ART: MAX MARA, COLLECTION PARTICULIÈRE
Grand amateur d’art contemporain, Achille Maramotti, fondateur de la marque italienne, a acquis des centaines d’oeuvres désormais exposées dans l’ancien siège de la marque à Reggio Emilia. Visite d’un musée privé conçu au fil des envies et où les artistes ont carte blanche.
Grand amateur d’art contemporain, Achille Maramotti , fondateur de la marque italienne, a acquis des centaines d’oeuvres désormais exposées dans l’ancien siège de la marque à Reggio Emilia. Visite d’un musée privé conçu au fil des envies et où les artistes ont carte blanche.
il y aura peut-être une légère brume sur la route. La région est réputée pour. Elle l’est aussi pour son parmesan et ses raviolis à la courge qui valent à eux seuls le détour. Mais si les amateurs d’art se pressent jusqu’à Reggio Emilia, à plus de deux heures de Milan et de Rome, c’est d’abord pour la collection Maramotti, une des plus émouvantes et singulières collections particulières d’art contemporain ouverte au public. Soient 250 oeuvres exposées par ordre d’acquisition et de création. L’entrée est gratuite. Seules exigences: annoncer sa visite et lui accorder deux ou trois heures de son temps, parenthèse nécessaire pour parcourir les quarante-deux salles de la collection permanente.
Il faut, pour l’atteindre, s’échapper du centre-ville, rejoindre ses faubourgs et retrouver l’allée pavée qui mène à l’entrée d’un bâtiment brutaliste de la fin des années 50. Là où tout a débuté. Où Achille Maramotti, fondateur de la marque Max Mara et collectionneur engagé, a commencé à accrocher aux murs de son QG les artistes contemporains qui l’avaient touché. Pour que ses employés, stylistes, couturiers passent devant chaque jour, s’en inspirent et s’ouvrent à cette culture. La manufacture a déménagé depuis, mais le carrelage au sol marqué par le temps et les tableaux sont restés.
En 2007, deux ans après la mort de leur père, les enfants d’Achille Maramotti ont dédié le lieu et ses 10 000 mètres carrés à la collection familiale. Le 66 de la via Fratelli Cervi est devenu un lieu d’exposition. Pas une fondation à la Prada (Milan) ou à la Fendi (Rome), plutôt un musée privé, indépendant de tout financement public. Il serait dommage de passer à côté.
Car Achille Maramotti avait un oeil, du flair et un intérêt sincère pour le langage des artistes de son époque. Il commence à arpenter les galeries au début des années 60. Il pousse la porte des ateliers, tisse des liens avec les artistes, et achète. Beaucoup. Près de 450 oeuvres. Principalement de la peinture des années 40 à nos jours. Des premiers travaux d’Alberto Burri à la puissante barque de Claudio Parmiggiani (aujourd’hui suspendue entre le premier et le deuxième étage du bâtiment), d’Enrico Castellani aux toiles poétiques d’Osvaldo Licini, des coups de cutter de Lucio Fontana à Jean Fautrier, des figures incontournables de l’Arte Povera (Jannis Kounellis, Giovanni Anselmo, Michelangelo Pistoletto, etc.) à celles du pop art italien (Mario Schifano, Cesare Tacchi…), en passant par des représentants du néo-expressionnisme
allemand, de la nouvelle géométrie ou de la trans avant-garde italienne (Mimmo Paladino), le collectionneur est attentif aux mouvements qui émergent en Italie et en Europe. Et au-delà.
Ses échanges avec Mario Diacono, son ami critique d’art installé aux États-Unis, l’éveillent aux artistes américains. Très vite il repère Jean-Michel Basquiat, Cy Twombly, Francis Bacon. Les rejoindront ensuite sur les murs de la manufacture (dans le désordre) Georg Baselitz, Julian Schnabel, Alex Katz, Anselm Kieffer, Gerhard Richer…
Depuis, les héritiers d’Achille Maramotti ont presque triplé le fonds de la collection. Sans calculs, sans board pour prendre les décisions. Fidèles à la ligne originelle et porteurs de ses valeurs : le soutien aux jeunes artistes contemporains, souvent inconnus mais animés d’une urgence à créer et à faire passer un message. Seuls garde-fous et critères d’achat : le coup de coeur, l’audace et le dialogue. Pas question de spéculer sur la cote des artistes, les pièces ne sont pas destinées à être revendues. D’où une liberté totale, garante d’une collection de caractère et anticonformiste.
Désormais, la plupart des oeuvres qui entrent sont conçues pour la collection. Les artistes ont (quasiment) carte blanche, du temps pour créer, de quoi produire et une place garantie au rez-de-chaussée, l’espace réservé aux expositions temporaires. Ils ont aussi leur mot à dire sur l’accrochage, les catalogues, etc. Le Russe Evgeny Antufiev a demandé que le visiteur enfile des surchaussures avant de visiter son installation. Jules de Balincourt a peint (entre autres) un GI aux couleurs psychédéliques, symptôme de stress post-traumatique. On le retrouve au deuxième étage, celui des dernières acquisitions. À quelques pièces de là, c’est le paysage du futur anticipé par le Tchèque Krištof Kintera qui se visite: fleurs de câbles électriques aux airs de carottes sauvages et constructions urbaines à base de circuits électroniques et d’unités centrales de PC.
C’est aussi pour la collection qu’en 2012, la sculptrice américano-pakistanaise Huma Bhabha a produit pièces et dessins. Six ans après, le Metropolitan Museum of Art de New York l’invitait à exposer sur son rooftop, signe ultime de consécration. Tandis que l’artiste Margherita Moscardini développe sa réflexion et sa cartographie des fontaines construites par les Syriens réfugiés dans le camp de Zaatari en Jordanie.
Peu de femmes encore sur les murs, reflet du marché de l’art actuel. Leur production représenterait 11 % des acquisitions par les institutions*. Mais la collection Maramotti travaille activement à augmenter ce pourcentage. Depuis quelques années, les artistes féminines sont plus nombreuses qu’avant à faire leur entrée ici. L’accrochage actuel accorde une pièce entière aux tableaux insondables de Margherita Manzelli. L’année dernière, il a aussi été décidé de remettre en valeur les collages antiracistes d’Helen Gallagher, les visages d’Alessandra Ariatti, les stéréotypes de genre dénoncés par Rosemarie Trockel, ou les toiles de Chantal Joffe, qui peint exclusivement des personnages féminins. Depuis 2005, la collection Maramotti s’est associée à la très sérieuse et précurseure Whitechapel Gallery de Londres pour décerner le Max Mara Art Prize for Women à une jeune artiste installée en Angleterre. Résidence de six mois en Italie organisée par la maison à la clé. À la fin du semestre, la lauréate voit évidemment son travail exposé dans une des salles du rez-de-chaussée du 66 via Fratelli Cervi.
* In Others Words & Artnet News.
Collezione Maramotti, 66, via Fratelli Cervi, Reggio Emilia. llezionemaramotti.org