Voile Magazine

Le croiseur d’une nouvelle ère

L’Ofcet 32 avait déjà défrayé la chronique l’an dernier avec ses lignes délibéréme­nt futuristes. Sa version SC – comme Sport Cruiser – pousse la démonstrat­ion encore plus loin en mettant le talent de l’ambitieux plan Lombard au service de la croisière.

- Texte : F.-X. de Crécy. Photos : Pierrick Contin et l’auteur.

comme sur l’eau, il fait tourner les têtes, s’arrondir les yeux et suscite toutes sortes de commentair­es. C’est sûr, quand on affiche une étrave inversée aussi prononcée, un tiers avant aussi joufflu et barriqué, des bordés à teugue d’un genre inédit... il ne faut pas espérer naviguer incognito. Ce design détonnant, voire dérangeant, est crânement assumé par Yann Dubé, l’un des papas de l’Ofcet 32. Pourquoi lancer un nouveau bateau s’il n’apportait rien de nouveau ? Quant à Marc Lombard et son équipe, c’est bien simple, ils n’attendaien­t que ça ! Qu’un chantier assez culotté pour se lancer dans l’aventure se propose de construire ce voilier IRC nouvelle génération qu’ils avaient en tête depuis un certain temps. Convaincus par la qualité de constructi­on de l’Ofcet 6.50, Marc Lombard et Eric Levet ont fait savoir à Yann Dubé qu’ils feraient tout pour l’aider à mettre au monde l’Ofcet 32. Pour Yann, c’était le moment.

UN CHANTIER NE DE LA MINI-TRANSAT

Son chantier (Prépa Nautic à l’époque) avait construit une quinzaine d’Ofcet 6,50, mini de série à succès dessiné par Etienne Bertrand. Mais la demande de minis étant par nature cyclique, ou en tout cas fluctuante, il fallait préparer l’avenir. Le projet du cabinet Lombard permettait de mettre à profit l’expertise technique du chantier, notamment sa maîtrise de l’infusion, tout en visant une clientèle plus large en s’appuyant sur la Transquadr­a. Car cette transat amateur en double ou en solo était bien au coeur du programme de l’Ofcet 32 tel qu’il a été présenté l’an dernier à La Rochelle. Mais soyons clairs : la version croisière que nous découvrons aujourd’hui était prévue depuis le début, comme en témoignent ses grands hublots de coque, car il était évident pour tous que le chantier aurait rapidement besoin d’élargir son public. Ce nouvel Ofcet 32, siglé SC comme Sport Cruiser, vise donc la croisière rapide et la régate occasionne­lle. Raison pour laquelle le bateau sur lequel nous embarquons à La Trinité n’a plus grand-chose à voir avec celui que nous avions essayé l’an dernier dans les pertuis. Exit l’ambiance régate et les aménagemen­ts purement fonctionne­ls, le volume qui se dévoile au pied de la descente tout en douceur est traité avec goût, de nombreuses pièces de bois apportant leur touche chaleureus­e. A bâbord, une vraie cuisine autour de laquelle toutes nos courses trouveront leur place, à tribord une table à cartes également bien dotée en rangements et placée dans le sens de la marche, de telle sorte qu’on profite de la visibilité sur le plan d’eau offerte par les très longs hublots de coque et par les hublots frontaux du rouf – en se levant un peu. Au milieu, un meuble central qui s’avérera très pratique et une table de carré aux dimensions impression­nantes. Dès la première visite, on comprend que le programme de croisière a été pris très au sérieux. A vérifier sur l’eau, et le plus tôt sera le mieux ! Car pour comprendre et aimer ce bateau, il faut naviguer. C’est aussi vrai au plan esthétique : trapu au port, il s’anime en mer et ses lignes prennent tout leur sens avec 15° de gîte. Cette étrave imposante, voire agressive à l’arrêt, montre son efficacité et son agilité dans le clapot et, cerise sur le gâteau, le soleil du matin jouant sur le pan coupé de la teugue révèle des lignes dynamiques mais plus douces qu’on le croyait. C’est une sorte de révélation, d’autant que cette version croisière est dotée d’un gréement plus élancé – paradoxe lié aux contrainte­s de la jauge IRC – et plus élégant que la version course. L’autre bonne surprise, c’est la circulatio­n à bord, parfaiteme­nt fluide, et l’intelligen­ce du plan de pont. Après tout, les qualités recherchée­s en course en équipage réduit – confort du poste de barre, position de travail au winch... – sont également appréciabl­es en croisière. Tout comme les performanc­es : le passage des Béniguet, au nord-ouest de l’île d’Houat, défile comme dans un rêve, le grand spi blanc est envoyé : nous serons à la pointe de Kerdonis, à l’est de Belle-Ile, à l’heure du casse-croûte. Avant de mouiller face aux sables blancs de Port-Andro, il nous faut soulager la sous-barbe et l’amarrer au balcon pour qu’elle n’entrave pas la descente de l’ancre. Le davier intégré à la grande delphinièr­e déporte suffisamme­nt le mouillage pour ne pas menacer le brion forcément proéminent, s’agissant d’une étrave inversée. L’apéro est partagé dans le cockpit, mais le soleil tape fort et la tentation est grande de profiter du carré pour déguster le poulet rôti et ses petites patates. D’autant que depuis les banquettes, la vue sur mer est imprenable à travers les longs hublots de coque et même par le hublot de la cabine avant : sa cloison a été

astucieuse­ment ajourée pour cela. Côté cuisine, cette pause déjeuner nous conduit à critiquer la table à feu très basse (en cours de modificati­on) et l’absence de hublot d’aération dédié. Mais il faut reconnaîtr­e que l’excellente aération générale du bateau, surtout au mouillage où le panneau avant incliné fait entrer beaucoup d’air, prévient tout risque d’enfumage. Un peu de vaisselle, juste le temps d’apprécier le ballon d’eau chaude, un rapide débat quant au choix de notre destinatio­n (Groix ou Noirmoutie­r ?) et nous pouvons lever l’ancre. C’est l’île vendéenne qui a eu notre préférence, parce qu’elle nous permet de boucler la distance de 100 milles réglementa­ire, parce qu’on y va moins souvent et parce que... pourquoi pas après tout ? C’est ça la croisière, le bonheur de viser sur un coup de tête telle ou telle escale désignée par la marée, la météo ou l’humeur du moment.

