FILLE DE TÊTE
Depuis son arrivée chez Maison Michel, la directrice artistique a donné un vrai coup de jeune au vénérable chapelier parisien, propriété de Chanel. Elle sort désormais quatre collections par an autour d’un savant mélange de savoir-faire artisanal et de mosaïque de styles, avec même une édition de pièces un peu folles en série ce printemps : Legay Parade.
Depuis son arrivée chez Maison Michel, la directrice artistique a donné un vrai coup de jeune au vénérable chapelier parisien, propriété de Chanel. Elle sort désormais quatre collections par an autour d’un savant mélange de savoir-faire artisanal et de mosaïque de styles, avec même une édition de pièces un peu folles en série ce printemps : Legacy Parade.
Priscilla Royer a grandi loin de l’univers du luxe parisien. «Nous habitions avec mes parents et mes trois soeurs une maison dans la Marne, perdue au milieu de nulle part, se souvient-elle. Cet environnement m’a offert, enfant, une liberté folle. La nature était notre terrain de jeu. Nous construisions des cabanes et moi j’imaginais le vestiaire pour aller avec. Comme nous ne nous ressemblons pas avec mes soeurs, j’essayais de prendre en compte leurs différences, d’imaginer les accessoires qui allaient coller à leur personnalité.
Sans doute parce que ma mère nous habillait toutes de la même manière.» Très tôt aussi, elle découvre le plaisir du fait main, apprend le crochet, taille pour ses Barbie des tenues dans des chaussettes. Ce goût précoce pour la mode et l’artisanat n’est sans doute pas étranger au fait que Priscilla Royer ait été nommée directrice artistique de Maison Michel en 2015. Et qu’elle ait su transformer, à 31 ans seulement, le vénérable chapelier parisien, fondé en 1936, en blockbuster de l’accessoire.
Cinq ans plus tard donc, les ateliers ne chôment pas avec quatre collections annuelles de prêt-à-porter (chacune comptant 140 références), des modèles créés tous les deux mois pour Chanel, propriétaire de la maison depuis 1997. La fin de l’année 2019 a été particulièrement intense avec l’ouverture d’une nouvelle boutique à Londres, dans le quartier de Mayfair. Autant dire que Priscilla Royer a les épaules bien solides, même si on ne les voit pas d’emblée sous son physique de blonde longiligne au visage angélique. En ce matin maussade de janvier, elle nous accueille dans les ateliers du chapelier, à Aubervilliers, après avoir garé son vélo comme à son habitude (vingt kilomètres la séparent de son domicile de Meudon) et enlevé son casque. Rouler à bicyclette est la seule occasion durant laquelle Priscilla Royer s’interdit de porter des chapeaux, mais elle en glisse toujours un dans son sac comme le Souma, un hybride de cloche et de bob, son favori du moment.
En réalité, tous les modèles de Maison Michel passent par sa tête. «Je les essaie tous et je fais des selfies avec, cela me permet de vérifier l’allure qu’ils donnent, d’imaginer le look qui leur correspondrait… Mon approche du chapeau est très spontanée, explique-t-elle. Si une pièce ne fait pas envie, c’est qu’elle n’est pas réussie : la technique ne doit jamais prendre le pas sur la mode.»
avec les ateliers où travaillent une douzaine de personnes, le dialogue est constant et plus efficace que tous les croquis du monde. «Ici, on est tout de suite fixé sur ce qui peut marcher. En une demi-journée, une idée peut devenir un modèle», poursuit-elle. À chacun sa spécialité. Dans la chapellerie, que Priscilla Royer compare souvent à une cuisine, Sharif, trente ans de métier, passe les cloches de feutre dans l’étuve de vapeur avant de les étirer comme de la pâte à pizza sur un moule en bois pour leur donner la forme désirée. Là, Blanche monte sur une machine centenaire un canotier en rubans de paille cousue, tandis que les modistes jouent de l’aiguille, l’une pour coudre en volume un turban de tulle, l’autre pour greffer sur Jamie, une casquette en feutre, les fameuses oreilles de chat qui déchaînent la passion de véritables collectionneuses.
