VOGUE France

Comme un cheveu sur la Toile

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Aux dîners en ville, il est de bon ton de maudire le toutnuméri­que, qui nous couperait les uns des autres… On oublie cependant qu’Internet permet de découvrir des talents inédits à une vitesse éclair. C’est le cas de Thomas Poitevin, jeune comédien qui, en l’espace de trois mois et soixante vidéos comiques à la saveur inouïe, s’est propulsé au firmament d’Instagram, décrochant des likes de Juliette Armanet ou de Gad Elmaleh. Rencontre avec ce diamant brut, serti main par Arthur Dreyfus pour les lecteurs de Vogue qui ne connaîtrai­ent pas encore Les Perruques Par de Arthur Thomas. Dreyfus.

Votre première vidéo révèle Fanny, une infirmière débordée par un lot d’hypocondri­aques se présentant à l’hôpital…

L’idée de cette série découle-t-elle du coronaviru­s?

Oui et non ! Les gens croient que j’ai commencé à publier mes vidéos durant le confinemen­t, mais en vérité elles ont démarré un mois plus tôt. Même si ensuite, le fait d’être enfermé pendant deux mois – avec mon amoureux heureuseme­nt –, a sans doute stimulé mon inspiratio­n…

Comment vous est venue l’idée de tous ces personnage­s ?

C’était d’abord un laboratoir­e. Je voulais proposer des bouts de choses qui m’amusaient, sans objectif de buzz. Le côté arte povera de la lucarne Instagram – de se filmer sur iPhone – incite au pur plaisir de jeu. Comme tout comédien, j’ai besoin d’être regardé – mais que ça s’adresse à dix spectateur­s m’allait ! Paradoxale­ment, cette absence d’enjeu m’a aidé.

Vous vivez pourtant le rêve de tout humoriste sur Internet : que le bouche-à-oreille explose. À quel moment

avez-vous remarqué que ça «décollait» ?

Quand d’autres gens que mes amis se sont mis à partager mes vidéos: au théâtre, on appelle ça les vraies gens dans la salle. [Rires] Puis quand des artistes que j’admire ont eu la gentilless­e de commenter mes vidéos. Recevoir un message de Florence LoiretCail­le ou de Chantal Lauby m’a ému. Je discute aussi avec Lison Daniel [récente célébrité de l’humour Instagram, créatrice des excellents «Caractères»], on va se rencontrer.

Vous est-il arrivé de vous lever la nuit pour compter vos likes?

[Rires] Oui, je pense que j’ai eu des phases minables comme ça. Mais je m’en rendais compte assez vite et j’arrêtais ! Je disais l’autre jour à une amie qu’il faut distinguer la jalousie joyeuse de la jalousie dégueulass­e. La jalousie joyeuse, c’est l’émulation : c’est formidable que l’autre réussisse – même si ça agace un peu. La jalousie dégueulass­e, c’est fulminer parce qu’untel a plus de likes que toi. J’espère ne jamais en être victime !

C’est tout un art d’augmenter sa notoriété sur Internet…

Oui : au départ je me suis renseigné, il existe des méthodes, il faut répondre aux commentair­es, recenser les partages… J’ai essayé un week-end – j’ai arrêté. J’avais l’impression d’avoir 15 ans et de jouer à Secret Girls. Puis tu y passes ta vie. Tu ne crées plus.

C’est excitant de publier une nouvelle vidéo ?

Flippant surtout – car j’ai toujours peur que ça ne fasse pas rire !

Entre Mélanie la babos urbaine, Caro la célibatair­e

à la ramasse, Daniel l’aïeul grincheux, Hélène la bourgeoise atrabilair­e, Laurence la théâtreuse guindée ou Lou l’égérie exaltée, comment ciselez-vous

vos personnage­s avec une telle précision ?

Tous emploient des lexiques que je connais bien.

Si je raille les bobos, c’est que j’en suis un… Raillerie qui m’a d’ailleurs valu un entretien dans Causeur,

journal assez réac faisant la guerre aux bobos.

À ma décharge, quand j’ai dit oui, je croyais que c’était Causette ! [Rires]

Vous, vous ne faites la guerre à personne ?

Non, je ne règle pas de comptes. Le compliment qui me fait le plus plaisir, c’est quand on sent qu’il y a une part de tendresse dans mes personnage­s. Parce que les gens ne sont jamais «ci ou ça», comme l’écrivait Virginia Woolf. Même quelqu’un de très con sera un peu moins con pendant une seconde. Quand je vais trop loin dans l’acidité, au point de créer une sorte de monstre, je m’en veux…

Je tiens à la part d’humanité de chaque personnage.

Une façon de combattre les clichés ?

C’est plus subtil. Car les clichés constituen­t un point de départ. J’adore cette phrase d’Hitchcock, je l’ai toujours en tête quand j’écris: «Mieux vaut partir du cliché que d’y arriver.»

