VOGUE France

FLASH-BACK Berlin par William Klein, Vogue Paris, février 1962. Par Arthur Dreyfus

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En 1962, Vogue se pose à Berlin, champ de bataille d’un conflit mondial achevé depuis dix-sept ans à peine – soit une minute, au regard de l’Histoire. Le magazine se choisit pour oeil le grand William Klein, connu pour faire descendre les mannequins dans la rue. Or la mode aussi est une guerre. Une rivalité perpétuell­e entre l’ancien et le neuf, menée à coups de canons de styles, de coupes affûtées, de couleurs explosives… Au demeurant, l’idée d’un monde mort balayé par des lendemains qui chantent imprègne chaque image, chaque ligne de ce reportage allemand. «Audacieux et vifs», «tout en transparen­ce», les bâtiments de la ville ressuscité­e qu’est Berlin-Ouest font écho aux vêtements.

Derrière telle façade vitrée : un «tailleur rouge à double boutonnage». Devant telle église à moitié détruite : un «manteau près du corps noué à la taille, croisé en lainage citron, mi-redingote, mi-pardessus». Compulsant ces légendes, on se demande s’il est question de couture ou d’architectu­re. À moins que ces deux domaines ne soient le même, et que tout s’avère question d’échelle…

De fait, avec le recul, ce flash-back matérialis­e l’esprit berlinois (donc européen) de la fin du baby-boom, à l’orée de la révolution soixante-huitarde… Façon Barthes, plongeons dans son Empire des signes : au premier plan, un panneau indiquant sans détour où l’on se trouve. À l’arrière-plan, une invitation à s’enfuir hors du cadre. Pour aller où ?

Aux États-Unis pardi, terre rêvée d’une jeunesse effarée par la violence de ses aînés. Et comment ? À bord de cette berline dans le flou, qui pourrait bien être une Ford Mustang… Seulement pour conduire, il faut un humain résolu à partir. Et notre conductric­e en chef tangue entre l’est et l’ouest. Oui: tout dans sa posture évoque la divergence entre deux directions: ces escarpins pointés en flèches opposées ; ce buste juché sur des hanches décalées, le madison et le rock venant déjà titiller notre parfaite femme d’intérieur, pétrifiée dans son «chandail à col roulé»…

L’encadré confirme cette indétermin­ation: «Berlin… point d’interrogat­ion de l’Europe, ville coupée en deux, mais où la vie continue, avec son trafic, ses buildings ultra-modernes, ses souvenirs, ses restaurant­s, comme si le Mur n’existait pas.» Abracadabr­a! De l’indétermin­ation, on passe à la magie. C’est-àdire à ce pouvoir singulier que possède la mode de «produire du demain» avant l’heure. Car en 1962, les jeunes femmes ne veulent plus ressembler à leurs mères. Et la meilleure manière de se réinventer, c’est de commencer par changer de peau. Cut. Le New Look appartient déjà au passé? Place au New New Look.

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Par Paris, février 1962.
Arthur Dreyfus.
Berlin par William Klein, Vogue Par Paris, février 1962. Arthur Dreyfus.

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