Faites-le vous-même :
Impression 3D, l’accastillage maison
L’IMPRIMANTE 3D
ronronne dans le couloir. La buse – l’extrudeur, dans le jargon tridimensionnel – dépose les bases fondatrices de ce qui deviendra, dans quelques heures, un taquet d’écoute. C’est un ballet chronométré et millimétré. Les couches de polycarbonate s’accumulent et la pièce d’accastillage s’érige peu à peu jusqu’à ce que tout s’immobilise enfin, signe que notre taquet est bel et bien terminé, avec la ponctualité d’un horloger suisse. Nous pouvons enfin manipuler la pièce que nous avons laborieusement dessinée sur un logiciel de modélisation. Sa forme n’est pas révolutionnaire. Et pour cause, nous avons dupliqué une pièce Plastimo, déjà installée à bord du First 210 Voile Magazine. Et ce n’était pas une mince affaire. Mais pourquoi diable s’évertuer à reproduire un objet disponible chez n’importe quel shipchandler à moins de 5 € ? C’était surtout un prétexte pour nous plonger dans les diverses problématiques de la 3D, de la modélisation aux questions de matériaux et d’impression. Parce que nous partions de loin, si ce n’est de zéro. Tout juste savions-nous que l’impression additive – c’est son autre petit nom – bouscule tous les domaines, du monde du bâtiment, comme en Chine où l’on imprime carrément des maisons, à la médecine avec la recherche sur la bio-impression, soit la reproduction, couche après couche, de cellules vivantes. Dans l’industrie en général et celle du nautisme en particulier, l’impression 3D fait déjà des vagues. Elle permet, par exemple, de réaliser en un temps record des prototypes d’accastillage ou de pièces diverses sans devoir effectuer des moules. Ces « brouillons » autorisent la validation des propriétés mécaniques d’une pièce avant de lancer sa production définitive, à plus grande échelle ou avec des matériaux plus coûteux. Par ailleurs, cette technologie permet d’optimiser le poids de chaque pièce. On peut en effet décider de renforcer les zones qui subissent de fortes contraintes et alléger les parties moins sollicitées. Enfin, embarquée, une imprimante 3D permet de pallier les avaries de matériel. Une société finlandaise de transport de containers a d’ailleurs préféré embarquer des imprimantes plutôt que stocker du matériel de rechange pour ses longues traversées. Est-ce totalement fou d’imaginer que les futurs candidats au Vendée Globe embarqueront un modèle allégé, conçu pour imprimer dans des conditions agitées et permettre aux navigateurs de réparer en imprimant ?
LE MARCHE DES IMPRIMANTES A EXPLOSE
En attendant, l’équipe Land Rover s’appuie déjà sur l’impression additive dans la préparation de son catamaran ambitieux afin de s’aligner sur la 35e America’s Cup. Mais pas besoin d’appartenir à une écurie sportive pour imprimer ses pièces d’accastillage optimisées ou inventer des objets sur mesure pour équiper son bord, sans payer le prix du brevet ni le prestige marketing d’une marque. Le marché des imprimantes a explosé, les premiers prix ont largement baissé, si bien qu’on peut s’initier à cette technologie sans investir le PIB du Kerala. Il existe aussi des alternatives à la propriété en commandant en ligne ou encore en adhérant à un fab lab (voir par ailleurs). Et à force de voir notre collègue du magazine « Micro Pratique » imprimer en série comme d’autres font des photocopies, nous avons eu envie de nous y mettre. Nous souhaitions donc modéliser une pièce et trouver aussi des fichiers au format « stl » déjà conçus, généreusement mis à disposition en ligne, pour équiper le First 210. Le format stl,
