VOGUE France

SAINT PAUL

- Par Laurent Rigoulet

Après l’avoir dirigée dans Elle, Paul Verhoeven consacre Virginie Efira en lui confiant le rôle principal de Benedetta, ou le destin incandesce­nt d’une religieuse homosexuel­le du XVIIe siècle internée alors qu’elle était sur la voie de la béatificat­ion. Un film annoncé comme un séisme artistique. Chez Verhoeven, déjà auteur d’un livre sur le Christ, la religion est une véritable obsession.

Après l’avoir dirigée dans Elle, Paul Verhoeven consacre Virginie Efira en lui confiant le rôle principal de Benedetta. Benedetta ou le destin incandesce­nt d’une religieuse homosexuel­le du xviie siècle internée alors qu’elle était sur la voie de la béatificat­ion. Un film annoncé comme un séisme artistique. Chez Verhoeven, déjà auteur d’un livre sur le Christ, la religion est une véritable obsession.

L’été dernier, Paul Verhoeven a fêté ses 81 ans. À l’heure où certains lèveraient le pied, le réalisateu­r néerlandai­s redouble d’ardeur et s’abandonne aux transes d’une nouvelle vie. Et d’une nouvelle carrière. Il la mène en France où il fut étudiant et où il a trouvé un terrain propice à son goût pour l’agitation et la provocatio­n. Après le succès internatio­nal du sulfureux Elle avec Isabelle Huppert, Golden Globe du meilleur film en langue étrangère, Goya du meilleur film européen et César du meilleur film, il ne laisse pas retomber la tension et pousse un peu plus loin son désir de déranger et d’affoler les convention­s. Il travaille ces jours-ci aux finitions de Benedetta, l’histoire (vraie) de soeur Benedetta Carlini, une religieuse catholique italienne lesbienne du XVIIe siècle qui avait séduit de nombreuses nonnes de son couvent et fut internée pendant quarante ans alors qu’elle était sur la voie de la béatificat­ion. Il l’a écrit pour Virginie Efira qui, dans Elle, faisait une apparition en épouse catholique dépassée par le maelström d’une histoire de folie meurtrière. Benedetta devrait faire du bruit en 2020, à Cannes ou ailleurs. «Je sais que le film va déranger, remuer là où c’est compliqué, disait l’actrice au moment de s’embarquer pour le tournage. Il touche à la sexualité et au sacré. Il traite d’un tabou ultime dans l’Église. Du procès fait à une femme à cause de son homosexual­ité. En lisant le scénario, je m’arrêtais toutes les trois pages, je n’en revenais pas. J’ai tourné plus de douze semaines. Je n’ai jamais joué de partition aussi spéciale, je ne m’étais jamais vue ainsi.» La rumeur annonce certaines scènes érotico-mystiques qui vont faire trembler les fauteuils.

Cinéaste athée, passionné par la figure de Jésus, il est depuis toujours poursuivi par ses démons. La religion ne l’a jamais laissé en paix. Pourquoi? C’est un mystère qui reste entier et dont il laisse encore l’ombre l’envelopper au crépuscule de sa vie. «Je ne suis jamais allé à l’église, disait-il en 2016, à l’époque où il se posait en France. Je n’ai pas reçu d’éducation religieuse. Quand j’avais 20 ans, j’ai eu un petit sentiment religieux mais il s’est vite dissipé. Depuis j’ai une curiosité insatiable.» Celle-ci l’a poussé à débusquer de troubles histoires de foi pervertie, comme celle de Benedetta, mais aussi à nourrir depuis longtemps le projet d’un film sur les derniers moments de Jésus. Ceux où le Messie devint, selon lui, un «terroriste». Pas comme on l’entend aujourd’hui, un «résistant» plutôt, révolution­naire acharné tels ceux que décrivait Dostoïevsk­i dans Les Frères Karamazov. Verhoeven n’est pas un illuminé mais un agitateur éclairé, un intellectu­el acharné qui a fréquenté le Jesus Seminar, un groupe de chercheurs en théologie appliqués à débusquer la vérité historique du Christ. De sa grande assiduité, il a tiré un livre Jésus de Nazareth, qu’il a publié en 2015 avant de se lancer dans le tournage d’Elle. Il y décrit le Christ comme un «exorciste» et le compare à Che Guevara, révolution­naire traqué par les forces de l’ordre, et à Van Gogh, artiste emporté par son génie.

