Voile Magazine

Josiane, l’ange gardien de la barre d’Etel

Josiane Péné a la mer comme horizon profession­nel mais garde les pieds sur terre. Elle est la voix du sémaphore d’Etel depuis trente- cinq ans et guide chaque bateau pour passer la barre sans encombre.

- Texte et photos : Sidonie Sigrist.

LE PORT D’ETEL,

à l’entrée de la rivière du même nom, est un écrin morbihanna­is. Mais pour y accoster, il faut passer la barre d’Etel qui le préserve malgré lui d’une fréquentat­ion de masse. A l’embouchure de la rivière, un banc de sable se déplace à la faveur des courants et de la houle. Et la mer vient s’y former, s’y briser avec le jusant, parfois violemment lorsque le vent vient du large. Cet obstacle naturel vaut à Etel une réputation périlleuse, une histoire ponctuée de drames. Et celui du 3 octobre 1958 est encore gravé dans la mémoire régionale. Ce jour-là, Alain Bombard, médecin et aventurier, célèbre pour avoir traversé l’Atlantique en pneumatiqu­e, décide de tester un nouveau canot de sauvetage avec six volontaire­s. Leur terrain d’expériment­ation sera la barre d’Etel, par gros temps. Mais la mer a raison du canot qui chavire. L’embarcatio­n des secouriste­s se retourne à son tour en pleine opération de sauvetage. Le bilan est lourd : neuf personnes perdent la vie au cours de ce test qui a viré à la tragédie.

TRENTE-CINQ ANS D’ASSISTANCE AUX MARINS

Un demi-siècle plus tard, Josiane Péné s’agace, gentiment, de cette manie journalist­ique de remuer le stylo dans la plaie. La sémaphoris­te oeuvre justement pour sécuriser l’entrée de la rivière d’Etel. Depuis plus de trente-cinq ans, elle accompagne à distance les bateaux pour qu’ils passent l’entrée en contournan­t la barre. Ce jeudi de septembre, le temps est estival, le ciel dégagé, le soleil chauffe la plage qui accueille les pêcheurs amateurs comme les touristes venus immortalis­er ce décor naturel. Une houle irrégulièr­e se dresse à l’entrée de la rivière et se brise presque aussitôt. La fameuse barre. Josiane a interdit le passage aux moins de 8 mètres. En début d’après-midi, lorsque la marée est suffisamme­nt haute, la mer s’apaise et l’interdicti­on est levée. « Aramis pour Josiane, Aramis pour Josiane ». Il est 13 h 01, la VHF du sémaphore crépite. Josiane commence son service face à la mer, avec à portée de main une paire de jumelles, une VHF et un téléphone. Le sémaphore est situé à l’entrée ouest de l’embouchure de la rivière. Le bâtiment vient d’être refait à neuf, si bien qu’il offre une vue panoramiqu­e et dégagée sur la mer, de l’entrée de la rivière jusqu’à la sortie du port. Le « volant » du mât Fenoux (voir encadré) trône au coeur de la pièce. Josiane peut le piloter les yeux rivés sur l’horizon. « Aujourd’hui je m’en sers surtout pour indiquer les interdicti­ons de naviguer plus que pour guider le passage avec la flflèche. Avec les VHF et surtout les téléphones portables, le guidage est essentiell­ement oral » explique-t-elle. Aramis, un petit bateau à moteur, revient de Groix et se présente à l’entrée de la rivière. Josiane le guide pour qu’il contourne la houle et le banc de sable par l’est. La légende veut qu’elle se repère grâce à des pinces à linge qu’elle déplace en fonction du banc. La réalité est moins bucolique mais tout aussi pratique. Des barres de métal verticales ont été installées devant a baie vitrée. Ce sont ces précieux repères qui l’aident à guider les bateaux à l’écart de l’obstacle naturel. Elle se renseigne aussi auprès des bateaux sur les hauteurs d’eau pour avoir un aperçu global de ce relief mouvant et sous-marin. Mais elle insiste : « Il n’y a aucun danger ! Au contraire, c’est l’un des endroits les plus sécurisés si l’on suit mes indication­s ou celles que j’affiche sur le mât. Je suis là pour dorloter les plaisancie­rs comme les pêcheurs, les accompagne­r, pourquoi s’en priver ? Et si j’interdis le passage, ça ne sert à rien de prendre des risques inutiles. C’est un stress de voir les bateaux forcer le passage » avoue-t-elle tout en observant une vedette couper droit sur la barre. « C’est bon Aramis, vous êtes entré et en sécurité, je vous souhaite une belle journée. » Ce dernier remercie amicalemen­t sa guide. Une connaissan­ce ? « J’accompagne ces bateaux depuis des années. Alors on tisse des liens, on se demande comment va la famille. Mais je ne les rencontre quasiment jamais. C’est arrivé que l’on reconnaiss­e ma voix, chez le boucher ou au café, c’était une drôle de situation ! » Si elle ne les connaît pas, elle est pourtant connue dans le coin. C’est même une célébrité locale depuis le temps qu’elle observe la mer et guide ceux qui souhaitent la rejoindre. Elle a posé ses valises au sémaphore d’Etel en 1970 lorsque son mari a obtenu ce poste d’observatio­n et de guidage. Elle prend le relais lorsque son époux tombe malade, puis décède au début des années 1980. Elle devient ainsi la seule femme civile sémaphoris­te, les autres étant gardés par des militaires. « Au début, forcément, certains étaient surpris

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En face du port d’Etel, l’anse de Magouër accueille des épaves de thoniers. On peut s’y rendre en été grâce au passeur qui fait traverser la rivière sans annexe ni faire le grand tour à pied.

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