à l’instar du jpeg pour les fichiers photos, est le langage reconnu par le logiciel et l’imprimante 3D. Il existe des dizaines de sites qui répertorient des créations 3D dont les fichiers numériques sont déposés en accès libre par leurs concepteurs. Après les avoir téléchargés, il est possible de retravailler à loisir ces fichiers en adaptant, par exemple, les dimensions d’un objet ou en ajoutant une propriété. Pour notre part, c’est sur www.thingiverse.com que nous avons trouvé le fichier d’un taquet loveur, un nable ainsi qu’un porte-mug qui transforme les pots de confiture… en mugs. L’affaire se complique lorsqu’il s’agit de dessiner le fameux taquet d’écoute, ne pas se tromper dans les dimensions et surtout celles de l’entraxe entre les deux fixations. Nous pensions qu’il existait un logiciel qui permette de traduire un plan 2D (une photo du taquet) en un schéma 3D. La naïveté du débutant. Le logiciel en question n’existe pas encore (avis aux amateurs !). Et nous ne disposons pas de scanner 3D qui, lui, existe bel et bien. C’est donc sur un logiciel de modélisation gratuit, 123D Design, que l’on doit se creuser les méninges pour calculer volumes et ordonnées. Premier bémol : le logiciel est entièrement en anglais. « Wedge », « merge», « snap »... Heureusement, les vidéos sont nombreuses et didactiques pour se former à cette nouvelle grammaire, à la fois linguistique et graphique. Dans un premier temps, il faut réfléchir à la structure de notre taquet. Quels volumes basiques le constituent ? Nous pouvons déduire qu’il est grossièrement formé de deux parallélépipèdes superposés, dont les formes sont par la suite arrondies. Qu’à cela ne tienne : nous créons deux rectangles volumineux tout en respectant les dimensions relevées. Nous imaginons ensuite deux cylindres, au diamètre du trou de vis, que l’on positionne pour percer par soustraction de matière. C’est un casse-tête pour s’assurer que les mesures sont les bonnes. Il faut ruser, trouver des stratagèmes et surtout demander l’avis éclairé de nos collègues rodés à la 3D. Maintenant, place aux arrondis. Il faut sculpter numériquement la matière pour courber les angles. Et enfin, il nous faut « merger » (fusionner, en VF) tous les volumes jusque-là indépendants. Après quelques heures à traîner notre souris sur 123D Design, notre taquet ressemble peu ou prou au modèle d’origine. Avant d’imprimer notre pièce définitive en
polycarbonate – un plastique ultra résistant –, nous imprimons rapidement un brouillon, soit un prototype en ABS. Il s’agit de régler sur Cura, le logiciel d’impression open source fourni avec l’Ultimaker 3, tous les paramètres de la production : sens de l’impression, densité de la matière, durée et donc finesse du trait… Autant d’éléments qui jouent sur la structure même du taquet.
ON IMPRIME D’ABORD UN PROTOTYPE
L’imprimante ne peut pas travailler dans le vide. Une partie « suspendue » a besoin d’un support, comme un échafaudage pour se maintenir en place lors de la construction. Surtout, le sens de l’impression est un facteur décisif pour garantir la résistance de la pièce. Notre taquet, par exemple, subira une traction à peu près verticale exercée par l’écoute en tension. Les couches de matière doivent être imprimées horizontalement pour résister aux forces exercées sur notre pièce. D’où l’intérêt d’imprimer assez rapidement un proto afin de pouvoir manipuler la pièce et voir ce qui mérite ou non un renfort. Nous n’avons pas poussé la conception en creusant des zones non sollicitées ou en renforçant les parties exposées aux tensions... Mais c’est tout cela qui est passionnant avec la modélisation et l’impression 3D : penser et concevoir un objet sur 360°, réfléchir à sa structure et à sa confection en fonction de ses propriétés. En imprimant ces quelques pièces, nous avons touché du doigt ces problématiques. Même si nous n’avons pas dessiné un objet de toutes pièces, ni même adapté une pièce en fonction de nos besoins à bord, cette introduction à la modélisation et à l’impression tridimensionnelle nous a ouvert un champ des possibles de la création ! Nous avons encore du chemin avant de maîtriser cette technologie. La preuve : l’entraxe de notre taquet n’était pas tout à fait aux dimensions du modèle initial. Une histoire de millimètres. Les gars du chantier Océan Nautique ont dû usiner l’un des trous de la pièce pour ne pas devoir repercer le rouf du First 210. Reste que notre taquet d’écoute, nos taquets loveurs et notre anse-pot de confiture ont été fixés à bord, en attendant d’être rejoints par nos futures créations tridimensionnelles. Affaire à suivre, donc.