MADAME RÊVE
Elle trône en reine de la mode. Depuis des décennies. Miuccia Prada a inventé un style identifiable au premier coup d’oeil, influences aussi multiples que complexes. La créatrice italienne a révolutionné le concept du «bon goût» et l’expression de la féminité. Et transformé une entreprise familiale en empire du luxe. Intelligente, discrète, féministe, engagée, Madame Prada cultive sa vision sans concession…
RÊVE Elle trône en reine de la mode. Depuis des décennies. Miuccia Prada a inventé un style identifiable au premier coup d’oeıl, influences aussi multiples que complexes. Imprimés hurlants, jupes ultra-strictes, nylon désirable, blast de plumes et strass sur manteau du soir, compensées oeuvres d’art... la créatrice italienne a révolutionné le concept du «bon goût» et l’expression de la féminité. Et transformé au passage une entreprise familiale en empire du luxe. Intelligente, discrète, féministe, engagée, l’art en intraveineuse, Madame Prada cultive sa vision sans concession. Avec un recul éclairé sur l’ époque et ses spasmes.
our gris de décembre à Milan. Dans son bureau, Miuccia Prada réfléchit. Le jeudi où nous avons rendez-vous est celui des élections législatives en Angleterre. Boris Johnson et son projet de Brexit sont annoncés gagnants. Quelques semaines plus tôt, en Thuringe, le parti d’extrême-droite allemand a battu la chancelière Angela Merkel, reléguée en troisième position.
À peu près au même moment, Vox, le parti d’extrême-droite espagnol, multipliait ses suffrages par deux. En Italie, le nationaliste Matteo Salvini et sa Ligue du Nord dominent les sondages d’opinion. Mon avion décolle de Londres alors que la population commence à voter.
Avant de se lancer comme créatrice de mode dans les années 70, «Madame Prada», comme on l’appelle respectueusement, sans doute grâce à son aura de matriarche dans le milieu, était une activiste féministe membre de l’Unione Donne Italiane. Aujourd’hui, la gauche est en déconfiture. Les masses se retournent contre le statu quo, mais aussi contre les experts, les élites et les intellectuels, auxquels la gauche est désormais associée. Comment communiquer, en cette époque troublée ? Comment parler aux gens ? Comment faire passer des messages complexes? Comment montrer de la subtilité, quand nous sommes tous bombardés d’informations? Telles sont les questions qui hantent Miuccia Prada aujourd’hui.
«Si l’intelligentsia se tait, seuls les autres prendront la parole», dit-elle. Elle secoue la tête, agacée. «Que l’ignorance puisse passer pour une forme de démocratie est dangereux et m’inquiète énormément. C’est pourquoi il est essentiel de communiquer.
Il y a ce qu’on a à dire, mais aussi la manière dont la parole est perçue. Parfois, pour répondre à la superficialité, vous devez à votre tour vous montrer superficiel, ce qui est bien sûr un problème. Chez Prada, on n’est pas doués pour communiquer», ajoute-t-elle. Impeccable muse Prada en pull tricoté et jupe aux genoux, Verde Visconti, responsable de la com, lève les yeux au ciel en faisant mine d’être vexée. Miuccia s’esclaffe et agite la main. «Faire quelque chose de bien m’intéresse plus que de communiquer dessus. J’ai peut-être tort, parce qu’aujourd’hui, la communication est tout aussi importante… Si on ne dit pas les choses de manière fascinante, personne n’écoute.» Il y a des créateurs qui sont des communicants, des as des relations publiques, et il y a des créateurs qui sont des créateurs. Madame Prada est de ceux-là. Elle est la coqueluche des critiques. Elle est, aux yeux de l’industrie, la reine de la modernité, de l’intelligence, de l’esprit, du style. Quand on cherche à comprendre ce que les autres designers essaient de faire, quand ils s’emploient à réaliser une collection réussie, à accomplir quelque chose de nouveau, on peut dire sans grand risque qu’ils s’inspirent du modèle Prada.
Si d’autres maisons italiennes constituent des exemples de caricature et d’outrance, depuis les vêtements jusqu’aux créateurs en personne, Miuccia Prada cultive, elle, une image plus paisible et plus classique. Les critiques s’accordent en général à reconnaître que si la mode italienne peut être délicieusement kitsch, elle est rarement cool.
