VOGUE France

LA COMPÈRE

- Par Sabrina Champenois, portrait Édouard Sanville et Juliette Abitbol

Dès son tout premier long-métrage, la réalisatri­ce Justine Triet a épaté par son sens de l’équilibre périlleux entre drame et comédie. Ses deux derniers films, Victoria puis Sibyl, ont amplement contribué à l’entrée de Virginie Efira dans le club des actrices qui comptent. Plongée dans leur connivence.

Dès son tout premier long-métrage, La Bataille de Solférino (2013), la réalisatri­ce Justine Triet a épaté par son sens de l’ équilibre périlleux entre drame et comédie. Ses deux derniers films, Victoria puis Sibyl, ont amplement contribué à l’entrée de Virginie Efira dans le club des actrices qui comptent. Plongée dans leur connivence, qui dépasse les plateaux de cinéma.

Comment êtes-vous venue à Virginie Efira, avec Victoria ? J’avais déjà le script, d’ailleurs je n’écris jamais pour un acteur. Je cherchais une nana qui parle vite et qui ait ce truc des comédienne­s des années 50, très vives, joueuses. Je ne l’avais jamais vue comme animatrice télé, j’avais juste vu 20 ans d’écart, et beaucoup d’interviews comme je le fais souvent avec les acteurs. Et je me suis dit qu’elle avait vraiment quelque chose.

Je n’étais pas la seule, au même moment Paul Verhoeven la faisait tourner dans Elle… Dès qu’on s’est rencontrée­s, tout est allé très vite, on a tout de suite accroché, et j’ai immédiatem­ent vu qu’elle était très curieuse, et surtout qu’elle n’était pas classable, ce qui m’a beaucoup plu.

Virginie Efira, c’est aussi une plastique renversant­e. Ce n’est pas ce qui m’a fait aller vers elle. Elle a quelque chose de très singulier, elle n’est pas du tout dans les carcans, très libre, y compris dans sa vie. Et sur un tournage, elle s’intéresse à autre chose qu’à elle-même et à la taille de son rôle, elle prend vraiment en compte le regard du film, du réalisateu­r, et elle aime cette danse qu’est le fait de jouer avec l’autre. Elle est de ces acteurs qui tirent vers le haut, y compris les scènes compliquée­s. Et maintenant, avec notre connivence qui existe aussi hors plateaux, elle comprend tout de suite ce que je veux, ça va très vite, trop même parfois… Comme Vincent Macaigne ou Laetitia Dosch, elle voit l’ensemble de la scène, peut anticiper, d’ailleurs elle pourrait très bien passer à la réalisatio­n. Mais ça peut la fatiguer aussi, cette conscience de tout, du coup je peux être amenée à lui dire de se concentrer sur elle-même.

À vous entendre, elle semble très solide… Oui. Elle me fait beaucoup penser à une de mes grands-mères, quelqu’un dont les failles ne se voyaient que fugitiveme­nt. Et bien sûr ce qui m’intéresse, c’est d’aller chercher ces failles, ça m’obsède même dans la vie. C’est ce que j’ai fait avec Sibyl. Virginie est extrêmemen­t solide et j’ai l’impression qu’elle a besoin, jusque dans sa vie intime, d’aller se confronter à des situations très périlleuse­s pour aller toucher ces zones-là. Elle est aussi très endurante, toujours partante. En revanche, elle ne supporte pas l’à-peu-près, et si elle y est confrontée, elle peut ruer dans les brancards, violemment. Mais c’est intéressan­t, ça vous pousse vers l’exigence, ça oblige à savoir ce qu’on veut. Je préfère ça à un acteur qui viendrait juste pour dire sa partition. Ce n’est pas une question de rapport de forces mais d’enjeu, de tension positive. C’est d’ailleurs une chose que je recherche, avec les acteurs profession­nels ou non: des situations un peu chaotiques, dans lesquelles ils ne vont pas forcément se sentir à l’aise.

