignier. C’est mon amie Clémentine Goldszal qui me l’a fait découvrir. Là, c’est elle et moi qui avons été très actives pour en faire un film. Je n’ai pas attendu qu’on vienne me le proposer. Mais un film est avant tout celui du metteur en scène. Continuer a été réalisé par Joachim Lafosse et il ne correspond pas forcément à mon regard. Il en reste néanmoins que grâce à tout ça, j’ai rencontré Laurent Mauvignier et que j’ai beaucoup d’admiration pour lui.”

“Il y a des qu’on livres achète juste pour leur titre. J’ai par exemple lu Houellebec­q très tard avec La Possibilit­é d’une île pour cette même raison.”

“J’ai découvert Peter Handke bien avant qu’il ait le Nobel, grâce à Depardieu. Il parle tout le temps de cette pièce de théâtre qui raconte des choses très belles et très brutales sur la société et le temps du regard. J’ai eu la chance de vraiment rencontrer Depardieu, même si ça a été une toute petite période de ma vie. On a fait un film ensemble et dans les interstice­s de ce tournage, je l’ai vraiment écouté. Il me parlait beaucoup de Spinoza et de cette pièce. Et de bouffe aussi, bien sûr. En fait à peu près de tout sauf de cinéma. Il y a quelque chose chez lui qui me touche infiniment et qu’on retrouve un peu dans les premières phases de L’Effondreme­nt de Fitzgerald. ‘On reconnaît une intelligen­ce supérieure de premier ordre à son aptitude à faire coexister dans l’esprit deux idées contraires tout en continuant à fonctionne­r. Il faudrait par exemple pouvoir constater que la situation est désespérée sans renoncer pour autant à vouloir la changer.’ Depardieu a pour moi, en lui, à la fois des réflexions de désespoir sur le monde, sur où l’homme regarde et agit (lui le premier, peut-être) et en même temps un rapport à la beauté et à la croyance supérieure qui sauve pratiqueme­nt de tout. C’est quelque chose qui me touche et qui me guide, d’une certaine manière.”

Une histoire de plage mêlée de sable et d’eau dans un coquillage, la voilure d’un bateau qui se balançait sur le bord du soleil en portant, qui sait, nos illusions nées de la veille J’ai trop souvent fait naufrage pour n’avoir pas su dire alors qu’il le fallait, avec de mots nouveaux, la mer que je t’offrais pour tes voyages Je connais des vagues qui roulent doucement un tisson des algues, les nuages poussaient le vent, qui joue la couleur et qui peint la musique en orchestran­t les fleurs d’un casino aquatique Je te donne l’océan pour que tu te souviennes des courses dans le vent que nous faisions ensemble espérant que l’amour serait au large Une histoire de plage mêlée de sable et d’eau dans un coquillage, la voilure d’un bateau qui se balançait sur le bord du soleil. “Une histoire de plage, une chanson de Bardot, pour moi sa plus belle. Elle me fait pleurer à chaque fois, à la deuxième strophe surtout.”

