Une ville mythique
C’est un livre constitué de 321 fragments, comme les petites fenêtres d’un calendrier de l’avent qui ouvriraient toutes sur Beyrouth, avant la grande catastrophe de l’explosion du port le 4 août 2020. Un livre où la nourriture, les odeurs, la texture des aliments prennent une grande place, au point qu’il est sous-titré «Livre de cuisine». Ne pas chercher de recette cependant. Ce sont deux coeurs battants qu’on y découvre, celui de l’autrice japonaise, Ryoko Sekiguchi, qui a passé 961 heures dans Beyrouth entre le 6 avril et le 15 mai 2018, lié à celui de la ville, en constante reconfiguration, si bien qu’il n’existe aucun plan exact de la capitale du Liban. Des «terrains vagues» ni construits ni occupés, à la couleur spécifique de la nuit qui pourtant rappelle à l’autrice celle de Tokyo, tout comme «les gros cafards qui s’envolent» au Japon comme au Liban : le texte invite à la déambulation et la tentation est grande de piocher dans les fragments et de refuser la lecture linéaire. Perles d’un collier, puzzle à reconstituer: la structure du livre résonne de la nostalgie propre aux Beyrouthin(e)s qui ne savent jamais exactement de quoi ils sont nostalgiques et ce qu’ils ont perdu, car leurs parents eux aussi ont vu mille fois leur vie et leur ville éclater, tout comme leurs grands-parents. 961 heures à Beyrouth (et 321 plats qui les accompagnent),