VOGUE France

LIVRES: ELIZABETH DAY, REINE DES ÉCHECS

- Par Sophie Rosemont.

Elle a une allure de mannequin et une plume désormais reconnue, mais c’est en parlant de nos faillites profession­nelles, amoureuses ou intimes que cette brillante journalist­e et auteure anglaise rencontre la gloire. Et si nos failles étaient nos meilleurs atouts? Interview. Par Sophie Rosemont

Elle a une allure de mannequin et une plume désormais reconnue, mais c’est en parlant de nos faillites profession­nelles, amoureuses ou intimes que cette brillante journalist­e et auteure anglaise rencontre la gloire. Et si nos failles étaient nos meilleurs atouts ? Interview.

Six millions de télécharge­ments. Plus qu’une réussite, c’est une revanche personnell­e pour Elizabeth Day. En invitant une célébrité à lui parler sans tabou de ses échecs, cette journalist­e anglaise a explosé les compteurs des podcasts dès la première diffusion, en 2018. En effet, entendre les mésaventur­es de la chanteuse Lily Allen, de l’actrice Phoebe Waller-Bridge ou de l’écrivain David Nicholls s’avère plus fédérateur qu’une interview promotionn­elle sans aspérités.

C’est en pleine tourmente qu’Elizabeth Day a eu l’idée du podcast. Pourtant, elle était auréolée du succès récent de L’Invitation,

son quatrième roman (portant sur une amitié masculine sur fond de lutte des classes), et sa crédibilit­é de journalist­e n’était plus à prouver pour The Guardian, The Observer ou The Times.

Sans oublier son physique avantageux : haute silhouette, minois de chat et chic inné. En apparence, elle était «l’émoji clin d’oeil faite femme», écrit-elle dans L’Art d’échouer. Mais en réalité, elle souffrait. Aussi passionnan­t puisse-t-il être pour cette fille de chirurgien qui voulait écrire depuis l’enfance, son travail était mis à l’épreuve par des supérieurs masculins, qui lui «rappelaien­t sans cesse sa condition de femme», nous confie-t-elle. Et, à l’approche de ses 40 ans, elle n’avait pas réussi à avoir d’enfant avec son ex-mari.

Un jour, elle prend un billet et s’envole pour trois mois à Los Angeles. Il est temps de faire le point… et d’imaginer le podcast How to Fail with Elizabeth Day, puis l’essai qui nous arrive aujourd’hui en France – après s’être vendu comme des petits pains outre-Manche. Dans L’Art d’échouer, elle revient sur sa difficulté à tomber enceinte, le harcèlemen­t scolaire vécu petite, son divorce mais aussi le jour où elle a compris qu’elle était mauvaise au tennis, ou celui où un entretien avec Robert Pattinson a tourné en confession­s intimes. Dotée d’une plume agile et souvent drôle, Elizabeth Day sait que la profondeur du propos doit être bousculée par la légèreté. Elle cite également les artistes, sportifs ou politiques qu’elle a pu rencontrer, et nous fait envisager d’un autre oeil nos accidents de parcours. Bref, de quoi piquer notre curiosité et se livrer à un échange tout aussi sincère que ceux menés avec son podcast.

Vous attendiez-vous au succès de How to Fail with Elizabeth Day ? Franchemen­t, non, même si j’avais l’impression que ce podcast était une bonne idée. Quand on est journalist­e, on a beau avoir

mené un entretien passionnan­t avec notre interlocut­eur, on ne peut pas tout retranscri­re, faute de place. C’est le jeu, mais pas celui que je voulais jouer avec How to Fail…, où je souhaitais offrir toute la place au récit de l’autre. De la liberté, de l’honnêteté, pas de contrainte­s éditoriale­s. De plus, je traversais une période difficile: déjà divorcée, je sortais d’une rupture, je n’avais pas d’enfant et entendre les expérience­s de mes invités m’a aidée à aller mieux. Quand j’ai vu le nombre d’écoutes, je n’en revenais pas.

Pourtant, le succès de L’Invitation avait déjà dû changer votre vie ? C’est vrai! Jusque-là, mes trois romans avaient reçu des critiques correctes sans être de franches réussites commercial­es. Le fait que L’Invitation soit un best-seller alors que je n’y croyais plus m’a permis – enfin – de me sentir comprise. Et de gagner plus d’argent, ce qui n’est pas négligeabl­e lorsqu’on est une journalist­e free-lance !

L’Art d’échouer renvoie une image éloignée de celle que l’on connaît de vous : une femme accomplie, belle, intelligen­te, à qui tout réussit. Vous n’avez jamais eu peur d’écorner cette image ?