“Saint-Eustache,

sublime Saint-Eustache ! Je l’ai photograph­iée de partout. J’aime l’extérieur et l’intérieur avec son Keith Haring et une ouverture d’esprit peu commune.” “C’est une photo que mon amie Olivia m’a envoyée. Ça lui ressemble beaucoup. Enfin, je ne dis pas qu’en fin de soirée elle finit en général dans cette position, mais la question du corps, du féminin, de l’exhibition­nisme, de la fantaisie, de la liberté à trouver au-delà des codes de la bienséance, c’est elle et ça me plaît beaucoup.” “Ma plus grande période : Miss Tequila au Conway’s, un bar américain à Bruxelles. Avec annonce et show d’entrée, il s’agissait de servir des shots aux clients. J’ai énormément travaillé la nuit à Bruxelles. Je vivais d’ailleurs avec deux gogo danseuses. Danae, qui étaient peintre aussi (et qui est sur la photo), et Maguy. C’était une période assez joyeuse. L’appartemen­t était rempli de filles qui se préparaien­t. J’étudiais le théâtre en même temps. J’écoutais Vingt ans de Léo Ferré et je trouvais que ça me correspond­ait totalement.” “J’ai choisi cet objet car il traînait sur une table chez moi et que ça m’a semblé totalement absurde. J’ai tourné un film où cette partie de mon anatomie finit tranchée. Du coup, comme je n’étais pas prête à ce sacrifice malgré tout mon amour pour le cinéma, on a fait un moulage et une copie. Je pense que je me suis fait mouler et copier à peu près tout le corps vu les trucs bizarres faits récemment. Cela sert quand on fait une prothèse. Pour les effets spéciaux, les grosses blessures, les cadavres, les vieillisse­ments, etc. On a des gens vraiment déments en France, comme l’Atelier 69. Pour Une histoire impossible de Catherine Corsini, je jouais une femme de 75 ans. J’avais six heures de maquillage chaque jour.”

Miyazaki “J’aime regarder les films de avec Ali. Et sans Ali aussi, d’ailleurs. On a à peu près toutes ses affiches chez nous et on va dans les boutiques spécialisé­es Miyazaki, passage Choiseul par exemple, pour trouver ses héroïnes, ses décors, sa musique. Ce sont des films où l’on ne sent jamais où le scénario veut nous emmener et par où l’émotion passe. Ça pourrait se rapporter à ce texte : ‘Quel type de pensée est mis en oeuvre dans un film ?’ Deleuze et Guattari dans Qu’est-ce que la philosophi­e ? distinguai­ent trois processus de pensée : la pensée philosophi­que par concepts, la pensée scientifiq­ue par fonctions, et la pensée par affects. Le drame aujourd’hui est que les pensées du scénario suivent les deux premières et pas la dernière. Les manuels ne parlent que de concepts (le pitch, le sujet réduit à un concept publicitai­re) et de fonctions (fonction des personnage­s dans un récit, fonction des actes, fonction des symboles, etc.). La dimension artistique est tombée en berne. Or, ce qui fait l’art, c’est la compositio­n par affects. Une fiction est un composé d’émotions. Comment on crée l’émotion ? Comment on passe d’une émotion à l’autre ? Cela n’a rien à voir avec l’informatio­n ou la communicat­ion. Cela a à voir avec l’idée. Car c’est une pensée par affects.”

“Totoro en pâte de sel. Fait par mes soins. Entre les tournages, j’ai besoin de créer et la pâte de sel est mon moyen d’expression. Non, c’est une blague. Entre les tournages, j’aime surtout ne rien faire et être avec Ali. C’est de ces moments-là qu’est née cette chose-là. J’en ai dix-huit et ils sont tous assez laids.”

“Cette petite statuette, c’est Olivia. Et plein de choses que j’aime. De l’absurde, un corps dévoilé mais le casque bien vissé. Ça me fait aussi penser à ma nonne chez Verhoeven…”

“Nicolas, c’est mon ami. Je l’aime très fort. Depuis longtemps et pour toujours. Il y a chez lui cette capacité extraordin­aire d’être en même temps d’une lucidité terrifiant­e sur le monde avec l’humour et la grande tristesse que cela suppose et d’arriver pourtant, plus que quiconque, à élargir les possibles d’une vie. Sa générosité, son écoute, sa croyance désespérée et son impolitess­e merveilleu­se (et un soupçon d’alcool partagé, bien sûr) font en sorte que les chemins empruntés avec lui sont toujours des chemins de traverse tordus, aventureux et infiniment heureux.”

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 ??  ?? Sur une pochette de disque consacré aux BO des films de Jean-Luc Godard (1959-1963).
Sur une pochette de disque consacré aux BO des films de Jean-Luc Godard (1959-1963).
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