VOGUE France

GAULTIER PASSE EN REVUE

L’infatigabl­e enfant terrible de la mode imagine «FASHION une revue aux Folies SHOW», Bergère, le FREAK inspirée de son propre parcours dans Par Olivier Nicklaus. le monde des falbalas.

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L’infatigabl­e enfant terrible de la mode imagine une revue aux Folies Bergère, le «Fashion Freak Show», inspirée de son propre parcours dans le monde des falbalas. Par Olivier Nicklaus

Des câbles sur le sol, des projecteur­s dans les hauteurs du plafond… La fameuse salle de défilé de Jean-Paul Gaultier sise au 325 rue du Faubourg Saint-Martin est métamorpho­sée le temps d’un tournage en un couloir d’entrée mythique, celui, long comme une galerie, du Palace en 1978 (il y a quarante ans, un clin d’oeil). S’y tourne en effet l’une des vidéos phares du spectacle que concocte Jean-Paul pour les Folies Bergère. Intitulée le Fashion Freak Show, cette revue mutante retrace le parcours de «l’enfant terrible de la mode», de son enfance choyée par sa grand-mère (incarnée ici par Micheline Presle) aux rencontres décisives, de Francis Ménuge, le compagnon aujourd’hui disparu avec lequel Jean-Paul a créé sa maison, à Madonna, bien sûr. Vidéos donc, mais aussi musique, chant, danse, humour, apparition­s surprises, et des guests comme Rossy de Palma, Amanda Lear ou Catherine Ringer, pour incarner toutes les femmes de sa vie. Gaultier a imaginé un spectacle total, pour en prendre plein les yeux et les oreilles et en sortir le sourire aux lèvres, comme à chaque fois qu’on discute avec lui. D’où vous est venue l’idée de monter une revue ? C’était un peu mon rêve de départ, en réalité. Avant de vouloir faire de la mode, je voulais faire des revues, ou au moins des costumes pour les revues. Quand j’avais 9 ans, ma grand-mère, Mémé Marie, qui me passait tout, m’a laissé regarder un soir à la télé une revue filmée aux Folies Bergère. J’ai adoré ça! Le soir même, j’ai déguisé mon ours, Nana, en meneuse de revue! Le premier ours transgenre quoi ! [Rires]. Et le lendemain, à l’école, comme je m’ennuyais, j’ai dessiné une danseuse de revue avec des plumes. L’institutri­ce m’a chopé, et comme ça ne lui a pas plu, elle m’a fait faire le tour des classes avec le dessin accroché dans le dos. Sauf que mes camarades d’école, au lieu de se moquer de moi, m’ont demandé d’autres dessins. Ça a été un moment très fort dans ma vie. Pourquoi si fort ? Parce que jusque-là, j’étais quand même un garçon très solitaire : fils unique, seulement un vague copain de classe dont je devais sentir qu’il avait une sensibilit­é proche de la mienne [rires]. Mais bon, j’étais généraleme­nt très rejeté. Et là, tout d’un coup, quand mes camarades ont vu le dessin, ils m’ont demandé de faire d’autres dessins. Et donc, ça m’ouvrait des portes, un sourire, le fait d’être accepté avec ma différence. D’avoir un rôle ? Oui mais le rôle, ça m’intéressai­t moins. Parce que dans ce terme, je vois du pouvoir. Moi, je voulais juste qu’on me fasse des sourires et qu’on m’aime bien.

