La rencontre : Niels Schneider

Dans Curiosa, il fait définitivement oublier son armure de jeune premier en incarnant l’écrivain Pierre Louÿs, personnage ambivalent entouré de femmes puissantes et désirables. Entretien. Comment joue-t-on une personnalité aussi complexe que celle de Pierre Louÿs sans y perdre quelques plumes ? Je suis entré par petites touches dans le personnage de Pierre. Il est si complexe qu’on ne peut pas le saisir totalement… Il va intellectualiser l’amour et érotiser ce qu’il y a de plus cérébral. Très immature, il possède la cruauté des enfants trop brillants. Louÿs a fini seul, sans un sou, obsédé par des questions rhétoriques. Il est détestable, mais je lui pardonne tout. Car c’est quelqu’un de profondément vivant. Ce n’est pas la première fois que vous incarnez un homme antipathique, c’était le cas de Philippe d’Un amour impossible ou de Pier Ulmann de Diamant noir… En tant qu’acteur, je préfère ne pas jouer des rôles trop séduisants : être immédiatement aimable me met mal à l’aise. En tant que spectateur, ça ne me plaît pas non plus car ce sont les personnages ambigus qui m’attirent le plus. C’est vrai que mes derniers rôles ont tout pour déplaire ! Curiosa est un film à la fois littéraire et érotique. Une première pour vous ! Oui, même si la frontière avec le film noir est mince… Chez Louÿs, il y a une dangerosité dans sa vision du sexe et de l’amour car il pousse sans cesse les limites. Je suis fasciné par son habileté littéraire, son aisance à passer de la poésie au trivial, du théâtre au roman. Certains textes m’ont fait rougir… Dans le métro, j’étais gêné de les lire ! Que pensez-vous des rôles très forts de Noémie Merlant (Marie de Régnier) et Camélia Jordana (Zohra), qui jouent toutes deux vos maîtresses ? J’admire ce qu’elles représentent : des femmes propriétaires de leur corps sans diaboliser le sexe. Le film parle de la libération de Marie, qui trouve sa voie de poétesse, qui grandit et résiste à la tyrannie de Pierre. Quant à Camélia, c’est culotté de sa part d’accepter tant de noirceur tout en apportant de la lumière à Zohra qui, rappelons-le, a terminé son existence sur le trottoir après avoir été abandonnée par Pierre. Curiosa ne contourne aucune zone d’ombre. Vous considérez-vous comme féministe ? Absolument. C’est une question qui concerne non seulement les femmes mais aussi, et surtout, tous les hommes. Je me questionne quotidiennement à ce sujet… Un mouvement de masse comme MeToo, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Chacun doit avoir une réflexion intime sur le sujet. Beaucoup se pensent totalement libérés du rapport homme-femme de nos parents et grands-parents, et c’est une erreur. Il y a encore tant de choses à décrasser ! C’est pour cette raison que plus il y aura de films comme Curiosa, qui n’arrondissent pas les angles, plus la représentation féminine pourra y gagner en force. Quels ont été vos rôles clés de ces dernières années ? Au théâtre, le rôle de Roméo chez Shakespeare a été charnière. Je l’imaginais un peu naïf, cet amoureux éperdu, et je l’ai découvert profond. Le César remporté pour Diamant noir m’a ouvert à une palette de rôles plus large, et donc permis d’aller vers des personnages plus sombres… alors qu’on me pensait uniquement solaire, à l’image de Nicolas dans Les Amours imaginaires, le film qui m’a révélé. Mais en ce moment, je me dis que j’aimerais bien faire des comédies ! Un peuple et son roi, Le Cahier noir, Curiosa… Récemment, vous avez tourné dans beaucoup de films d’époque. Un hasard ? Oui ! Sans être très attaché au contemporain, je n’entretiens pas non plus une grande nostalgie d’une époque que je n’ai pas vécue. Même si j’aurais bien aimé me balader au Chelsea Hotel dans les années 60… En toute discrétion, selon votre habitude ! Mon rapport à mon métier est sain, je me présente uniquement par rapport à mes rôles. Les vedettes ont toujours existé, et tant mieux, mais le tapage médiatique n’est pas ma tasse de thé.