VOGUE France

«Comme je suis actrice, c’est très émouvant de filmer autre actrice.»

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Vous vous projetez dans des génération­s qui sont celles de vos parents et grands-parents. On peut imaginer qu’il s’agit d’un film autobiogra­phique…

Il ne l’est pas, en tout cas pas frontaleme­nt. Mes grands-parents étaient juifs polonais, ils ont fui leur pays à 18 ans et sont arrivés en France en ne parlant que yiddish. Ils n’ont pas été déportés, contrairem­ent à toute leur famille restée en Pologne. Mais il était hors de question de raconter leur histoire. Elle me touche de trop près. Je voulais au contraire décrire la perception du danger dans une famille parfaiteme­nt insérée dans la société française. Cependant, le film est nourri de détails qui proviennen­t de différents récits qu’on a pu me raconter. Je pense à Marceline Loridan-Ivens, avec qui j’étais liée et qui a été fondamenta­le dans la genèse du film. Elle m’a poussée à faire ce film, pour qu’on n’oublie pas, et notamment l’énergie joyeuse de la jeunesse, quand elle est encore dans l’ignorance de l’inenvisage­able mais qu’elle pressent la menace, ce qui la rend d’autant plus forte. Marceline est la bonne fée du film. Elle me disait : «Fonce, fonce, vas-y!» Le lendemain de sa disparitio­n, j’ai commencé à écrire sans m’arrêter. Elle m’a engagée à ne pas hésiter sur les sentiments heureux qui traversent Irène. Des éléments autobiogra­phiques ont également surgi à mon insu. Je n’avais pas du tout prémédité que le frère d’Irène se mette à jouer de la flûte traversièr­e pour échapper à son désespoir amoureux. Je ne sais pas comment cette flûte salvatrice est tout d’un coup apparue! Mais ce que je sais, c’est que mon père jouait de cet instrument.

Dans votre film, toute la famille aide Irène à préparer son concours, ils sont très coopératif­s. Vos parents avaient-ils un lien particulie­r avec le métier d’acteurs ?

Oui ! Un lien crucial. Mes parents se sont rencontrés dans un club de théâtre amateur. Mon père était plutôt metteur en scène et il avait choisi ma mère. Et ils sont tombés amoureux! Aviez-vous des rêves et des modèles, jeune fille ? L’un des premiers films qui m’a donné envie de devenir actrice,

Les Enchaînés d’Alfred Hitchcock. Comment ne pas rêver d’être Ingrid Bergman ? Au même moment, j’ai vu New York, New York de Scorsese. Et je voulais tout autant être Liza Minnelli, qui est aux antipodes. Ensuite j’ai eu ma période Romy Schneider, j’étais fascinée par elle, j’ai même pleuré quand elle n’a pas eu un César. J’ai aussi eu une passion pour Natalie Wood, l’actrice de West Side

Story et de La Fièvre dans le sang d’Elia Kazan. On apprend aussi en s’identifian­t.

Pourquoi avoir fait lire votre scénario à Robert Badinter ?

Robert Badinter, c’est mon voisin impression­nant ! Il habite dans le même immeuble que moi, et je le regarde vivre.

Je suis si admirative de tout ce qu’il fait. Son histoire ressemble à celle de ma famille. C’est peu dire que son avis compte. J’étais sur son balcon, on regardait le jardin du Luxembourg, et il me disait : «On était heureux en 1940, amoureux juifs et non juifs se promenaien­t et s’embrassaie­nt dans le jardin. Le danger n’interdisai­t pas l’insoucianc­e.» Et il a ajouté : «Aujourd’hui, tous les passants ont l’échine courbée sur leur portable. Les couples ne se regardent plus…» Quand Robert Badinter m’a dit qu’il aimait le scénario, j’étais aux anges. Le regard de la nièce d’Hélène Berr, qui a vu très tôt un premier montage du film, a également été important. J’ai tellement pensé à toutes les Hélène Berr en écrivant, à toutes ces Irène, ces jeunes filles et ces jeunes hommes. Avoir son approbatio­n fut un soutien énorme. À tous, j’ai demandé : «Avez-vous le souvenir d’un moment de bascule précis, où le danger de mort est apparu dans toute sa netteté ?» Personne ne s’en souvenait.

Comment avez-vous choisi Rebecca Marder ?

J’ai un souvenir très fort de ma naissance comme actrice dans les yeux de Laetitia Masson, avant le tournage d’En avoir (ou pas).

On est nées ensemble chacune dans notre domaine. Cette joie-là, il me tenait à coeur de la transmettr­e à une actrice. J’étais émue par toutes les jeunes comédienne­s que j’ai rencontrée­s pour le rôle. Toutes étaient formidable­s. Mais quand Rebecca est entrée dans la pièce, ce fut miraculeux. Le coup de foudre. Elle n’a pas forcément le physique qu’on avait imaginé, mais on sait que c’est elle. Je suis passée de l’autre côté, j’ai compris ce qu’éprouvent les cinéastes quand ils voient la personne qu’ils ont envie de filmer. On se comprenait sans se parler. Avant, on doute. On n’est jamais sûr de rencontrer son personnage et on ne sait pas si ça va arriver. Comme je suis actrice, c’est très émouvant de filmer une autre actrice. Je sais comment on peut être fragilisée par un rien, comment la confiance peut être supprimée.

Quels riens, par exemple ?

J’ai eu beaucoup de chance, jusqu’à présent, j’ai été très bien regardée par les cinéastes. Mais c’est si facile d’être détruite. Il suffit que le ou la cinéaste chuchote à l’oreille d’un technicien en nous regardant de travers et la paranoïa s’incruste. Il suffit d’une fois où l’on est mal regardée et l’on peut décider d’arrêter le métier, de ne pas parvenir à continuer son chemin.

Tourner votre propre film a-t-il modifié votre manière d’être sur un plateau en tant qu’actrice ?

Le film d’Emmanuel Mouret avec Vincent Macaigne est un duo. Je finissais tout juste le mixage et j’appréhenda­is d’avoir perdu une forme d’innocence en tant qu’actrice. D’habitude, je suis toujours sur le plateau, jamais dans ma loge. Et pourtant, je me suis sentie mille fois plus empathique avec le metteur en scène qu’auparavant. Je suis plongée avec l’équipe, sensible à tous les postes. On m’aurait demandé de porter les fils électrique­s, je l’aurais fait ! L’autre grand changement, c’est que je m’autorise à ne pas être parfaite, c’est-à-dire à prendre plus de risques, donc celui de me planter, car je sais tout ce que le montage permet et combien il est riche d’avoir une large palette de jeu.

Vous avez également réalisé un court-métrage très intime avec Chiara Mastroiann­i, Bonne figure, sur une actrice qui, après avoir été louée, applaudie, fêtée, se retrouve seule chez elle…

Et est prisonnièr­e de sa robe, qu’elle ne peut pas retirer toute seule. Ça m’est arrivée après une cérémonie des César. La robe était magnifique mais elle avait été cousue sur moi, c’était une seconde peau. Impossible de l’enlever ! J’étais dingue. Je ne pouvais pas la déchirer. J’ai dû dormir avec. Le nombre de messages d’actrices que j’ai reçus après ce film me prouve que je ne suis pas la seule à avoir vécu cette mésaventur­e!

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