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LIVRES : FLIPPER’S, LA FÊTE MADE IN L.A.

Le mannequin Liberty Ross rend hommage dans un livre au légendaire club de Los Angeles fondé par son père. L’occasion de replonger dans la Californie des seventies. rollers... Sur des

- Par Mehdi Dakhli

Le mannequin Liberty Ross rend hommage dans un livre au légendaire club de Los Angeles fondé par son père. L’occasion de replonger dans la Californie des seventies. Sur des rollers...

Certains lieux de fête cristallis­ent une époque et s’ancrent dans la mémoire collective. Le Studio 54 à New York à la fin des années 70, Maxim’s à la Belle Époque ou encore le Palace dans les années 80 à Paris. À Los Angeles à la fin des années 70, la ségrégatio­n est encore très présente dans les faits. Pourtant, un lieu est aujourd’hui encore célébré pour son esprit de liberté et d’inclusivit­é: Flipper’s Roller Boogie Palace. Le club était une version californie­nne de la Main Jaune à Paris – popularisé par La Boum. On pouvait y croiser Cher, Diana Ross ou Prince qui, en 1981, affichait déjà sa «gender fluidity». Le club avait réussi la prouesse de rassembler sous son toit l’élite de l’entertainm­ent américain et les population­s locales de toutes génération­s, couleurs et milieux sociaux confondus qui trouvaient en Flipper’s un exutoire aux frustratio­ns du quotidien. Liberty Ross, mannequin star des années 2000 et fille de Ian Ross, fondateur du Flipper’s, a voulu rendre hommage à cet endroit atypique et joyeux de la fête démocratiq­ue.

Comment vous est venue l’idée du livre et pourquoi avez-vous jugé nécessaire de le publier en 2021 ?

À l’âge de 25 ans, je suis retournée vivre à Los Angeles et depuis, tous les jours, je rencontre des gens qui ont des réactions tellement incroyable­s quand je leur parle de mon père et de Flipper’s. Ils m’ont donné envie d’en savoir plus sur ce lieu et pourquoi il avait eu un tel impact sur la vie de personnes si différente­s. Pour moi, il s’agissait de faire un livre sur

Los Angeles et son histoire. Et je me sens vraiment honorée de pouvoir immortalis­er cette époque pour laquelle la ville n’a pas vraiment d’ouvrage de référence photograph­ique comme New York, Paris ou d’autres grandes villes.

On ne pense pas immédiatem­ent à Los Angeles lorsque l’on parle de fête ou de liberté. C’est une ville où tout se passe à huis clos, les clubs ferment très tôt et il est très difficile de se construire socialemen­t lorsque l’on est un «outsider». On est agréableme­nt surpris en découvrant l’histoire de Flipper’s. Décrivez-nous l’ambiance, la musique, les gens, le décor…

C’est une sorte de petit bijou. Flipper’s est un lieu culte.

Je l’ai réalisé quand j’ai commencé à faire mes recherches. J’étais abasourdie par la liberté dont j’ai été témoin dans ces images, la liberté dans la mode, les coupes de cheveux mais aussi par l’attitude des gens. C’était une sorte d’âge d’or. Tout était si expressif et la musique était incroyable­ment diversifié­e. Vous aviez du punk, du disco et de la new wave… Le club a réussi à capter une foule tout aussi diverse. Tout semblait excessif mais incroyable­ment vivant. L’un des mots qui revient le plus souvent lorsque j’interroge autour de moi, c’est la liberté. Ils se sentaient tous incroyable­ment libres d’être qui ils sont vraiment. Je pense que cela a à voir avec le fait de mettre une paire de rollers. Cela nous met tous au même niveau. Peu importait la classe ou la couleur de peau, que vous soyez célèbre ou pas, tout le monde était là pour faire la fête, juste égaux en patins à roulettes.

On dit souvent que Flipper’s était la version «West Coast» et démocratiq­ue du Studio 54. Comment cela se traduisait-il à l’époque ?

Le Studio 54 a basé sa légende sur son exclusivit­é. Sur le fait de laisser entrer telle personne et non telle autre au-delà du «velvet rope». Flipper’s était tout le contraire, un endroit pour tout le monde. Ce n’était pas un club de membres. Peu importe d’où vous veniez, vous étiez le bienvenu. C’est là que réside la puissance de la légende de Flipper’s.

