NOTES PERSONNELLES
Souvenirs d’enfance, esprit de famille, les plages du Nord, ses amours, ses coups de coeur artistiques, All that Jazz, Saint-Eustache, ses idoles, Deneuve, etc. Escale dans le monde éclectique de Virginie Efira.
“La mer du Nord. J’allais toujours au Coq, une petite station balnéaire qui a gardé grâce à ses maisons à colombages un charme très début de siècle. J’aime la côte belge car elle a une beauté un peu triste et puis c’est complètement relié à des souvenirs, des odeurs (de friture!). C’était l’époque où mes parents étaient encore ensemble, ce qui ne représente pas pour moi dans l’enfance un paradis perdu, mais c’est un souvenir très doux.”
“Mon père, André. Il y a une grande proximité entre nous. C’est un père très présent, très impliqué, très à l’écoute. Nous avons un lien intime. J’adore dîner seule avec lui. Il est médecin, hématologue, oncologue et a toujours travaillé dans le public. Il a une droiture morale et n’en a jamais fait l’éloge.”
“Avec Patricia. Comment se fait-il qu’on n’oublie jamais les prénoms de ceux qu’on a connus enfant? Après, ça se complique quand même un peu… Je me souviens du ressenti à ce moment-là. C’était la première fois que je montais sur scène, on devait déclamer une gentille poésie, Monsieur le vent. Je me rappelle que la directrice, qui se tenait un peu à l’écart, devait avoir le sentiment de monter un Ibsen vu le sérieux qu’elle affichait. Je ne sais pas si c’est la timidité où une légère conscience de l’absurde que contenait la situation, mais j’ai eu un fou rire interminable et je n’ai pas pu sortir une phrase. Le public s’est mis à rire aussi et tout ça n’en finissait plus. Il me semble que ce moment où on perçoit nettement qu’une émotion qui nous traverse peut être contagieuse a eu une résonance très forte en moi. Je ne sais pas si c’est le début d’une vocation ou d’une vanité. Probablement un peu des deux.”
“Dans la maison de mes grands-parents en Espagne. J’adorais, on y allait chaque été. C’est fou le conformisme des enfants. On aime retrouver les mêmes lieux, ne pas changer ses habitudes. J’aimais la sieste obligatoire, l’odeur du jasmin derrière la maison et les marchés couverts.”
“Mon frère, Yorick Efira. J’adore cette photo et cette tête qui le définit bien. Une moue boudeuse comme une défiance qui dissimule une sensibilité et une gentillesse rares.”
“Avec Edward et Éloïse, ma soeur et mon frère jumeaux.”
“Ces photos me font rire. Le gros cliché sur la virilité et la féminité. Le chasseur concentré sur sa cible et la femme qui patiente docilement, s’ennuyant fermement mais sans que cela se voie trop. Sauf que la photo prise au moment où personne ne s’y attend capte ça. Mon père ne correspond pourtant à aucun de ces clichés. C’est le fusil qui veut ça.” “Ma maman avec un sourire désarmant. Elle me semble si jeune. Ce qui me touche dans ce sourire, c’est tout ce que je peux imaginer derrière. Les générations de femmes avant la mienne ont subi dans leur éducation une certaine idée de ce que devait être une femme. Son père biologique a été très dur, avec une opinion très tranchée de ce que devait être sa fille. Son amour était lié à ça. Quand il a jugé que ses choix n’étaient pas ceux qu’il aurait voulus pour elle, il a tout simplement arrêté de la voir. Il faut une force incroyable pour continuer à sourire après ça. Je juge son parcours courageux et je pense qu’elle n’a pas conscience de ce courage. Certaines femmes sont féministes sans le savoir et portent ce politique dans l’intime. Se détacher des injonctions sur la place qu’on est censée occuper en tant que fille, puis épouse, puis mère, essayer d’être libre, de ne pas se conformer à des fausses valeurs est un grand exemple. Ça induit aussi une considération pour l’homme plus forte. Une reconnaissance de la paternité au même titre que la maternité. C’est elle qui m’a permis d’avoir le rapport que j’ai à mon père.”
“Le mariage de ma mère avec Jacques, à Arles. C’est joyeux de se marier à cet âge, après plusieurs années de vie ensemble. Jacques me fait penser à Lino Ventura. Ensemble, ils sont beaucoup plus jeunes que beaucoup de jeunes.”
“C’était notre petit numéro comique quand Ali était bébé. Je prenais une voix d’idiote en me prenant très au sérieux et en parlant par exemple du Cac 40. Elle savait à ce moment-là qu’un doigt dans le nez signifiait : ‘Mais tais-toi donc !’ Bon, j’avais surtout envie de voir cette photo dans Vogue.”
“Sur le plateau de Victoria. Le tournage le plus friendly que j’ai connu. Entre les prises, mes faux enfants dans le film, Liv et Jean, jouaient avec Ali, ma vraie fille. Quand la fiction se mélange joyeusement au réel. Ali m’accompagne partout. Elle a une faculté d’adaptation assez spectaculaire. Et comme elle est encore petite, je n’ai pas le sentiment de l’arracher à sa propre vie.”