Donc ça, c’est le goût de la revue. Mais pourquoi la mode alors ? Parce qu’après, j’ai vu le film Falbalas de Jacques Becker avec Micheline Presle. Et j’ai voulu exercer ce métier comme le personnage principal du film, c’est-à-dire faire des défilés, des shows, pas seulement des vêtements sur des cintres. Je n’ai pas fait d’école de mode : tout ce que j’ai appris, je l’ai appris dans ce film. Y compris le besoin de créer des vêtements pour des muses, des filles que j’admirais, qui avaient du caractère, comme ma mère ou ma grand-mère. Venons-en au spectacle… Oh, mais là, on parle déjà du spectacle: il y aura tout ça justement dans le spectacle. Le fil rouge, c’est mon parcours dans la mode, de mon enfance à aujourd’hui. Dans les revues vieille façon, les tableaux s’enchaînaie­nt sans lien les uns avec les autres. Alors que là, il y aura ce fil. On va retrouver des tas de choses que j’ai dites au fil de mes collection­s. Enfin, que j’ai dites… – que j’ai présentées: l’homme objet, la femme qui peut être féminine mais masculine en même temps, etc. Ça parlera de mon amour pour la mode, ce métier que je trouve passionnan­t, qui m’a permis de vivre plein d’aventures différente­s, de connaître plein de choses que je n’aurais jamais pensé connaître. Et puis, il y aura aussi mon regard sur des phénomènes plus contempora­ins : la chirurgie esthétique et ses créatures ou la foire aux vanités des réseaux sociaux. Et si je l’ai intitulé Fashion Freak Show, c’est pour montrer la différence : il y a du beau partout, tout dépend comment on le regarde. J’ai toujours aimé les freaks, les gens bizarres, les provocateu­rs, les esthétique­s qui se mélangent. Dans les revues classiques, il y avait une meneuse de revue. Ici aussi? Non, il n’y aura pas une seule meneuse de revue, mais une narration éclatée avec des personnali­tés qui incarneron­t des figures majeures de ma vie, presque toujours des femmes: Micheline Presle incarnera ma grand-mère – façon pour moi de boucler la boucle avec Falbalas, Rossy de Palma jouera mon institutri­ce, Demi-Mondaine (candidate du dernier «The Voice», ndlr) sera Madonna. Elles joueront, danseront, chanteront, etc. Certaines sur scènes et certaines en vidéo. On retrouvera aussi Amanda Lear, Line Renaud, Cristina Cordula, la strip-teaseuse Maud Amour, etc., etc. Je suis assisté pour ces vidéos et à la mise en scène par Tonie Marshall. C’est Marion Motin, chorégraph­e de Chris ou Stromae, qui s’occupe des chorégraph­ies. Et puis il y aura beaucoup de musique, dont une partie est créée par Niles Rodgers. La musique, c’est crucial pour évoquer les différente­s époques. D’ailleurs, très tôt, ça a pris beaucoup de place dans mes défilés : dans un des premiers, j’avais pris Edwige, la reine des punks, et je lui ai fait chanter My Way façon Sid Vicious. On retrouvera les shows importants qui ont jalonné ma carrière, mais aussi les backstages, les premiers rangs… Ce monde de la mode tellement fascinant et théâtral. Vous serez sur scène ? Non, je serai représenté de dos à un moment. Je n’ai pas trouvé d’acteur assez beau pour que ça marche de face! (rires). Mais j’apparaîtra­i en vidéo. Et puis il y aura un petit garçon pour me jouer enfant. Surtout, mon compagnon Francis Ménuge, avec qui j’ai fondé la maison mais qui est mort aujourd’hui, sera représenté. À part moi, c’est le seul homme au milieu de toutes ces femmes. Pourquoi faire appel à des vidéos ? Parce que les personnali­tés que je voulais n’étaient pas toutes disponible­s pour venir tous les soirs. Mais je souhaitais quand même qu’elles soient dans le spectacle. Cela dit, quand elles seront disponible­s, elles viendront faire des guests sur le plateau. J’aimerais qu’il y ait des surprises en permanence. Par exemple, j’ai appris que les danseuses de cancan au Moulin Rouge, quand elles levaient la jambe, elles avaient la culotte fendue (rires), ce qui explique pourquoi on venait les voir du monde entier… Je veux m’inspirer de cette idée pour qu’un soir par semaine, le spectacle soit un peu plus transgress­if… À l’époque, vous avez vu des revues au Casino de Paris ou aux Folies Bergère ? Au Casino de Paris, j’ai vu en 1972 la revue Zizi, je t’aime de Zizi Jeanmaire, avec les costumes d’Erté et d’Yves Saint Laurent. C’était magnifique. Les Folies Bergère, j’y suis allé quelques années plus tard et, à vrai dire, j’ai été déçu.

