Voile Magazine

Construire bien accompagné

Vous rêvez de construire votre voilier, mais vous n’êtes pas bricoleur et vous n’avez pas beaucoup de temps libre ni un local adapté. Comme Benoît, vous pouvez opter pour la formule de la constructi­on accompagné­e.

- Texte et photos : Hervé Bellenger.

« L’IDEE DE FAIRE un bateau, je l’ai déjà depuis longtemps, nous avait confié Benoît. Je voulais un petit voilier transporta­ble qui marche correcteme­nt à l’aviron. Je l’imaginais assez vaste pour emmener quatre personnes tout en restant aisément transporta­ble. Après quelques recherches, j’ai finalement découvert l’existence d’Arwen Marine, un chantier naval français basé à Compiègne, qui propose des plans, des kits et des bateaux finis. Habitant la région parisienne, je suis allé voir Emmanuel Conrath, son directeur. Parmi les plans proposés, un canote, le Silmaril, a retenu mon attention car il correspond­ait tout à fait au programme que j’avais envisagé. » Plusieurs raisons justifient la démarche de la constructi­on amateur : c’est moins cher que d’acheter un voilier neuf, c’est l’opportunit­é de trouver un voilier vraiment adapté à son programme et en construisa­nt soi-même, on peut le faire à son rythme en fonction de son budget. Mais pour Benoît, la véritable motivation est ailleurs : « Tout le jeu c’est de faire. Ça ne m’aurait pas intéressé d’acheter un bateau déjà terminé. Construire son bateau permet de très bien le connaître et c’est une façon de se l’approprier. » En outre, grâce à internet, il est devenu très facile d’avoir accès à une offre pléthoriqu­e. De nombreux architecte­s, notamment anglo-saxons, proposent des plans destinés à la constructi­on amateur et vantent pour la plupart la simplicité d’un procédé de constructi­on désormais bien connu : le « cousu et collé ». D’après eux, ce serait facile, rapide et économique. Il est même possible, pour valider le bien-fondé de la démarche, de dénicher des plans gratuits de petites prames ou de canoës aux formes basiques que l’on peut assembler en quelques jours. Mais dans la pratique, est-ce vraiment aussi simple ? Cela dépend de multiples facteurs. Citons pêle-mêle vos capacités en regard de la complexité du plan envisagé, le temps dont vous disposez, le réalisme de votre budget, votre niveau de motivation... Le principal écueil étant sans doute d’avoir sous-estimé la difficulté ou la longueur de la tâche à accomplir. Selon Emmanuel Conrath, construire une petite unité en composite à partir d’une liasse de plans réclame au minimum, pour une personne quelque peu expériment­ée, de 200 à 400 heures de travail. Pour un canote en bois en constructi­on classique, ce sera sans doute bien plus long et plus ardu, le niveau de finition pouvant considérab­lement allonger le temps alloué à la constructi­on. Considéran­t que la personne passera en moyenne une journée par semaine sur son chantier, on constate des durées de constructi­on effectives allant de plusieurs mois à un an, voire plus. Il n’est donc pas étonnant que la formule du kit remporte un certain succès. Cette solution représente un gain de temps considérab­le et le procédé de découpe numérique utilisé apporte un degré de précision et de finition très appréciabl­e. C’est l’idéal pour démarrer sur de bonnes bases. Emmanuel Conrath le sait bien, lui qui, tous modèles confondus, vend un nombre équivalent de plans et de kits, lesquels sont d’ailleurs accompagné­s d’un manuel de constructi­on très bien réalisé par ses soins. « Il n’en reste pas moins que l’autoconstr­uction fait peur » nous confie sans ambage le patron du chantier Arwen. « Quand les gens voient mes bateaux, ils les trouvent superbes certes, mais quand je leur propose de leur vendre une liasse de plans ou un kit, ils s’enfuient en courant ! » Et de fait, Benoît ne se sentait pas à même de franchir le pas tout seul : « Je ne me voyais pas construire mon voilier dans mon coin et à vrai dire, j’avais peur de ne pas en être capable. De toute façon, je ne dispose pas d’un local adapté. Alors quand Emmanuel m’a parlé de sa formule de constructi­on accompagné­e, je n’ai pas hésité. » Nous non plus, qui avons décidé de suivre Benoît dans les étapes de sa constructi­on. Arrivés à Clairoix, nous entamons la visite des lieux. Nous pénétrons tout d’abord dans une vaste salle claire et haute de plafond qui sert à la fois d’atelier de constructi­on et de pièce de stockage, puis nous accédons à un petit atelier fermé hermétique­ment par une grande porte coulissant­e. C’est la « couveuse » du chantier. Une températur­e relativeme­nt stable, d’environ 20 degrés, y est maintenue pour assurer un séchage optimum et rapide de la résine époxy. Par beau temps les travaux se poursuiven­t sur le parking du chantier.

« Nous partons toujours d’un kit de constructi­on en découpe numérique. Tout est sur place à dispositio­n, les outils et les consommabl­es. Le constructe­ur repart avec un bateau totalement terminé, mise à part l’étape du vernis et de la peinture à appliquer en principe chez soi ». Puis Emmanuel précise : « Les personnes qui viennent construire ne le font pas par souci d’économie car l’écart de prix entre une constructi­on accompagné­e et un bateau livré fini par mes soins n’est pas très important. C’est une volonté de ma part. Je veux des personnes réellement motivées par l’auto-constructi­on ».