“Mon grand-père que j’aimais beaucoup, ma grand-mère et ma maman. Là, je crois que les clichés n’appartenaient pas qu’à la photo mais débordaient du cadre.”
“Ma fille Ali avec sa marraine, ma grande amie Olivia. Ali a 6 ans aujourd’hui. Avant d’être mère, je courais partout avec la trouille de louper quelque chose d’essentiel de ma vie et grâce à elle, je sais aujourd’hui que c’est le meilleur moyen de passer à côté de tout. Par son existence, elle m’oblige à être pleinement à l’endroit où on se trouve. Ça change tout.”
“J’aime tout chez Jeanne Moreau. Là, c’est une photo extraite d’un de mes films favoris, La Baie des anges de Demy. J’aime les textes qu’elle a écrits pour ses films et ses chansons et qui, selon moi, lui ressemblent toujours un peu. Une femme qu’on pourrait croire forte mais qui est fragile, une façon de ne pas tout à fait se prendre au sérieux, une grande amoureuse et en même temps une immense solitude, un goût de la vie, une profonde nostalgie et toujours une tentative de liberté.”
“À 8 ans, je connaissais absolument tout le répertoire de Marilyn. Ma chanson préférée est I’m Through with Love. On peut se projeter en elle. On lui pardonne tout.”
“J’étais amoureuse de Julia Roberts après Pretty Woman. Ce sourire, cette manière de bouger. J’aurais voulu m’accrocher à elle. Bon, là c’est un cadeau très rigolo de Clémentine Goldszal et Rebecca Zlotowski pour mon anniversaire. Faux et usage de faux.”
“Deneuve, pareil, amour inconditionnel. Partagé avec ma fille qui regarde Peau d’Âne et Les Demoiselles… en boucle. Elle verra Belle de jour qui a été un choc un peu plus tard ! J’adore La Sirène du Mississipi. Sa manière de parler vite comme si elle avait autre chose à faire et qu’on la dérangeait un peu. Son visage à tous les âges. Son insensibilité à son propre mythe. Ses interviews. Je l’ai rencontrée une fois lors d’un dîner où j’accompagnais Niels. Elle partageait la même grande table que nous. Quand je l’ai vue, je me suis statufiée et j’ai eu envie de partir. Parce qu’elle provoque tant de choses chez moi que ça me rend débile. Ça s’assimile presque à une rencontre amoureuse. Quand j’ai rencontré Niels, je ne parvenais pas à aligner trois mots à la suite, j’avais honte de moi. Bon, ben Deneuve, c’est un peu pareil. Du coup, je ne l’ai même pas saluée. C’était impossible. Je lui aurais servi un ‘Je vous aime beaucoup’ d’un ennui mortel. Je l’ai matée toute la soirée du coin de l’oeil. Elle doit probablement être habituée à provoquer ce genre d’état, ce qui doit être quand même un peu saoulant pour elle. J’ai bu beaucoup aussi pour essayer d’être moins ‘empaillée’. Quoi qu’il en soit, à la fin du dîner, elle s’est levée et m’a tapé sur l’épaule. Je me suis retournée et elle m’a dit un flot de choses très gentilles et détaillées sur mon travail et sur Victoria il me semble. Je n’entendais pas bien car j’avais un petit choc. Et puis avant même que j’aie pu à mon tour lui dire ce que j’estimais chez elle, elle avait tourné les talons. Elle a dit tout ça sans rien attendre d’autre. Je l’aime tellement que j’espère ne jamais la recroiser.”
Niels “C’est une photo de que je ne connaissais pas tirée d’une série dans Vogue Hommes il y a tout de même quelques années. Ce n’est pas un visage, ni une expression que je lui connais aujourd’hui. Même s’il est très beau, bien sûr. Je trouve qu’il change de visage constamment. Dans les films aussi. Je ne peux pas parler de lui. Comme pour ma fille. Tout ce qui serait dit, écrit serait en deçà de ce qu’ils représentent pour moi et de ce que je peux ressentir. J’avais un rapport à l’amour contrarié, un mélange de grande croyance romantique et en même temps une incapacité à la dépendance que cela suppose forcément. Tout a changé avec lui.”
“Mon frère Yorick est artiste. Il imagine des tableaux figuratifs très beaux. J’en ai plusieurs chez moi. Il réalise des maquettes aussi. On ne sait plus très bien si c’est de la sculpture ou de la peinture et on se détache évidemment de toute perspective réaliste pour laisser place à un regard posé sur le monde. Il y a dans son travail une place donnée à la couleur tout à fait folle. Je suis heureuse de ce qu’il est devenu et qu’il n’ait pas transigé sur son désir d’être un artiste.”
“Le Grand Hôtel Nord Pinus sur la place du Forum, à Arles.” “La tour qui domine Arles a le dos nu mais pas devant. La robe est pleine de poches dont chaque étage porte un nom. Sous elle, les ateliers du rêve emmènent dans un tourbillon les muses et les trublions dont l’art est le seul remède.” —Françoise Lacroix