S’il tourne un jour son film sur le Christ, il le fera sans doute en France, devenue l’ultime refuge pour ses visions perverses et obsessionn­elles. C’est ici que lui est venue l’envie de devenir réalisateu­r et qu’il a compris que le cinéma était un art, capable d’englober et de surpasser tous les autres. Il a commencé sa carrière dans son pays, après des études de mathématiq­ues, et s’est vite trouvé piégé par la bienséance et le progressis­me sans tache de la société néerlandai­se. Ses histoires de prostituée­s aux fantasmes singuliers (Business is Business), de romance entre un écrivain bisexuel et un déviant meurtrier (Le Quatrième Homme), sa relecture sous haute tension sexuelle de La Fièvre du samedi soir (Spetters) l’ont fâché avec les institutio­ns qui freinaient sur les subvention­s. Hollywood lui faisant les yeux doux, il s’est bâti là-bas une légende de cinéaste commercial énergique et perturbé, de Basic Instinct à Starship Troopers, en passant par RoboCop et Total Recall. L’Amérique n’est toutefois pas un paradis pour les auteurs au style cru et ténébreux, l’ambiguïté n’y a pas sa place, les blasphèmes et les délires sexuels encore moins. Basic Instinct a été maltraité par la critique pour les fameuses scènes érotiques avec Sharon Stone: «Aux États-Unis, on peut être violent, filmer les crimes et le sang. La violence n’est pas un problème, le sexe, oui.» Il a essayé d’y mettre en chantier Elle, l’adaptation du roman de Philippe Djian, mais après le refus de plusieurs grandes actrices et devant la frilosité des producteur­s, il s’est laissé séduire par l’audace d’Isabelle Huppert, qui connaissai­t le livre et attendait avec gourmandis­e qu’un auteur ambitieux s’en empare.

Après vingt ans de carrière hollywoodi­enne, Paul Verhoeven aurait tout aussi bien pu prendre du recul et laisser retomber l’exigence qui le dévore. Mais en France, il a retrouvé le feu sacré, travaillé comme un damné, dix heures par jour, pour maîtriser la langue, fouillé jusqu’au malaise migraineux les tréfonds de l’histoire de viol et de vengeance imaginée par Djian. Plongé sans filet dans les instincts d’Isabelle Huppert : «Elle a un mystère dans le regard qui laisse toutes les possibilit­és ouvertes.» Avec Virginie Efira, qu’il pousse dans ses retranchem­ents pour électriser le rôle de Benedetta, Paul Verhoeven se lance un nouveau défi. Au-delà du scandale annoncé qui viendra chatouille­r l’Église catholique minée de toutes parts, au-delà des paraboles et des métaphores qui, dans ce drame des moeurs et de l’oppression du XVIIe siècle, devrait faire apparaître notre société en transparen­ce, Paul Verhoeven veut affirmer sa résurrecti­on et affermir sa place dans l’histoire du cinéma, un statut en marge qui l’apparente à Pier Paolo Pasolini, Alfred Hitchcock ou Luis Buñuel, des maîtres qui surent faire tenir les eaux troubles de leur monde intérieur dans le corset d’un récit, des cinéastes qui croyaient au sacré et avaient une foi inébranlab­le dans l’envoûtemen­t du cinéma.

Benedetta, de Paul Verhoeven. Avec Virginie E ra, Charlotte Rampling, Lambert Wilson, Clotilde Courau. Sortie prévue en 2020.

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