Le club banalisait ce mélange que l’on ne retrouvait nulle part ailleurs à Los Angeles, qui était notoiremen­t ségréguée dans les années 70 et l’est encore d’ailleurs de nos jours. La communauté afro-américaine était nombreuse chez Flipper’s. Et puis, pendant la journée, le club était ouvert aux enfants. On l’appelait «la meilleure baby-sitter de la ville». Nous avions des enfants de Beverly Hills qui patinaient avec des enfants de Compton. Ils ne se seraient jamais croisés sans Flipper’s.

Berry Gordy – le fondateur du mythique label Motown – était un associé de votre père dans Flipper’s. Son implicatio­n a-t-elle facilité cette mixité ?

Berry Gordy était en effet le quatrième partenaire de Flipper’s. Il a apporté au club une autre dimension. Il était très proche du projet depuis le début et le financemen­t du bâtiment s’est fait grâce à lui. Smokey Robinson était toujours là, par exemple.

Je ne sais pas si son implicatio­n a directemen­t contribué à cette mixité, mais le roller occupe une place importante au sein de la communauté noire aux États-Unis. C’est une façon très artistique pour eux de s’exprimer, comme le dit si bien Nile Rodgers dans le livre. Flipper’s était donc le seul endroit qui permettait cette véritable diversité organique sous un même toit.

À New York il y a le Studio 54, à Paris, on entend toujours parler des «Années Palace». Lorsqu’il s’agit de fête, pourquoi sommes-nous toujours nostalgiqu­es d’une autre époque ?

Oui, c’est vrai. Je suis d’accord, et surtout maintenant que j’ai fait ce livre. Il est tellement difficile de s’imaginer le sentiment de la fin des années 70. C’était avant l’épidémie du sida. Il y avait énormément d’excès en tout genre, notamment les drogues. La musique était aussi très éclectique. Je suppose que c’était une époque unique qui rétrospect­ivement paraît si loin car le monde a changé. Tout était alors bien plus léger.

Comptez-vous réouvrir Flipper’s ?

Oui, c’est un rêve, car je pense que nous avons besoin d’endroits comme cela pour nous retrouver. Un lieu qui serait inclusif, où tout le monde serait célébré. Mais il faudrait que cela parle à la jeune génération. Il faudrait essentiell­ement de la bonne musique !

Vous avez une anecdote préférée ?

Prince a fait son premier concert sur la côte Ouest au Flipper’s. Il a appelé mon père en 1981 et lui a dit qu’il voulait que le Dirty Mind Tour passe chez lui. Ils ont décoré l’endroit comme un «Leopard Lounge». Prince est arrivé en bikini soyeux avec des cuissardes. Peu de gens le connaissai­ent alors. Nous avons des photos incroyable­s de ce soir-là, où il lèche son micro et fait du Prince à 100 %. Après cette nuit-là, il était en couverture de tous les journaux le lendemain et il est devenu Prince, la légende que l’on connaît tous.

Vous avez une longue liste de contribute­urs. De Laura Dern à Cher en passant par Arnold Schwarzene­gger...

Pour Laura Dern, elle avait environ 12 ans quand elle allait au Flipper’s. Elle était fille unique et ses parents étaient tous deux acteurs et travaillai­ent tout le temps. Elle était donc souvent seule et elle disait que c’est chez Flipper’s qu’elle s’est construit une famille. Elle a pu voir des choses qu’elle n’aurait jamais vues ailleurs. Cela a vraiment formé sa vision pour l’avenir. Selon moi, Flipper’s a beaucoup apporté aux contribute­urs et c’est pour cela qu’ils ont tous fait preuve d’une extrême générosité en partageant leurs histoires pour ce livre qui célèbre une époque à Los Angeles. Flippers Roller Boogie Palace, 1979-81, éditions Idea. Sortie mi-octobre. ideanow.online

 ??  ?? Une soirée au Flipper’s dans les années 70, avec Jane Fonda et Jon Voight (ci-dessus). Ci-contre, instantané­s de fêtes entre 1979 et 1981.
Une soirée au Flipper’s dans les années 70, avec Jane Fonda et Jon Voight (ci-dessus). Ci-contre, instantané­s de fêtes entre 1979 et 1981.
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