«Beaucoup viennent chercher en boutique la couleur de la saison. Car quand on a trouvé son modèle, c’est assez magique. Le chapeau signe un look mais il est plus que cela: il devient un reflet de nous-mêmes car c’est le seul accessoire qui ne nous quitte pas quand nous nous regardons dans le miroir.» Ou dans notre téléphone (merci influenceuses et réseaux sociaux!)…
Très tôt, Priscilla Royer a su qu’elle se destinait à la création. Après le Studio Berçot à Paris, elle part pour Londres : direction la Central Saint Martins. S’ensuit un premier job chez Vivienne Westwood, son idole, au showroom puis au studio, et enfin à la création de Red Label. «Je m’y suis débridée de tout, expliquet-elle, car j’avais une totale liberté. J’ai appris à sortir de la coupe traditionnelle, à voir le corps différemment, en dehors des codes esthétiques parisiens : il faut aller à Londres pour découvrir cela !» De retour à Paris, elle lance en 2011 sa marque, Pièce d’Anarchive, avec sa soeur Deborah et une amie, un joli succès couronné, l’année suivante, par le prix de la première collection de l’Andam. Mais en 2014, l’aventure s’arrête. C’est à ce moment-là qu’elle reçoit un appel de Bruno Pavlovsky (président des activités mode de Chanel) et de Virginie Viard (alors bras droit de Karl Lagerfeld) lui proposant la direction artistique de Maison Michel. Le chapelier, qui fait partie des métiers d’arts rachetés par le groupe de luxe (bientôt regroupés porte d’Aubervilliers au sein de 19 M, un complexe de 25 000 m² pensé par l’architecte Rudy Ricciotti), est en pleine mutation. En 2006, une ligne de prêt-à-porter a été lancée sous la direction artistique de Laetitia Crahay. Le succès d’image auprès des célébrités est là, reste à faire entrer les chapeaux Maison Michel dans la vraie vie.
Même si l’impertinence et le glamour font partie de l’ADN, Priscilla Royer ouvre l’éventail des styles et de la clientèle, aux hommes notamment, fans historiques de la maison.
«Je pense mes collections autour de grands archétypes, un peu comme dans un jeu des 7 familles, explique-t-elle. On trouve par exemple la capeline de la mère bourgeoise, les petites oreilles de la fille hyper kawaï, le bob un peu street du fils. Il faut que tout le monde puisse trouver quelque chose qui lui plaise. Ma mission, c’est de désacraliser le chapeau, de le rendre plus accessible.» Elle casse donc ses codes élitistes en introduisant des pièces en coupé-cousu façon casquettes de gangsters ou petits bérets, et une dimension pratique, naturelle à cette fille d’agriculteur, avec des chapeaux à emporter partout et sous n’importe quelle météo, en paille roulée ou en feutre waterproof. Après cinq ans de bons et loyaux services, Priscilla Royer semble s’être autorisée pour 2020 un programme plus libre et (ré)créatif.
Au programme: Legacy Parade, une mini-collection de pièces en édition très limitée, réalisées à partir de stocks et de formes un peu folles puisées dans les riches archives de la maison (3000 «bois» y sont ainsi conservés). «Je trouvais dommage de laisser dormir des matières premières aussi incroyables juste parce qu’elles n’étaient pas en quantité suffisante pour lancer une production, explique-t-elle. Et puis j’avais envie aussi, je crois, de rajouter un brin de spontanéité dans mon travail.» Le second volet de cette ligne, sans calendrier ni saison, arrivera en mars dans la boutique de la rue Cambon. Et comme nos premières amours nous rattrapent toujours, Priscilla Royer n’échappera pas ce printemps à sa passion pour la photographie, «ma vocation première, avant la mode», avoue-t-elle. Paolo Roversi l’a invitée à faire partie du jury photo du 35e festival de mode et de photographie de Hyères qu’il préside cette année. «Je l’ai rencontré à l’époque de Pièce d’Anarchive. Comme il aimait bien le nom de notre marque et nos vêtements, il avait accepté de faire le premier lookbook. De fil en aiguille, nous sommes devenus amis.» C’est lui aussi qui a signé l’un des plus beaux portraits de Priscilla Royer, pris lors de son arrivée chez Maison Michel en 2015: la créatrice y arbore une pyramide de feutres d’hommes, étrangement en équilibre sur son frêle carré blond platine. Elle en a sous le chapeau, c’est certain !