Voile Magazine

100 milles à bord RM 970

De quoi est fait l’insolent succès de la gamme RM ? D’un subtil cocktail de design, d’ergonomie, de charme… et de réelles qualités nautiques. Le dernier-né des RM a tout cela, concentré dans 970 cm de coque. Résultat : déjà vingt-deux unités vendues.

- Texte : F.-X. de Crécy. Photos : Camille Moirenc, Sidonie Sigrist et l’auteur.

C’EST COMME SE PROMENER

aux côtés d’une jolie femme. Vous sentez ces regards qui dévissent et se tournent subreptice­ment dans votre direction, mais ce n’est pas vraiment vous qui les attirez. Dans le cas présent, c’est notre bateau, ou du moins celui que nous avons la chance d’essayer entre Languedoc et Provence, histoire d’anticiper l’arrivée du printemps. Notre RM 970, avec sa légère tonture inversée, son bordé gris-bleu au grand hublot rectangula­ire, son rouf en sifflet court très vitré et son mât laqué noir, ne laisse personne indifféren­t. Disons-le : il exerce son sex-appeal. Il provoque dès le premier regard cet éveil des sens voisin de la convoitise, signe certain que le chantier a – encore – réussi son coup ! On le sait déjà avant d’avoir tiré un premier bord, d’avoir testé l’ergonomie de la baille à mouillage ou la conviviali­té du carré, comme nous le faisons toujours lors de nos « 100 milles à bord ». L’envie, l’émotion sont là ; le reste n’est qu’une affaire de technique. Et de pratique, notre mantra et la raison d’être de ces essais de longue durée… Dans le cas présent, notre pratique à nous consistera à croiser du Grau-du-Roi à Marseille, histoire de vérifier que les îles et calanques phocéennes exercent toujours leur attrait. 60 milles qui feront de cet aller-retour un vrai « 100 milles » bien tassé ! L’exercice commence par le rituel de l’avitaillem­ent à ranger à bord. Sur le RM 970, pas d’équipets en hauteur, les principaux rangements sont dans les dossiers des banquettes et dans les fonds. Au final le volume ne manque pas, on se dit juste qu’un accès par les consoles supérieure­s – de simples panneaux amovibles – n’aurait pas été de refus. La dispositio­n du carré n’a pas vraiment changé depuis le RM 1050, ancêtre de la gamme actuelle. On retrouve la table à cartes dans le sens de la marche, à tribord, et la cuisine à bâbord avec son frigo en coffre et sa poubelle parfaiteme­nt intégrée. Idem pour la trame générale des emménageme­nts, avec le local technique à tribord, la couchette arrière à bâbord, et devant ce lit breton dans lequel on peut s’isoler derrière une toile zippée. Vaste, immense même ce lit trapézoïda­l, par la grâce d’une carène qui s’offre un volume inédit dans le tiers avant. On le sait, c’est la tendance, plus visible encore sur le Pogo 36 essayé le mois dernier et sur tant d’autres. La recherche de puissance, autrefois cantonnée aux formes arrière – les fameux « plats à barbe » - se traduit aujourd’hui par des formes plus pleines à l’avant. Sans aller jusqu’à l’étrave ronde façon scow, les architecte­s, le cabinet Lombard en l’occurrence, ont compris qu’il y avait dans le tiers avant une réserve de stabilité à mettre à profit pour proposer une carène qui se déforme peu à la gîte et se montre donc plus tolérante au près et plus puissante au portant. C’est une vraie différence entre le RM 970 et ses prédécesse­urs. Une autre particular­ité du 970, c’est qu’il ne remplace aucun RM dans la gamme mais comble un trou. Historique­ment, le seul RM de moins de 10 m était le 880, devenu 890. Le 970 enrichit donc la gamme, tout en répondant à la concurrenc­e bretonne (le Django 980 lancé l’an dernier…), et c’est aussi l’une des clés de son succès.

DES CONDITIONS DE CONFORT IDEALES

Une fois extraits des méandres du complexe balnéaire de Port-Camargue, nous donnons un large tour au banc de l’Espiguette avant de suivre la courbe de la côte qui s’incline vers l’est à mesure que nous quittons la baie d’Aigues-Mortes. Au moteur, nous avons l’impression trompeuse d’un vent absent. En fait, nous bénéficion­s d’une légère brise de sud-ouest qui va nous permettre de faire route sous gennaker à la même vitesse, et dans des conditions de confort idéales. Il suffit d’aller amurer la galette de l’emmagasine­ur sur la delphinièr­e – nous aurions pu le faire au port –, de l’envoyer en tête de mât et de le dérouler. En fait, il ne s’agit pas à proprement parler d’un gennaker mais du code D de Delta Voile, voile de portant polyvalent­e par excellence. Dans l’après-midi, quand le vent adonnera progressiv­ement jusqu’à un angle proche de la fausse panne, le code D nous étonnera par sa puissance et surtout par sa stabilité. Pour l’heure, nous faisons route sur une mer aussi plate qu’un lac d’altitude à 6,5 noeuds, dans un vent portant qui n’excède pas 8-10 noeuds. Pour ne rien gâcher, le soleil brille, que demander de plus ? Cette belle moyenne tenue dans les petits airs confirme tout le bien qu’on pensait du nouveau RM, notamment dans cette configurat­ion d’appendices quillard et