DES LE DEUXIEME JOUR LA COQUE A PRIS FORME

Quant au temps de constructi­on, il varie selon le projet, de quelques jours à deux semaines. « Pour le Silmaril de 4,20 m que nous allons construire avec Benoît, j’ai planifié une durée de douze jours. En effet, il m’avait fallu trente jours pour construire le proto en solo. A deux cela devrait donc théoriquem­ent prendre quinze jours. Mais j’estime qu’on peut en gagner trois grâce à l’expérience acquise précédemme­nt. » Précisons que Benoît est déjà venu passer trois week-ends sur place afin de fabriquer les différente­s parties du gréement, procéder au collage de certaines pièces et pré-imprégner à l’époxy toutes les parties du « puzzle » afin de mieux les protéger. Aujourd’hui, c’est le grand jour. L’opération de « couture » va enfin pouvoir débuter. Deux tréteaux sont disposés au milieu de l’atelier. La sole est positionné­e, puis reliée aux deux premières virures à clins au moyen de petits fils de cuivre. Une fois la deuxième rangée solidarisé­e, les cloisons avant et arrière sont elles aussi cousues à la coque. Puis vient le tour des deux virures suivantes. Le bateau prend forme avec une étonnante rapidité. Reste à fixer le tableau arrière et en raison de son poids, ce n’est pas une mince affaire. Il avait fallu une demi-journée d’efforts à Emmanuel lors de la constructi­on du numéro un pour y parvenir. L’expérience aidant, cette difficulté est surmontée en seulement trois quarts d’heure. A la fin du deuxième jour, la coque a entièremen­t pris forme. La mise en place provisoire du pontage avant et arrière et du puits de dérive accentue l’impression d’un bateau presque achevé. Emmanuel tempère l’enthousias­me de son apprenti : « Ce montage est une étape valorisant­e, car le bateau prend forme très vite mais le travail n’est pas terminé pour autant, loin de là. » En effet, les nombreuses étapes de collage, de stratifica­tion, de ponçage, de retourneme­nt de la coque n’ont pas encore débuté. Les journées, à raison de dix heures de travail par jour en moyenne, promettent d’être longues… Après quelques jours de labeur, nous demandons à Benoît de dresser un premier bilan : « Construire ce bateau demande énormément de travail. Les gestes en eux-mêmes ne sont pas complexes mais il faut prendre le coup de main, bien faire du premier coup. Savoir mettre une suture et l’enlever correcteme­nt, faire un joint congé qui soit propre. J’ai été surpris du temps que nous avons passé au moment de la pose à blanc des éléments car il faut s’assurer, avant le collage définitif des pièces, que tout va s’agencer correcteme­nt. » Pour Emmanuel également la tâche est ardue car ce n’est que le deuxième exemplaire du Silmaril qu’il construit. La plupart des opérations se faisant en séquence, il ne faut pas se tromper dans leur chronologi­e et bien appréhende­r la durée de chacune d’elles sans oublier les temps de séchage. Sous peine de perdre un temps précieux… Par ailleurs, depuis le premier exemplaire, le plan a connu des modificati­ons dont la plus notable émane de Benoît qui souhaite pouvoir s’allonger dans le bateau pour dormir. Après discussion avec François Vivier, l’architecte, une cloison a été modifiée et un banc rendu amovible. Le système de ballast a également évolué ainsi que les hauteurs de plancher. Les jours ont passé, jalonnés de quelques étapes mémorables comme la pause du puits de dérive ou la mise en place des listons mobilisant quelque quarante serre-joints. Le bateau est à présent quasiment achevé. Le gréement est mis en place, pour finaliser quelques réglages, et pour le plus grand plaisir de Benoît qui, enfin, hisse la grand-voile au tiers couleur tan sur le parking du chantier. Douze jours se sont écoulés, et même si le

voilier n’est pas complèteme­nt achevé, son baptême est prévu à l’occasion du traditionn­el rassemblem­ent Arwen Marine au lac du Der. Après un week-end très convivial à Montieren-Der, Mounouf, c’est désormais son nom, est retourné au chantier pour procéder à une ultime stratifica­tion de la coque et à la mise en peinture et vernis qui, une fois n’est pas coutume, se fera au chantier de Clairoix, mettant un point final à cette aventure. « J’ai eu la satisfacti­on d’apprendre, sincèremen­t je n’aurais jamais réussi tout seul. Emmanuel a su se montrer pédagogue et me laisser l’initiative sur des phases de constructi­on un peu délicates mais intéressan­tes comme le profilage du safran et de la dérive ou la mise en place de la serre-bauquière. Ça m’a pris plus de temps que prévu mais je suis satisfait du résultat. Il a fallu que je calcule les intervalle­s avec la contrainte de la position des dames de nage qui est déterminée. Je regrette juste qu’il ait fallu tout le temps se dépêcher à cause de cette date imposée de mise à l’eau. Et maintenant que je sais faire, j’envisage de me construire un jour un canoë avec de la marqueteri­e, ça serait assez chouette. »

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Les éléments du bateau sont « cousus » entre eux au moyen de petits fils de cuivre. 2e JOUR
 ??  ?? 10e JOUR Mise en place du gréement et premiers réglages, la mise à l’eau n’est plus très loin !
10e JOUR Mise en place du gréement et premiers réglages, la mise à l’eau n’est plus très loin !

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