VOGUE France

«Personne ne détient entièremen­t la vérité, mais chacun doit trouver la sienne, trouver une forme de sagesse en empruntant son propre chemin.»

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On sait que vous aimeriez jouer l’émir Abdelkader, Galilée…

Des combattant­s, ou des personnali­tés confrontée­s à l’injustice, comme Mohamedou Ould Slahi…

J’ai un problème avec l’injustice, sous toutes ses formes. Comme les enfants. Quand ils s’exclament : «C’est pas juste !», c’est d’une clarté confondant­e. Le maître mot pour moi, c’est l’équilibre. On le trouve dans l’égalité, la justesse, l’amour et la justice. L’émir Abdelkader est un personnage fascinant et j’adorerais jouer Galilée. Cet érudit sans limites, qui était aussi une belle personne, a offert une vérité éternelle et s’est fait tuer pour elle. Ce sont des modèles dont l’histoire mérite d’exister en images.

Le registre comique, vous y pensez ?

J’en ai très envie, mais je ne reçois pas de propositio­ns. Pourtant, quand j’ai découvert l’humour sur le tournage de Samba, j’ai adoré ! Avec Éric Toledano, Olivier Nakache et Omar Sy, on s’est éclaté.

Vous êtes aussi proche d’autres acteurs. L’amitié, ça compte ?

Oui, beaucoup. Il y a d’abord ma femme, qui est aussi mon amie. Et puis Karim Leklou, Gilles Lellouche, Jonathan Cohen, Jean-Rachid, Adèle Exarchopou­los, Hugo Sélignac…

Ce sont celles et ceux que je fréquente dans la vie de tous les jours, avec qui je partage des affinités électives artistique­s.

«Vive le cinéma français !», avez-vous clamé quand vous avez reçu vos Césars pour Un prophète de Jacques Audiard.

Vous le pensez toujours ?

Oui. J’aime mon pays, où je suis né et où j’ai grandi, et j’aime son cinéma. Nous disposons de grands réalisateu­rs et scénariste­s, tant d’histoires à raconter. L’arrivée des plateforme­s de streaming a aussi éclaté toutes les frontières culturelle­s. Quand j’étais enfant, il fallait se déplacer non seulement dans les salles mais aussi jusque dans certains festivals pour voir des films asiatiques ou africains. Désormais, la culture d’ailleurs peut être accessible en un clic. Sans perdre son identité, qui peut être enrichie par la fusion d’autres influences, le cinéma français a encore de beaux jours devant lui.

La cinéphilie vous nourrit-elle donc toujours au quotidien ?

Entre le travail et la vie de famille, le temps peut me manquer… Mais il y a quand même le format de séries qui permet de découvrir des écritures et des acteurs. Les Soprano, Breaking Bad, The Wire… j’adore ! J’aime toujours autant les classiques. Dernièreme­nt, Elmer Gantry m’a impression­né par sa modernité, sa force d’écriture et par le jeu de Burt Lancaster, le premier à avoir créé une maison de production. Très malin ! D’autres nourriture­s sont venues s’agglomérer, mais ce qui m’inspire le plus, ce sont mes enfants : ils ne savent pas et ils ne trichent pas. Devenir père, ça a tout changé.

Vous allez fêter vos 40 ans. Le temps qui passe vous inquiète-t-il ? Non, ça ne me fait pas particuliè­rement d’effet… C’est juste un chiffre. Je ne suis pas du genre à tenir en place, et ça ne s’arrange pas avec le temps ! Cependant, pour être très franc, cela m’aurait sûrement affecté si je n’avais pas pu concrétise­r certains buts : ma famille, ma femme, mon métier. Finalement, il s’agit plutôt de me préparer physiqueme­nt pour les prochaines décennies, car il y a encore du temps à passer avec les enfants ! Avec l’âge, on est davantage à l’écoute de son corps, on s’étoffe… et la parentalit­é aide dans ce sens.

On sait que vous aimez la mode. Votre rapport à votre look a-t-il changé ?

Il s’est confirmé au fil du temps. Depuis tout petit, j’adore les beaux vêtements, et ma mère a toujours exigé que je sois présentabl­e en toutes circonstan­ces. Je m’inspirais des acteurs comme Steve McQueen, Sean Connery ou Alain Delon.

J’ai une passion pour les gilets que portent les hommes dans les films de Scorsese, mais ils sont introuvabl­es... Tout comme la veste en cuir rouge de Brad Pitt dans Fight Club ! Au quotidien, j’aime la sobriété relevée par une touche d’excentrici­té.

Et mon péché mignon, ce sont les mocassins, de Berluti, J.M. Weston ou Philippe Zorzetto, d’une grande finesse...

Vous avez reçu un double César pour Un prophète. Aujourd’hui Désigné coupable concourt aux Oscars. Et vous venez d’être nommé aux Golden Globes dans la catégorie meilleur acteur. Comment aborde-t-on ces cérémonies ?

Je ne ferai pas deux fois la même erreur. Pour les Césars, il y a dix ans, le fait d’être aussi vierge dans le métier m’a coûté des angoisses. Je craignais de péter les plombs, de choper la grosse tête, de gâcher tout mon labeur… Sur le moment, j’ai été submergé par l’émotion, mais je n’ai pas pris de réel plaisir car je n’ai pas réussi à prendre la bonne distance. Aujourd’hui, je suis prêt à savourer l’instant présent. Je ne veux plus m’angoisser. C’est un travail de tous les jours, mais je persiste !

Ce rôle influe-t-il sur le regard que le public américain pose sur vous ? J’ai l’impression... Car c’est un film hollywoodi­en, avec des acteurs américains célèbres. Je sens la différence: il est beaucoup plus vu que ne le serait une production étrangère. Je suis heureux de cette exposition, et que la sueur de mon travail soit reconnue.

Leïla Bekhti, votre épouse, lit-elle vos scénarios, et inversemen­t ?

Cela arrive, quand on a un doute... Leïla est la personne la plus dure avec moi, elle va droit au but et me dit ce qu’elle pense sans fioritures, sans les filtres que les autres pourraient utiliser.

Les filtres, je ne sais pas trop faire avec !

Désigné coupable, de Kevin Macdonald, avec Jodie Foster et Shailene Woodley.

The Serpent, mini-série de 8 épisodes sur BBC One et Netflix.

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