VOGUE France

MARINE SERRE DANS L’ART DU TEMPS

Lauréate du Prix LVMH en 2017, la créatrice de 27 ans présente son troisième show cette saison. Une mode articulé et un discours qui incisive sont là pour durer.

- Par Théodora Aspart, photograph­e Chris Colls, réalisatio­n Virgine Benarroch

Lauréate du prix LVMH en 2017, la créatrice de 27 ans présente son troisième show cette saison. Une mode incisive et un discours articulé qui sont là pour durer.

On nous demande d’être à 9 h 30 précises dans ses locaux du quartier du Sentier pour une interview au timing limité cause planning surchargé. Ça, c’est la théorie. En pratique, à 9h45, Marine Serre sort à peine du métro, à la bourre, désolée et limite essoufflée quand elle s’assied sur la banquette du café du coin, où on s’est entre-temps repliée. Et tant pis pour son rendez-vous d’après. Et deux fois tant pis si l’entretien dure plus longtemps que prévu. C’est comme chez le dentiste, la journée sera décalée, voilà.

Sous la doudoune léopard, un cache-coeur ivoire sur un top en jersey beige à motifs de croissant de lune noir, son logo. Sous le nez, un cappuccino. Et c’est parti, voici la conversati­on lancée avec cette fille en laquelle la fashion sphère, dithyrambi­que, place tant d’espoir, cet oxymore ambulant dont on comprend vite que la silhouette de Polly Pocket cache une déterminat­ion et une autorité maousses.

À l’heure où l’on écrit, son troisième show (automne-hiver 2019-2020) n’a pas encore eu lieu. Mais c’est peu de dire que le second, intitulé Hardcore Couture, a été encensé. On a loué la collision du sportswear et du flou, salué un tailoring de haute volée, applaudi l’excentrici­té maîtrisée de pièces show-stoppers telles que ce fourreau volanté en néoprène, ce manteau recouvert de porte-clés ou cette robe militarisé­e aux mille et une poches. Tant mieux si la chose a plu car l’anxiété était finalement plus forte cette fois-ci qu’au premier défilé. Tout en team spirit, Marine Serre pourrait dire «je», mais elle dit «on», et commence comme suit : «On a gagné le prix LVMH en juin 2017. La logique aurait été de défiler en septembre, dans la foulée. Mais on a préféré attendre. Je voulais construire l’équipe, poser des bases stables. Le premier show est difficile, tu crois que tu as beaucoup de pression. Mais au fond, tu n’en as pas tant que ça. Au second, oui. Surtout quand le premier a eu du succès. Il ne faut pas faire la même chose, ni quelque chose de trop différent, et le délai est court. Ce nom, Hardcore Couture, est un message

drôle ou un peu lourd, c’est au choix. Le fait est qu’on a vécu une année hardcore. On a voulu créer des trucs qui prennent du temps, mais le système de la mode ne t’en laisse pas tellement. Si tu veux avancer vite, tu dois travailler de manière hardcore.»

Le système de la mode, cette pousse née en Corrèze en dehors du sérail (père à la SNCF, mère à la DDE) l’a expériment­é sous toutes ses formes, en suivant un parcours de serial stagiaire après des études à Marseille puis à La Cambre, à Bruxelles. Elle se glisse chez Fred Sathal, Annemie Verbeke, Alexander McQueen («Ah, McQueen… Je devais faire un stage au studio l’année où il est mort. On m’a envoyé un courrier pour me dire que tout était gelé. Mais j’ai quand même retenté l’année suivante, j’avais appris un peu d’anglais exprès, et j’y suis allée. C’était étrange et émouvant...»), Maison Margiela, Dior période Raf Simons, puis Balenciaga, où Demna Gvasalia lui offre finalement un job de styliste womenswear. Entre-temps, sa collection de fin d’études a déjà suscité l’intérêt du conceptsto­re parisien The Broken Arm, qui lui a passé commande. «Là, il a fallu trancher entre passer mon été à coudre ou à me la couler douce à la montagne… Évidemment, je ne pouvais pas refuser. Pareil avec Ariana Grande, à qui on a vendu des pièces à l’arrache. La marque est née comme ça, de manière très spontanée. Je ne pensais pas m’y consacrer si tôt, j’étais bien chez Balenciaga, je pouvais enfin payer mon loyer, ce qui était le challenge numéro 1. Mais le prix LVMH a tout précipité. C’est là que je me suis entourée. Avant, on était trois : mon mec, Pepijn, ma soeur pour m’aider sur les finances, et moi à la créa, le patronnage, la couture, la DA…»

Son approche ? «Un travail sur la réalité et le futur, balancet-elle, sibylline. J’observe les gens dans la rue. Je suis attentive au rapport pratique au vêtement, à la manière de le construire pour qu’il tombe bien sur tous les corps, qu’on s’y sente à l’aise. Je suis obsédée par les volumes et la technique.» Après le coup de projecteur du prix et de ses premiers shows, craint-elle de n’être qu’une étoile filante ? «Non. Je vois les choses assez simplement. En tant que consommatr­ice de mode, je reviens toujours aux marques dont les coupes me vont bien. C’est comme ça que je pense fidéliser mes clientes. Je sais que toutes les pièces ne sont pas faciles parce qu’elles sont très nouvelles. Certaines ne se reconnaîtr­ont pas dans beaucoup. Mais ça viendra peut-être. J’espère être moins “niche” dans dix ans.»

Désormais, elle conçoit sa mode en quatre lignes : White, prêtà-porter, Red, carrément couture, Gold, qui s’inscrit comme une sorte d’hybride entre les deux, et Green, où elle pratique à loisir l’up-cycling ; les pièces vintage sont découpées, démontées et redevienne­nt matière. «Après le défilé, on a présenté la collection au showroom en disant aux acheteurs que, même si ça ne s’était pas vu sur le podium, 30 % des pièces étaient en fait recyclées. Et que c’était comme ça. Ce n’était pas gagné, surtout pour la vente en ligne : on parle de pièces au patron identique, mais avec de grosses différence­s de couleurs, de fini… Or, personne n’a trouvé à y redire, au contraire.» Sans doute parce que la chose est en train de s’imposer dans l’air du temps. Mais pourquoi se compliquer la vie avec tant de lignes, quand on vient juste de se lancer ? «Parce que j’ai compris que si je faisais des vêtements de manière plus convention­nelle, j’allais m’essouffler. Même moi, je dois me demander ce qu’il faut pour que je reste chez Marine Serre pendant les vingt prochaines années…»

«Je suis attentive à la manière de CONSTRUIRE un vêtement pour qu’ il tombe bien. Je suis obsédée par les VOLUMES et la TECHNIQUE.»

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