L’HOMME AUX BIJOUX
ALESSANDRO MICHELE porte des bagues à chaque doigt. Se nourrit de bijoux anciens. Invente la nouvelle doxa d’être soi. Depuis cinq ans, le directeur artistique de GUCCI transforme tout ce qu’il touche en or.
Alessandro Michele porte des bagues à chaque doigt. Invente la nouvelle doxa d’être soi. Depuis cinq ans, le directeur artistique de Gucci transforme tout ce qu’il touche en or.
Par Fabienne Reybaud, photographe Carlijn Jacobs, réalisation Anastasia Barbieri
Avec sa longue chevelure lisse, ses lunettes, à la limite de l’hypertrophie, et son éventail noir qui témoigne plus de la chaleur ambiante que d’une posture pédante ou pseudoécologique, Alessandro Michele ressemble à un néo-hippie.
À part qu’en une demi-décennie, il est parvenu à transformer Gucci en une mirobolante machine à cash. Poids lourd du groupe Kering, la marque florentine a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 9,6 milliards d’euros, en croissance de 13 %. Celui que la presse encense depuis qu’il a pris les rênes artistiques de Gucci en 2015 apparaît, en compagnie de son attaché de presse, souriant et affable sur l’écran du téléphone, Covid oblige. Parler de bijoux, objets qui par essence relèvent du toucher et de l’intime, via un procédé qui les dématérialise, est une gageure que Michele accomplit avec brio. Il faut dire qu’il les a dans la peau. Cas unique dans l’univers de la mode, le quadragénaire romain a conçu la première collection de haute joaillerie de Gucci «Hortus Deliciarum», présentée en 2019. Il planche désormais sur un second opus évoqué avec un enthousiasme non feint. Comme tout ce qu’Alessandro Michele entreprend. Entretien avec un homme pour qui le bonheur est aujourd’hui dans Gucci.
D’où vous vient votre intérêt pour la joaillerie ? Depuis tout petit, j’adore les bijoux et je pense que cette passion m’a été transmise par ma grand-mère qui était quasiment une collectionneuse. Elle se damnait pour des pièces volumineuses, des grosses bagues, des manchettes imposantes. Cela m’a influencé, au même titre d’ailleurs que mon amour pour l’histoire et les siècles passés. En grandissant, j’ai commencé à collectionner de la joaillerie de différents styles, de différentes époques, en procédant par strates comme un géologue ! J’ai des camées dont certains taillés dans de la lave, des bijoux anglais de l’époque victorienne, des micro-mosaïques néoclassiques italiennes… J’aime l’école romaine, Castellani, et puis je suis toujours à la recherche de pièces aussi plus ordinaires. Je nourris également une grande passion pour les pierres. Mais ce qui me plaît le plus, c’est vraiment le travail artisanal. J’apprécie cette idée de revival d’une autre époque. Les bijoux sont de petits chefs-d’oeuvre. C’est devenu une grande passion car je crois que ces objets ont un pouvoir magique.
C’est cela qui vous a conduit à lancer l’an dernier votre première
collection de haute joaillerie ? Sans doute! Pour «Hortus Deliciarum», que j’ai voulue la plus éclectique possible, j’ai imaginé ouvrir le coffre-fort d’un homme ou d’une femme qui aurait cette même obsession que moi pour les bijoux. C’est une expression chorale avec plusieurs voix issues du classicisme.