La fashion week de Milan a toujours été caractérisée par le théâtral – les moments de retenue y sont plus remarquables que les moments d’extravagance –, mais Miuccia Prada s’y est toujours distinguée. Ses collections peuvent parfois sembler impénétrables, un peu froides dans leur complexité, avec leurs épaisseurs de nylon et leurs jupes droites à la coupe sévère. On ne peut en aucun cas les qualifier de «bobo», et leurs petites fantaisies – pierres, plumes, paillettes – s’apparentent plus à de brusques coups de poing qu’à des sourires aimables.
Si les décors des défilés, conçus en collaboration avec l’OMA/AMO de Rem Koolhaas, sont toujours splendides – piscine ou hôtel façon Shining, avec carrelage pastel rétro –, le plus intéressant, comme pour les vêtements, est rarement la surface elle-même. Il n’empêche que l’ombre de la superficialité (et son corollaire, le commerce) a presque toujours plané sur Prada. À l’époque où Miuccia prônait ses idéaux, sa famille fabriquait de la maroquinerie de luxe pour la marque fondée par son grand-père Mario Prada en 1913. Ils vendaient leurs articles aux aristocrates dans un magasin de la prestigieuse Galleria Vittorio Emanuele II de Milan, une boutique qui arbore encore, à ce jour, l’enseigne Prada. Miuccia Prada a rejoint l’entreprise dans les années 70. «La décision de devenir créatrice a été très difficile à prendre car, pour quelqu’un de politisé comme moi, c’était le pire métier envisageable. Je trouvais la mode superficielle et pas suffisamment sérieuse, mais elle m’attirait. En fin de compte, cette attirance l’a emporté.»
La lutte de Miuccia Prada pour concilier son travail et ses valeurs, ses aspirations et ses créations n’a jamais cessé. Aujourd’hui, les temps sont durs pour ceux dont la vision ne se limite pas aux objectifs de vente, aux applaudissements et au nombre de followers, cette nouvelle mesure pour le moins capricieuse du succès. «Quand je travaille, j’ai toujours dans un coin de ma tête les préoccupations de l’intelligentsia de gauche, car ce sont aussi les miennes.» De fait, en 2016, un gros titre du New Yorker proclamait: «Mode: à bas les élites!» L’article commentait la montée en puissance des célébrités se positionnant en designers, des célébrités s’improvisant mannequins, des influenceurs s’érigeant en critiques. Face à la propagation de cette mentalité anti-spécialistes, qui considère par ailleurs le mot «culture» comme un gros mot, l’inquiétude de Miuccia Prada est si grande que, avec une amie artiste, elle s’adonne à un jeu où toutes deux s’amusent à «observer le comportement des membres de l’intelligentsia». «L’intelligence ne va pas sans communication. Mais c’est difficile, parce que les choses intelligentes sont complexes.» Miuccia Prada scande ses propos en tapant du poing sur la table, doucement, mais fermement. Selon elle, les possibilités de résister sont restreintes. «Si on ne simplifie pas, personne n’écoute. Le combat consiste donc à simplifier mais avec un réel contenu, et c’est ce que je m’efforce de faire dans mon métier, même si mes collections reflètent des milliers d’inspirations.» Elle poursuit: «Plus vous braillez, plus vous êtes superficiel, mieux c’est. C’est pour ça que je souffre énormément et que je livre un terrible combat avec moi-même. D’un côté, il y a les intérêts de l’entreprise. De l’autre, des intérêts plus généraux. Je tâche en permanence de naviguer entre les deux… et ça n’a rien d’évident.»
«Faire quelque chose de bien m’intéresse plus que de communiquer dessus . [ ... ] Aujourd’ hui, si on ne dit pas les choses de manière fascinante, personne n’écoute.»
«Je dirige une entreprise de luxe. J’ai compris que mon engagement ne passait pas par des déclarations chocs ou des slogans sur un T-shirt. Je le fais d’une façon qui, j’espère, est plus profonde, plus sérieuse.»
