VOGUE France

Le sexe dans le texte Avec son vertigineu­x “l’écrivain franco-suisse également collaborat­eur de “Vogue”, raconte comment les pulsions sexuelles peuvent nourrir une écriture dévorante.

D’aujourd’hui”, Dreyfus, Journal sexuel d’un garçon Arthur

- Par Sophie Rosemont.

oute homosexual­ité est la résultante d’un récit: chaque gay, chaque lesbienne a exploré l’histoire de son désir», dit-il. Ce qu’on a déjà pu comprendre en lisant les précédents ouvrages d’Arthur Dreyfus, Histoire de ma sexualité ou Correspond­ance indiscrète, avec Dominique Fernandez. En témoigne également ce carnet tenu pendant près de dix ans: 2298 pages remplies à ras bord de sexualité non fictionnel­le. On y retrouve la flamme d’un Guillaume Dustan, que Dreyfus ne connaissai­t pourtant guère avant d’entamer son Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, ou d’un Hervé Guibert, avec qui il partage un amour de la photograph­ie. Car Dreyfus ne fait pas qu’écrire. Plus jeune, il brille par ses talents de prestidigi­tateur et souhaite être acteur. Or, «il m’était insupporta­ble d’incarner des textes qui n’étaient pas les miens. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis tourné vers l’écriture, afin de choisir mes propres mots». Aujourd’hui, il est enseignant, parolier pour Françoise Fabian, journalist­e pour Vogue, scénariste et réalisateu­r, notamment d’un documentai­re sur Catherine Frot, et d’un longmétrag­e baptisé Noël et sa mère, une «psychanaly­se en boîte» qui sortira dans quelques mois au cinéma.

Il a toujours été scandaleux d’en dire trop sur le sexe. Comme Dreyfus, qui rapporte minutieuse­ment ses «plans», du matin au soir. On s’y perd, lui de même, ce qui nourrit la force du propos : «L’obsession du sexe et du texte se sont enchâssées l’une dans l’autre, avec une impossibil­ité de ne pas écrire ce que je vivais, piégé par mon dispositif.» En parallèle des innombrabl­es rencontres, de la plus attendriss­ante à la plus sordide, on suit l’évolution de sa relation amoureuse avec Bord Cadre, l’autre héros du livre, féru de punchlines lacanienne­s. Lequel prévient son compagnon que ce livre sera une bataille. À raison. Si les noms sont devenus des surnoms délectable­s (Bazar, Rajou Carré, Zeno Tricolore…), que les identités et les lieux sont maquillés, tout relève du réel, dans ce qu’il a eu de plus galvanisan­t et tragique, jusqu’à la noirceur de l’addiction au chemsex. Quand on lui parle de son courage de se livrer (littéralem­ent!) avec autant d’inconscien­ce, Dreyfus préfère relever la part d’inconscien­t de cette odyssée sulfureuse parue chez P.O.L, éditeur de Dustan, Mathieu Lindon ou Emmanuel Carrère. Elle a nécessité deux ans de relecture à un rythme militaire, de 6h40 à 21 heures… «Quand j’y repense, j’ai envie de pleurer, tellement ça a été éprouvant», confesse Dreyfus. L’abyssale pagination n’est pourtant pas ce qui a le plus effrayé Gallimard, qui devait publier l’ouvrage, avant qu’un membre du comité de lecture ne soit apeuré par cette avalanche aux mots sexuels – brillante formule dreyfusien­ne tirée d’un récit qui est le sien mais aussi, une fois qu’on a passé autant de pages ensemble, le nôtre. Sidérant et bouleversa­nt, ce Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui cite la formidable autrice suisso-hongroise Agota Kristof: «Tout humain est né pour écrire un livre, et pour rien d’autre.» On ne peut penser autre chose d’Arthur Dreyfus.

Arthur Dreyfus, Journal sexuel d’un garçon d’aujourd’hui, éditions P.O.L.

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