En ce temps-là, c’est un vieux monsieur qui s’en occupait, Michel Gyarmathy, il avait 90 ans: il s’endormait pendant les spectacles! Tout était défraîchi. Je pense à cette idée de revue depuis le début des années 80. À l’époque, je voulais monter quelque chose avec les Rita Mitsouko. Mais bon, la mode m’a happé. Et ce n’est que maintenant que j’ai trouvé le temps de m’y mettre ! Bon, j’ai gardé Catherine Ringer ! Elle va chanter le titre qui raconte ma rencontre avec Francis. Vous aviez vu le spectacle Mugler Follies au Comédia ? Oui, et j’ai beaucoup aimé. Mais lui, pour le coup, c’était une suite de tableaux qui n’avaient pas de lien les uns avec les autres. Alors que moi, il y a ce fil rouge de mon histoire. Vous avez été happé par la mode, mais vous avez quand même trouvé le temps de créer des costumes pour la scène. À commencer par les spectacles de Régine Chopinot… Oui, au début des années 80, j’ai fait les costumes pour le spectacle de Régine, Le Défilé. Je me souviens que pour une danseuse, j’avais imaginé une chaussure plate et pour l’autre un pied-bot. Ça créait un déséquilib­re qui changeait forcément la façon de danser. On s’entendait très bien pour ça avec Régine : elle me laissait de la place pour proposer des costumes qui bougeaient des choses dans le spectacle. Et puis, il y a eu les costumes de scène pour les chanteuses : Yvette Horner, Sheila, Mylène Farmer et bien sûr Madonna. Madonna, j’aime bien sa musique, mais ce qui m’a surtout séduit, c’est elle. Sa personnali­té. Le plus macho de tous les machos ! C’était fascinant d’observer comment elle se mettait en scène elle-même. Et ça, j’en ai été conscient tout de suite : je me souviens qu’en 1986, elle a reçu un prix et qu’elle ne pouvait pas être là. Du coup, elle a tourné une petite vidéo où elle était sur une décapotabl­e avec des tas de beaux mecs autour d’elle, tels ses hommes objets. Forcément, ça connectait avec mon univers : femme forte et hommes objets. Les costumes pour le Blond Ambition Tour, ça a été un moment très important pour moi. Je disais à l’époque que si elle avait choisi quelqu’un d’autre, je l’aurais tué pour prendre sa place. Bon, je ne serais peut-être pas allé jusquelà [rires), mais je pensais vraiment que nous étions faits pour travailler ensemble. Elle aura aussi sa vidéo dans le spectacle en focalisant sur son action pour le sida. Et vos costumes pour le cinéma : Almodóvar, Greenaway, Besson, Caro et Jeunet… Au cinéma, il y a beaucoup de contrainte­s. Mais comme pour Chopinot, j’essayais quand même de rester fidèle à ma mode en me disant que s’ils faisaient appel à moi, c’est qu’ils avaient envie que j’apporte quelque chose de mon univers dans le leur. Si on prend l’exemple d’Almodóvar, les points communs sont évidents. Caro et Jeunet aussi. Besson, c’est moins flagrant, mais en le rencontran­t, j’ai trouvé qu’il avait un grand sens visuel de ses personnage­s principaux : ainsi Christophe Lambert dans Subway décoloré en blond. Dans Le Cinquième Élément, le coup de Milla Jovovich avec la frange rousse, ça ne vient pas de moi comme les gens le pensent, mais vraiment de lui. À partir de là, j’ai complété. J’ai le sentiment d’avoir appris beaucoup en travaillan­t avec tous ces réalisateu­rs. Du coup, maintenant que vous vous réinventez en metteur en scène de revue, pourriez-vous vous imaginer en réalisateu­r pour le cinéma ? Ah ça non, jamais. Parce qu’en travaillan­t sur tous ces films, j’ai aussi vu tous ceux avec qui le réalisateu­r doit composer. Or moi, j’ai commencé en travaillan­t seul. Je n’ai eu une assistante qu’au bout de cinq ans. Et aujourd’hui encore, c’est moi qui crée la collection. J’ai l’habitude d’être le seul maître à bord. Dans une collection, je peux commencer avec une idée, et finir avec quelque chose de totalement différent. Et je n’ai à m’en justifier auprès de personne. Alors qu’au cinéma, vous devez rendre des comptes au producteur, aux financiers. Ici, dans ma maison, c’est comme si j’étais à la fois le créateur et le producteur. Au cinéma, c’est rare… Et puis, moi, je maîtrise le visuel, mais les subtilités du texte, la direction d’acteurs, tout ça, ce n’est pas pour moi. C’est d’ailleurs en faisant le casting pour ce spectacle que je me suis rendu compte que d’un acteur à l’autre, le même texte ne voulait pas du tout dire la même chose !

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 ??  ?? ci-dessus, Jean Paul Gaultier par Herb Ritts, 1990. ci-contre, Pierre et Gilles pour Jean Paul Gaultier, 2018.
ci-dessus, Jean Paul Gaultier par Herb Ritts, 1990. ci-contre, Pierre et Gilles pour Jean Paul Gaultier, 2018.
 ??  ?? ci-dessus, Catherine Ringer, des Rita Mitsouko, en 1985. ci-contre, Madonna par Jean-Baptiste Mondino, et, au centre, avec Jean Paul Gaultier à Los Angeles en 1992. en haut, Yvette Horner au Casino de Paris, 1990. à droite, Victoria Abril, habillée par Gaultier dans Kika, d’Almodóvar, en 1993.
ci-dessus, Catherine Ringer, des Rita Mitsouko, en 1985. ci-contre, Madonna par Jean-Baptiste Mondino, et, au centre, avec Jean Paul Gaultier à Los Angeles en 1992. en haut, Yvette Horner au Casino de Paris, 1990. à droite, Victoria Abril, habillée par Gaultier dans Kika, d’Almodóvar, en 1993.
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 ??  ?? ci-dessus, Le Cinquième Élément, de Luc Besson, 1997. ci-contre, défilé Gaultier avec Mylène Farmer, A/H 2011. ci-dessous, Yvette Horner en costume Jean Paul Gaultier dans Casse-Noisette, de Maurice Béjart. en bas, La Cité des enfants perdus, de Caro et Jeunet en 1993.
ci-dessus, Le Cinquième Élément, de Luc Besson, 1997. ci-contre, défilé Gaultier avec Mylène Farmer, A/H 2011. ci-dessous, Yvette Horner en costume Jean Paul Gaultier dans Casse-Noisette, de Maurice Béjart. en bas, La Cité des enfants perdus, de Caro et Jeunet en 1993.
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