Depuis quarante ans que Prada officie, beaucoup ont voulu donner à ses créations une interprétation politique. Telle robe est une exhortation féministe ou telle jupe une revendication communiste. Sévit actuellement dans la mode une tendance à voir de subtils sous-entendus partout. Après #MeToo, une jupe ajustée devient tout à coup aux yeux de certains critiques un cri de ralliement pour les femmes de pouvoir. L’utilisation de cuir, un vibrant témoignage de liberté sexuelle… Désormais, les collections doivent véhiculer du sens et des messages. L’esthétique pure, ou le «goût», ce concept si cher à Prada depuis longtemps, ne suffisent plus. Mais Miuccia Prada est plus une adepte de la dualité que des déclarations monolithiques. Elle est intriguée par la complexité et les rapports qui s’établissent entre les choses : les opposés, les contrastes, les accords grinçants, les harmonies paisibles. Elle ne cherche pas à être une pasionaria déguisée en créatrice de mode; elle n’ignore pas l’ironie qu’il y a à faire de la politique tout en vendant des jupes à mille euros. «On m’a très souvent demandé de me porter candidate à des postes politiques importants, mais j’ai toujours refusé. Étant une créatrice de mode plutôt privilégiée, je ne pourrais pas être aussi radicale que je le voudrais. Je serais critiquée… Je dirige une entreprise de luxe. J’ai compris que mon engagement ne passait pas par des déclarations chocs ou des slogans sur un T-shirt.
Je le fais d’une façon qui, j’espère, est plus profonde, plus sérieuse.»
La manière qu’a Miuccia Prada d’unir mode et politique relève plus d’un long processus de réflexion, d’une rumination constante, que d’une collection capsule affichant des slogans incitatifs.
Le New York Times l’a qualifiée de «philosophe capitaliste emplie de curiosité». Si d’autres créateurs s’intéressent à ce que peut dire le produit – aux déclarations qu’il autorise –, Prada semble davantage s’intéresser aux structures et aux systèmes qui ont conduit à l’existence dudit produit: les équilibres de pouvoir, les traditions, les signes extérieurs du «bon goût». Quand je lui fais remarquer que ses conclusions sont rarement limpides, elle cite en réponse Jean-Luc Godard : «Il a toujours demandé pourquoi tout devait être explicite.» Miuccia a récemment commandé une recréation de l’espace de travail du cinéaste pour la fondation Prada, l’institution culturelle qu’elle dirige avec son mari, le président du groupe Prada, Patrizio Bertelli.
Intitulée Le Studio d’Orphée, c’est une installation permanente où les visiteurs peuvent admirer l’univers de Godard, ses livres, ses meubles et ses objets personnels. Grâce à la Fondazione, Prada a trouvé une échappatoire à la mode ; elle a fini par comprendre que ce métier «superficiel» offrait certains avantages, comme disposer de cette tribune culturelle. Elle a pu ainsi collaborer avec des artistes comme Wes Anderson, Luc Tuymans et Theaster Gates. Prada incarne une certaine liberté dans le monde de l’art. De son point de vue, les artistes ont été mandatés pour provoquer, pour parler ouvertement, pour choquer. «Je les perçois un peu comme une espèce protégée», dit-elle en plaisantant.
Les ventes sont un sujet litigieux pour le groupe Prada. De 2014 à 2017, les bénéfices se sont érodés. La créatrice a été agacée par des articles suggérant que ces résultats reflétaient une forme d’échec. «Mon mari et moi ne nous réveillons pas chaque matin en pensant à gagner de l’argent. Par chance, nous en avons gagné, mais ce n’est pas notre but. Bien au contraire, notre ambition est de pérenniser la maison et ses marques – ce qui devrait être considéré comme un mérite, surtout aujourd’hui.» Ce qui rend Prada si intéressante en tant que designer, c’est en partie son rapport ambivalent aux notions de succès et de popularité. «Je n’ai jamais plu aux classiques, ni à l’avant-garde. Et c’est justement ce que j’aime», dit-elle à propos de ses débuts. D’ailleurs, selon elle, la situation n’a pas vraiment évolué. «Déranger, avec quelque chose de très discret, mais de profond… Quand j’y parviens, même si ce n’est pas très fréquent, je suis contente. Ça me plaît d’être dérangeante.» Aujourd’hui, face aux reproches, elle n’essaie plus de changer comme elle le faisait à ses débuts, «en réponse aux critiques qui voulaient faire de moi une vraie styliste».