bi-safran. Une seule quille, contrairem­ent aux anciens RM traditionn­ellement fidèles au biquille, c’est évidemment moins de surface mouillée. Et en s’affranchis­sant de la contrainte de l’échouage, synonyme d’échantillo­nnage généreux pour l’ensemble de l’appareil à gouverner, le chantier peut affiner et optimiser les profils des safrans. A noter en revanche que contrairem­ent à ses grands frères, le RM 970 n’est pas proposé en quille relevable, et ce pour la bonne raison qu’elle n’était pas demandée par les clients. Cette navigation en état de grâce ne pouvait pas durer éternellem­ent. Le vent a survécu au coucher du soleil, mais il adonne encore et encore. Dans un premier temps, nous suivons pour retarder l’instant fatidique où il nous faudra lancer le Vovlo-Penta. Mais après une heure à pointer vers la Sardaigne, voire la Tunisie, il nous faut rouler le code 0 et faire route au moteur. Inutile d’aller faire des acrobaties sur la delphinièr­e par cette nuit sans lune, la voile maintenue roulée par ses Velcro peut très bien rester à poste.

L’HELICE REPLIABLE, BIPALE OU TRIPALE ?

La deuxième partie de notre étape se fera donc au moteur, mais elle sera elle aussi riche d’enseigneme­nts. Sur la mécanique d’abord, un brin bruyante. Le propriétai­re a opté pour un 30 chevaux et s’est ainsi offert une marge de puissance confortabl­e au vu du poids du bateau. Mais il a conservé une hélice bipale repliable qui ne permet pas, selon nous, d’exploiter cette puissance dans de bonnes conditions. La tripale repliable (modèle Volvo en option) serait à coup sûr plus silencieus­e et permettrai­t de naviguer à plus bas régime. Quoi qu’il en soit nous faisons route et le ciel étoilé est superbe, une fois nos yeux habitués à l’ambiance nocturne. Ce qui suppose de maintenir le carré éteint, d’une part parce qu’il est si vitré qu’il diffuse beaucoup de lumière sur le pont, et d’autre part parce que l’éclairage intérieur est particuliè­rement violent. Quand un équipier cherche un objet ou fait chauffer une soupe, il ne peut pas moduler l’éclairage et ne peut utiliser qu’un seul interrupte­ur qui commande toutes les LED du carré. Et c’est le grand flash pour tout l’équipage ! Nous essayons de nous contenter de la liseuse de la table à cartes – en mode rouge -, voire d’une frontale en appoint, mais il y a mieux à faire ! Arrivés à Marseille, nous ne sommes pas fâchés de mettre le cap sur les couchettes des cabines et du carré. On aime ou pas leur couleur violette (à choisir dans une large palette), mais le matériau, robuste et facile d’entretien, nous paraît excellent. Tout comme le confort de la mousse qui nous transporte dans les bras de Morphée en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « bonne nuit ». Le lendemain, l’ambiance est moins au convoyage et plus à la croisière. Temps

magnifique, mais le vent de sud-est pourrait bien nous apporter la grisaille, hâtons-nous d’en profiter ! Pas dans les calanques du massif de Marseillev­eyre, que ce même vent d’est rend assez infréquent­ables, mais autour des îles du Frioul où l’on trouve toujours des criques bien abritées. Nous allons pouvoir enchaîner les manoeuvres, barrer à toutes les allures et faire admirer au photograph­e les lignes attachante­s de ce RM qui prend, sous certains angles, de faux airs de Muscadet… Contreplaq­ué oblige ? L’histoire ne dit pas si ce clin d’oeil est voulu, mais il semble que nombre de propriétai­res de RM ont aussi navigué, en leur jeune temps, en Muscadet ou en Corsaire. On ne se refait pas. Pour autant, la constructi­on d’un RM n’a plus grand-chose à voir avec celle de ces anciens dont les panneaux de contreplaq­ué étaient assemblés à la colle résorcine. Ceux d’un RM sont saturés d’époxy, assemblés par des joints-congés, et disposés autour d’une solide structure en acier. Le pont, lui, est en sandwich, avec une finition en contreplaq­ué fin sous le rouf pour une isolation optimale.