Natif de Fontainebl­eau, vous vivez aujourd’hui dans

le centre de Paris : au fond, tout le spectre de votre biographie imprègne cette galerie de portraits…

Oui, c’est proche de moi. Enfin même à Fontainebl­eau, j’étais l’artiste de service. On m’invitait dans les rallyes, je passais la soirée à scruter les gens. Il faut dire que la bourgeoisi­e est très féconde pour un acteur. J’adore les films de Chabrol pour ça: ce sont des personnage­s qu’il est assez passionnan­t de voir tomber – parce qu’ils tombent de haut. Et l’humour, c’est quand même de voir des gens se casser la gueule…

Les gens drôles se cassent forcément la gueule ?

Disons que ce n’est pas évident de faire rire avec des gens heureux… À moins d’aller chercher le comique du côté du trop. De se vautrer dans le bonheur.

D’inoubliabl­es bourgeoise­s en crise furent interprété­es par Jacqueline Maillan, notamment dans les pièces

de Barillet et Gredy. Aimiez-vous cette actrice ?

Énormément. Je me souviens avoir pleuré quand elle est morte. C’était une grande figure de mon enfance. Elle était géniale parce qu’elle était mutante. Entre deux classes. À la fois grande bourgeoise et nana costaude, terrienne, quasi paysanne à certains moments. Elle était la seule à pouvoir mêler ces deux tableaux avec une telle évidence.

Je crois savoir que vous chérissez aussi les «Petites Annonces» d’Élie Semoun…

À la folie ! Certaines sont d’authentiqu­es morceaux de bravoure. J’adore ses femmes au bout du rouleau. D’autant qu’il va très loin dans la noirceur…

Dans vos vidéos, vous jouez une majorité de femmes.

Savez-vous pourquoi ?

Pas vraiment. Mais même au stade de l’écriture, c’est plus difficile d’inventer un mec. Parce qu’à première vue, les hommes sont moins complexes que les femmes. Les subtilités, les «couches de caractère» d’un personnage masculin sont plus délicates à définir. Alors que les femmes me sont plus accessible­s. Et elles m’ont toujours fait plus rire.

Cette aptitude a-t-elle quelque chose à voir

avec la sexualité, selon vous ?

Sans doute. Il y a une culture gay de la grande actrice comique. Ou du transformi­sme. Beaucoup de drags reprennent des sketches de Sylvie Joly, par exemple. [Pause] En même temps, c’est vrai que c’est grisant de pouvoir devenir une femme de 60 ans pendant dix minutes.

Dans un de vos sketches les plus hilarants, vous incarnez un imitateur profession­nel d’Isabelle Huppert :

les mimiques sont confondant­es de réalisme.

[Thomas se marre.] Quelqu’un m’a dit qu’elle l’avait vu, et que ça l’avait fait rire!

Petit garçon, comme beaucoup de jeunes gays, cela vous arrivait de porter les bijoux de votre maman,

d’essayer ses robes ?

Curieuseme­nt, pas du tout. C’étaient plutôt des attitudes, des expression­s que j’assimilais.

Ou des extraits d’«Au théâtre ce soir»: j’apprenais par coeur des scènes entières… D’ailleurs, je pense avoir très peu de goût esthétique: dès que j’ai du maquillage entre les mains, c’est la cata. Mais j’avoue nourrir un rêve. Juste une fois – pour l’expérience – voir quelle très belle femme je pourrais être. Me préparer avec un maquilleur, une habilleuse… Et me regarder dans la glace.

Vous possédiez tout de même une collection

de perruques à domicile !

Elles provenaien­t de différents spectacles et dormaient dans mes placards. Mais c’est vrai que la perruque demeure un accessoire magique : en un claquement de doigts, ça change un visage, une silhouette… Après, j’aime l’idée de rester moi-même sous la perruque. De limiter les accessoire­s. Même mes décors sont neutres, pour tout concentrer sur le jeu.

Vos personnage­s féminins ne sont guère des fashion victims… Pourriez-vous incarner

une Anna Wintour, une Coco Chanel ?

Le personnage que j’aimerais imaginer dans la mode, c’est une femme qui s’exprimerai­t comme un charretier, qui aurait l’air d’un camionneur mais s’occuperait de choses extrêmemen­t chics. On m’a parlé d’une directrice artistique spécialisé­e dans les défilés haute couture, gueulant façon poissonniè­re. Ça, ça m’inspire !

Thomas, ce n’est que le début de l’aventure :

comment voyez-vous la suite ?

Je sais une chose: je ne veux plus être seulement acteur. La condition de comédien est trop rude. Même quand ça marche, c’est l’insatisfac­tion perpétuell­e. Et je préfère fabriquer des choses. Dans l’idéal, j’aimerais écrire avant tout, interpréte­r mes textes – et en cas de belles rencontres, jouer pour les autres. Le parcours créatif de Noémie Lvovsky, à cet égard, me fait rêver.

Tout est possible, et on vous le souhaite !

Merci ! C’est vrai que la vie est folle… Quand j’ai reçu un message d’Emmanuelle Alt sur Instagram, ça m’a semblé complèteme­nt dingue. Joyeux mais dingue. Même si l’humour est très présent dans le monde de la mode, je ne m’y attendais pas. C’était comme si Chasse & Pêche m’appelait… [Une pause] Mais en plus chic et légendaire.

Sur Instagram: @les.perruques.de.thomas

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