Dans son bureau, au troisième étage du siège de la société, la décoration évoque divers moyens de s’évader du monde de la mode et du commerce. Sur le mur, une toile de la série des «Five Doors» du peintre allemand Gerhard Richter, réalisée en 1967, montre une rangée de cinq portes blanches plus ou moins ouvertes, certaines complètement, d’autres entrebâillées. Au milieu de la pièce se trouve la bouche d’un grand toboggan en aluminium signé d’un autre artiste allemand, Carsten Höller, qui vous projette jusque dans la cour (les invités ont l’autorisation de l’emprunter, mais un employé doit auparavant glisser dessus pour débarrasser la rampe de toute poussière, comme un chiffon humain). Madame Prada entre dans son bureau par une vraie porte sur la droite; elle est vêtue d’une chemise en coton bleu et d’un pantalon assorti, avec un pull marine et des mocassins noirs à talons plats. Bien que souvent mythifiée pour son intelligence et son côté impénétrable, elle se montre chaleureuse et manifeste par moments une attitude joyeusement conspiratrice. Ses réponses sont rarement lapidaires. Elle m’interrompt régulièrement quand je pose une question pour mieux développer sa réponse à la précédente. Nous parlons grossesse et enfants, et elle me donne des conseils avec cette tendresse particulière d’une femme qui prend le temps de transmettre son expérience à une de ses semblables. «Il n’y a pas de plus grand plaisir que de servir ses enfants…» Miuccia a deux fils, dont l’un, Lorenzo Bertelli, vient de renoncer à une carrière de pilote de course pour diriger l’équipe marketing du groupe Prada. Elle a avec son mari une relation connue pour être explosive. À la maison, comme dans l’atelier de création, elle s’applique à tester les conventions qui régissent les deux sexes.
rencontre
La carrière de Miuccia Prada est une longue cogitation sur le quotidien et les choix des femmes. «Toute ma vie, j’ai essayé de comprendre pourquoi, malgré notre intelligence, malgré notre culture, nous sommes toujours en lutte au bout de 3000 ans.» Certains ont appelé 2018 «l’année de la femme», mais elle doute que les prétendus pouvoirs récemment acquis soient aussi significatifs qu’on a pu l’affirmer. «Il y a tant à penser, tant à débattre et à comprendre sur la place des femmes. Au risque de redouter la force physique. Si vous êtes confrontée à un homme très costaud, inconsciemment, mais consciemment aussi, vous savez qu’il aura le dessus. La puissance physique compte beaucoup… et vient un moment où vous la bouclez. Et même si vous n’avez pas peur que cette personne vous frappe, vous avez quand même conscience du risque de l’agression, vous le sentez d’instinct, c’est inscrit dans notre ADN.»
Vers la fin de notre entretien, Prada me complimente sur ma chemise. C’est une de ses créations, fermée par une rangée de boutons dans le dos. Je lui confie que je la porterais plus souvent si je pouvais la boutonner toute seule. Mais les épaules très ajustées et l’emplacement des boutons font que je ne peux la mettre que quand mon compagnon est là pour m’aider. «Ainsi vous avez le plaisir d’être une femme d’autrefois, dit-elle en souriant. J’aime beaucoup ça. C’est agréable de faire les deux, je décide chaque fois de l’expérience à vivre.» Sur les vertus transformatives des vêtements féminins, Miuccia Prada fait preuve d’un scepticisme intelligent. «Le pouvoir est dans la tête. Oubliez les vêtements. Ils vous aident seulement si vous voulez vous amuser avec. Si vous voulez être puissante, si vous voulez être sexy, c’est toujours dans la tête. Jamais dans les vêtements.» Elle s’interrompt. «Mais bon, le choix des vêtements s’effectue aussi dans la tête. Vos choix font partie de votre personnalité. Partie de vos idées. Je ne ferais pas confiance à un bon architecte dont la maison serait moche.» Comme un architecte possédant une belle maison, un créateur de mode, d’après elle, doit croire dur comme fer à tout ce qu’il fait. Lorsque je lui demande s’il est important que ses collections soient «sincères», elle acquiesce avec solennité. «Une fois, j’ai fait une collection entièrement en coton et, à un moment donné, quelque chose ne marchait pas, je ne pouvais pas utiliser de coton et ça m’a exaspérée. Personne n’a rien remarqué – c’étaient sans doute des dessous –, mais j’ai détesté. Ça m’a déstabilisée.»