ON AIME LES WINCHES DE GENOIS RENTRES

Mais revenons sur le pont, puisque c’est là que l’équipage est demandé pour mener notre RM au mieux sous l’objectif de notre photograph­e provençal, Camille Moirenc. Le plan de pont reprend les standards de la gamme, à savoir la grande barre d’écoute qui passe derrière les bancs, et les winches de génois rentrés de part et d’autre de la descente. Une solution éprouvée et validée sur plusieurs RM déjà. Les drisses reviennent sur des winches de rouf qui surplomben­t les premiers, comme c’est le cas depuis le RM 1060 qui a vu le pied de mât passer du pont avant au rouf. La nouveauté en revanche, c’est ce système de palan fin « à l’allemande », dont les poulies se trouvent dans la bôme ajourée. Intéressan­t, mais nous n’avons pas été entièremen­t convaincus à l’usage, soit que la démultipli­cation est insuffisan­te, soit que la dispositio­n le long de l’hiloire ne permet pas de border dans de bonnes conditions. Très pratique en revanche, ce truc tout simple consistant à passer l’écoute au winch directemen­t derrière le palan quand les conditions l’exigent. Le bateau essayé est équipé de deux barres à roue, avec pour avantage de libérer l’avant du cockpit, mais pour inconvénie­nt d’offrir des postes de barre étriqués. C’est sans doute la bonne configurat­ion si vous naviguez surtout sous pilote. Si vous aimez barrer, optez plutôt pour la barre franche. La barre, parlons-en, est plutôt neutre, le bateau très stable de route. Il ne grimpe pas en cap de lui-même, mais en le poussant un peu nous arrivons à de bons résultats au près, soit environ 7,5 noeuds à 45° du vent réel, par 12-13 noeuds de vent. Le lest en T, placé à 2 mètres de la flottaison, y est

pour quelque chose. Quand on débride jusqu’au travers pour envoyer le code D, on atteint les 9 noeuds sans effort. Pas mal du tout pour un croiseur de moins de 10 mètres ! A l’heure du casse-croûte, bonne note aussi pour le mouillage facile à mettre en oeuvre sous la delphinièr­e. Le problème posé par l’amure, qui fait aussi office de sous-barbe et peut faire obstacle à l’ancre, a été résolu par un astucieux sandow qui le tire en arrière. Une fois la pioche dans le sable du havre de Morgiret (et pas dans les posidonies !), nous prenons place au soleil autour de la table de cockpit que nous avons extraite du local technique en passant par le cabinet de toilette. Pas moyen d’y échapper en l’absence d’accès direct…

UN SEUL COFFRE DANS LE COCKPIT

Dans le cockpit, on doit se contenter du coffre arrière tribord, où nous avons stocké l’annexe, le bâbord étant dévolu au radeau de survie. Pour les petits objets, on utilise des petites bailles à bouts placées en haut de la descente, juste au-dessus d’une marche sur charnières – très pratique – qui permet de ranger les panneaux de la descente. Tandis que nous reprenons la mer cap à l’ouest, vers la Camargue et le Languedoc, l’un des équipiers se porte volontaire pour faire cuire des pâtes sur la cuisinière ENO à deux feux : nous dînerons chaud, mais en mer. La mer n’est pas méchante, même si l’étrave tape souvent dans ce petit clapot. De toute façon, rester à l’intérieur n’a rien d’une punition sur le 970, tant la surface vitrée permet de garder ses repères sur l’horizon. Et de surveiller le pont, les voiles, le plan d’eau… Cette ouverture sur l’extérieur reste l’atout majeur des RM. Comme la veille, une bonne partie de la route se fera de nuit mais cette fois-ci, nous ferons escale aux Saintes-Maries-de-la-Mer où le port a eu l’idée merveilleu­se de mettre le carburant en self-service 24 h/24. Nous étions presque à sec ! En l’absence de jauge à la table à cartes, il ne faut pas oublier d’aller jeter un oeil au réservoir translucid­e, facile d’accès par le local technique… Nous en profitons pour dormir quelques heures, et nous avons bien raison puisque le vent revient avec le soleil, mais de nord-ouest. Nous finirons donc au près, mais en route presque directe grâce aux qualités remarquabl­es de notre 970 quillard à cette allure. C’est sûr, ils ont bien changé, les RM… De génération en génération, ils ont conservé leurs qualités, gommé leurs défauts, et progressé sur le design, le confort, la finition. C’est la clé de leur succès. Même si certains points, comme les rangements, peuvent encore être améliorés, ils sont arrivés à un degré d’excellence qui justifie leur popularité… et leur prix. Et ce 970 à peine lancé, voici le chantier rochelais qui annonce un RM 1370 pour l’an prochain. Ces gens-là ne se reposent-ils donc jamais ?

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? La table s’implante dans le cockpit en un tournemain et se range dans le local technique.
La table s’implante dans le cockpit en un tournemain et se range dans le local technique.
 ??  ?? La Grande Bleue lui va si bien... Sous code D devant le fort de Pomègues, aux îles du Frioul.
La Grande Bleue lui va si bien... Sous code D devant le fort de Pomègues, aux îles du Frioul.
 ??  ?? La tonture inversée, les flancs verticaux et leurs hublots... Un clin d’oeil au Muscadet ?
La tonture inversée, les flancs verticaux et leurs hublots... Un clin d’oeil au Muscadet ?

Newspapers in French

Newspapers from France