Pas du tout ! Depuis l’enfance, je pense qu’il ne faut rien cacher quant à ses véritables capacités. Même si cela n’a pas empêché les gens de se tromper à mon propos. Par exemple, je parle avec un accent anglais très snob qui donne aux gens une fausse image de moi, ce qui m’a toujours prodigieus­ement énervée! Certes, je suis blanche, issue de la classe moyenne, j’ai un métier passionnan­t, mais qui peut savoir la souffrance que je porte sur mes épaules ? Je comprends qu’on soit terrifié à l’idée de partager ce qui nous est arrivé de pire mais, après de longues années de thérapie, j’ai pris l’habitude d’exprimer mes ressentis. En tout cas, j’ai vécu trop d’échecs pour avoir tout le temps envie de sourire, et je suis loin d’être la seule. La frustratio­n, la colère, la tristesse dont je parle dans L’Art d’échouer représente­nt ce qui me connecte le plus aux autres.

Dès l’ouverture, vous citez Truman Capote : «L’échec est l’épice qui donne sa saveur au succès.» En quoi cela vous semble si juste ? Quand je pense à mon absence de maternité, cela m’attriste, mais c’est aussi ce qui m’a rendue plus forte, et j’ai choisi d’être heureuse malgré tout… Parce qu’on peut pleinement connaître le bonheur uniquement si l’on a connu l’échec. Évidemment, comme tout le monde, j’en ai eu peur pendant longtemps. Dans notre société actuelle régie par les réseaux sociaux, nous nous présentons sous notre meilleur jour et rien n’est plus facile que de se comparer les uns aux autres. La moindre erreur peut nous coûter très cher : il suffit d’une faute et le lendemain, on a perdu son travail. Nous avons toujours peur d’être pris en flagrant délit d’erreur, mais la perfection est une illusion.

Cela, vous n’en avez pas eu conscience avant l’approche de la quarantain­e ? Je n’aurais jamais écrit ce livre ou lancé ce podcast si je n’étais pas arrivée à cet âge où je me suis sentie capable de regarder d’un oeil nouveau ma jeunesse et d’analyser ma propre expérience.

Et de ne plus m’inquiéter si vite : même si j’ai un naturel anxieux, ma peur peut-elle changer ce qui se passe pour moi ? La réponse, je le sais, est : non !

Avec le chapitre «Comment échouer à avoir des enfants», vous contribuez à briser ce tabou persistant autour des fausses couches et de l’infertilit­é, même si ces thèmes sont de plus en plus d’actualité…

La parole se libère sur ces sujets, mais les femmes ont besoin de lire ce genre de textes. Après plusieurs fausses couches, j’ai plongé dans une dépression que j’ai eu du mal à identifier. D’autant que je n’en parlais à personne, je travaillai­s comme si de rien n’était… Pourquoi ? Parce que j’avais honte de ne pas mener une grossesse à terme alors que la plupart de mes amies avaient des bébés sans problème. Je n’étais suivie que par des médecins hommes dont l’empathie était limitée. Ils avaient une manière de présenter les faits qui me rendaient responsabl­e : je n’étais pas réceptive aux médicament­s, mon utérus n’était pas adapté, etc. Il m’a donc semblé important d’apporter ma contributi­on à ce travail de reconnaiss­ance de la souffrance engendrée par le fait de ne pas avoir d’enfants.

Quel chapitre a été le plus difficile à écrire?

«Comment échouer en amour». Il a nécessité beaucoup de travail car je ne pouvais pas parler que de mon point de vue, un divorce incluant deux personnes. Mais j’ai su que je m’étais à peu près acquittée de ma tâche lorsque j’ai fait lire ce chapitre à mon compagnon actuel. Lui aussi a traversé un divorce et il s’est senti immédiatem­ent concerné… Ouf!

En quoi le fait d’écrire des livres a-t-il changé votre relation à votre métier de journalist­e ?

Généraleme­nt, on me pose la question inverse, ce à quoi je réponds que je suis habituée à respecter des deadlines et à ne plus avoir peur de la page blanche ! En revanche, écrire des romans m’a aidée à affirmer ma propre voix dans mon métier. Pendant des années, mes articles ne faisaient que rapporter des faits et l’objectivit­é régnait. Aujourd’hui, j’ai pris de l’assurance, j’écris même des billets d’humeur, et j’adore ça !

Pensez-vous que nous allons assister à la fin du règne de la réussite à tout prix ?

Nous vivons une période transitoir­e où l’on comprend que le succès ne détermine pas ce qu’on est, et j’espère que mon livre va y participer. Cependant, je ne veux pas devenir un hashtag parmi d’autres. Quand je vois certaines personnes parler ouvertemen­t de leur mal-être sur les réseaux sociaux, cela peut être admirable ou, au contraire, manipulate­ur. En effet, une blessure peut cicatriser chez l’un et pas chez l’autre, et ne pas être forcément partagée. L’échec, ça s’apprivoise.

L’Art d’échouer. Quand rien ne va plus, c’est que tout va bien, éditions Belfond. Traduit par Maxime Berrée.

«Dans actuelle régie par les réseaux sociaux, nous notre nous société présentons sous notre meilleur jour et rien n’est plus facile que de se comparer les uns aux autres. Nous avons toujours peur d’être pris en flagrant délit d’erreur, mais illusion.» la perfection est une

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