«Authenticité» a beau être un mot galvaudé dans la culture actuelle, c’est ce à quoi vise Prada. Pour elle, les choses devraient être profondément sérieuses, ou honnêtes en ce qui concerne leur frivolité; le problème survient lorsqu’une chose superficielle est vendue comme une pièce lourde de sens. Les idées sont valables, aux yeux de Prada, si elles sont mûrement réfléchies : pensées, documentées, approfondies. Mais elles sont également valables si elles sont motivées exclusivement par le caprice, par cette fantaisie changeante qu’est le goût : «Tout a du sens… si vous êtes sérieux dans ce que vous faites, ou si une chose vous touche vraiment.» Plus qu’une recherche de la création pour la création, les collections de Prada ont en commun un intérêt pour les concepts – des notions élastiques telles que la laideur ou la bienséance. «Quelquefois je déteste le design pour le design, d’autres fois non. Le design, cette saison, n’a pas la cote, mais il l’aura sûrement la saison prochaine», dit-elle du défilé qu’elle présentera en janvier. Elle s’interrompt. «Enfin, qui sait, j’ai encore une vingtaine de jours…»
Prada est connue pour élaborer ses collections à la dernière minute et les finaliser en l’espace de quelques jours. Le cycle constant de la mode est exténuant pour tous les designers. Même les plus organisés travaillent sans relâche jusqu’à l’ultime seconde. Depuis un moment, elle réfléchit à de nouvelles façons de gérer une entreprise de mode. Certaines sont influencées par son travail dans l’art. Lors d’une conversation avec son confrère Raf Simons, publiée en 2016 dans le magazine System, Miuccia Prada se demandait si une maison de couture pouvait inviter, à la manière d’un commissaire d’exposition dans un musée, un chargé de création qui signerait la collection Prada le temps d’une saison. «Je serais aux anges si Miuccia faisait une collection Raf Simons pour une saison; je ferais une saison pour Marc Jacobs à New York, et Marc en ferait une pour Prada; je pense que le public adorerait», affirmait Simons dans l’article. «Tout à fait d’accord!», avait répondu Prada. Depuis, les rumeurs abondent sur une collaboration avec Simons, que ce soit pour la marque Prada ou pour sa petite soeur, Miu Miu. «Rumeur, rumeur», réplique Prada quand on l’interroge. D’après elle, les collaborations en matière de mode méritent une réflexion approfondie. «“Quel est le véritable sens d’une collaboration ?”, me demandet-on souvent.» Si elle a accepté dernièrement de travailler avec Adidas, c’est parce que ce projet lui permettait de créer des sneakers de bateau pour la Coupe de l’America, explique-t-elle: «Une collaboration doit avoir un sens. Une vraie signification.»
Plus tard ce soir-là, à mon retour à Londres, le sondage sortie des urnes annonçait une victoire écrasante de Boris Johnson et des conservateurs. Les messages de Jeremy Corbyn et de la gauche n’ont pas été entendus des électeurs. Miuccia Prada avait prévu la défaite. «La gauche ne fait que diviser, diviser, diviser, et ouvrir le champ aux autres. Quel gâchis !» Elle m’a confié qu’une des pires périodes de sa vie était celle de son engagement politique, quand elle avait 25-26 ans. Elle avait beau avoir de solides convictions, dans d’autres domaines, elle était paumée. «Je ne savais pas qui j’étais.» Il avait fallu qu’elle rencontre son mari et devienne créatrice pour que ça fasse tilt. La quête de la plénitude peut être longue, avons-nous convenu.
Les problèmes peuvent mettre du temps à se régler. «L’important dans la vie, c’est d’essayer de définir qui vous êtes, ce qui vous intéresse, et ensuite de vous lancer, avait-elle affirmé, en tapant à nouveau sur la table. Savoir qui l’on est, c’est ça l’essentiel. Alors tout peut arriver, les bonnes comme les mauvaises choses, mais au moins, on sait qui l’on est.»