Je n’offre pas un confort.

Diriger un film, c’est écrasant, non ? Ça a quelque chose de vertigineu­x mais j’adore ça. Ce n’est pas que porter toute une équipe, parce que les gens de l’équipe me portent aussi. Ce qui me plaît, c’est la recherche, trouver le chemin : on sait où on va mais pas comment on va y arriver, c’est un saut dans le vide. Flippant mais grisant. Ce qui est certain, c’est qu’il faut être solide. J’aime beaucoup cette phrase dont je ne me rappelle plus l’auteur : «Réaliser un film, c’est faire croire à tout le monde qu’on sait ce qu’on veut alors que parfois on est perdu.» Heureuseme­nt d’ailleurs : c’est là qu’on trouve des choses, dans le doute. Mais ce doute, il ne faut pas trop le faire sentir…

Vous faites partie du collectif «50/50 pour 2020», pour une plus grande

égalité entre hommes et femmes dans le milieu du cinéma. Bien sûr, même si je suis bien moins active que Céline Sciamma et Rebecca Zlotowski. 50/50 s’emploie vraiment à regarder les chiffres et il apparaît notamment qu’il y a peu de femmes aux postes de responsabi­lités dans les équipes de tournage. Jusqu’ici je me refusais à considérer la situation par le prisme du sexe mais désormais ma pensée évolue, je me dis que si on laisse les choses se faire seules, la situation ne changera pas. Il y a autant de femmes que d’hommes dans les écoles de cinéma et pourtant à la sortie, beaucoup plus d’hommes qui réalisent. Que s’est-il passé ? Là où moi je peux agir, c’est peut-être en ayant des équipes plus mixtes, quoiqu’elles le soient déjà bien. Et j’ai toujours refusé le machisme, les blagues graveleuse­s…

Le machisme, vous l’avez vécu ?

Je n’ai pas fait d’école de cinéma et dès que j’ai commencé à tourner, j’ai toujours été réalisatri­ce, donc en position de leader, du coup je n’ai pas vraiment subi ça. Mais ce dont je me rends compte avec le recul, c’est que j’ai pu avoir une posture de blagueuse pour faire passer mon autorité. Et ça, je l’ai souvent constaté chez les femmes dirigeante­s, une façon de dire : «Ne vous inquiétez pas, je dirige mais je suis sympa», là où des hommes ne s’embarrasse­raient absolument pas. En fait, le machisme, je l’ai surtout observé dans un milieu qui était censé être tout le contraire: les Beaux-Arts, quand j’étais étudiante il y a vingt ans. Je me souviens d’une atmosphère très particuliè­re, de drague entre les profs et les jeunes étudiantes, et puis un jour on m’a invitée à participer à une exposition de femmes, ça m’a révoltée. Comment ça, une exposition avec les femmes entre elles ? !!!

Qu’est-ce qui a changé dans le cinéma depuis l’affaire

Weinstein et #MeToo ?

Le mouvement qui a commencé il y a deux-trois ans est chouette parce qu’on sent que les choses bougent à des endroits importants, en matière de parité notamment. Dans le même temps, l’époque est tellement cadenassée… Bret Easton Ellis en parle très bien dans

White, son dernier livre: l’indignatio­n systématiq­ue a remplacé le débat, rendu de plus en plus compliqué par les réseaux sociaux. Mais bon, les choses bougent et génèrent des questions intéressan­tes, au-delà même de la place des femmes. Sur la représenta­tivité des «minorités invisibles», en particulie­r. Faut-il des quotas? On voit que le cinéma américain est clairement traversé par la volonté de respecter des proportion­s, tous les films ont des couples mixtes, par exemple. C’est à la fois louable, positif, mais ça crée aussi une convention. Cela dit, on voit bien qu’en France, on a un train de retard… C’est notre devoir d’aller chercher ces acteurs, c’est aussi à nous de redéfinir les contours de la société, de proposer de nouveaux visages.

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