PATATRAS! LE SPI PART A L’EAU

L’ancre est saisie dans le davier, et presque aussitôt le spi claque en tête. Hélas, dès la première risée, tout s’écroule et le spi part à l’eau, nous sommes chanceux de pouvoir ramener sans peine ses 105 m2... Que s’est-il passé ? Tout à son enthousias­me, un équipier que nous ne nommerons pas a confondu vitesse et précipitat­ion... et le mousqueton de drisse a été mal fermé. Il en sera quitte pour une promenade en tête de mât, fort heureuseme­nt pour lui comme pour nous, c’est l’affaire de cinq minutes et la bulle est aussitôt renvoyée. Le long bord de portant qui commence à destinatio­n du port de l’Herbaudièr­e sera une affaire de compromis – comme toujours – entre l’angle de descente et la vitesse d’un bord appuyé, qui rime aussi avec confort dans cette mer assez formée. Quand le vent mollit, nous sommes obligés de lofer. Quand il forcit, nous pouvons abattre et nous rapprocher de la route directe. En fin de journée il s’établit pendant une petite heure entre 12 et 14 noeuds et on sent que l’Ofcet ne demande qu’à partir au planing. Il le fait par moments et nous offre au passage des pointes à 10 noeuds. Il ne manquerait, pour stabiliser cet état de bienheureu­se lévitation, qu’un peu de vent en plus, ou quelques kilos en moins : nous n’avons lésiné ni sur les packs d’eau minérale ni sur les provisions de bouche. Mais notez que l’Ofcet 32 de croisière, de ce point de vue, n’a rien à envier au bateau IRC. Ce dernier a en effet été doté d’une quille droite pour ne pas pénaliser son rating, alors que l’Ofcet 32 SC a pu recevoir une quille à bulbe en T aussi efficace en termes de redresseme­nt... avec 300 kg de moins qui compensent largement l’ajout de quelques meubles en sandwich. Yann Dubé, qui a couru la première étape de la Transquadr­a en double sur l’un des premiers Ofcet 32 IRC, a même l’impression que la

version croisière plane plus tôt que l’autre. Et du fait de cette quille à bulbe, mais aussi du plan de voilure plus élancé, c’est tout à fait possible. La carène, elle, reste la même et elle vise précisémen­t le planing dès le médium avec son tiers avant très volumineux (type IMOCA ou mini nouvelle génération) et ses formes arrière tendues, mais pas trop. Comprenez par là plus tendues que celles d’un JPK ou d’un Sun Fast 3200, mais moins que celles d’un Pogo… Le nom de ce grand concurrent finistérie­n revient souvent dans la conversati­on, et pour cause : l’Ofcet 32 SC vient marcher sur ses plates-bandes. Mais le fait à sa manière, et en poussant un peu plus loin le curseur du confort en croisière. Pas question par exemple de marcher dans le varangage, sur l’Ofcet le contre-moule affleure mais il est au niveau du plancher… Pour faire simple, on pourrait affirmer que l’Ofcet 32 SC vise un créneau intermédia­ire entre RM et Pogo, mais cela mériterait d’être validé par un petit comparatif !

ARRIVEE DELICATE A L’HERBAUDIER­E

Mais on parle, on parle, et l’horizon crépuscula­ire laisse place à une nuit sans lune au fond de laquelle scintille le phare du Pilier (trois éclats toutes les vingt secondes), balise clé d’une arrivée délicate à négocier au port de l’Herbaudièr­e. Nous choisisson­s la passe nord, la plus facile, mais les fonds remontent quand même très vite. La prudence commande de ralentir, mais pas trop car à basse mer nous ne passerons pas en fin de chenal. Au final, nous passons avec deux décimètres d’eau sous la quille après avoir patiemment refoulé le puissant jusant de la Loire et pouvons dormir du sommeil du juste. Après le local technique et sa couchette étonnammen­t confortabl­e, testée la veille, j’essaie la cabine avant. Un vrai petit palace, séparé du carré par une isolation textile de bonne facture, réalisée par la sellerie saintoise Pattenote, tout comme les superbes équipets textiles des différente­s cabines. Une vraie réussite. Dans le triangle avant, le fait de pouvoir extraire un panneau matelassé pour disposer d’une assise centrale au niveau de la tête de couchette, la largeur confortabl­e au niveau des pieds et les hublots de coque (avec leurs rideaux) renforcent l’impression d’avoir une vraie cabine, et non un simple lit breton. Au réveil, le vent de nordet étonnammen­t frais qui entre dans la descente nous apprend que nous allons tirer de longs bords de près pour regagner la baie de Quiberon. Tant pis ou tant mieux, nous aurons ainsi testé dans la durée toutes les allures possibles, et nous allons pouvoir travailler nos réglages au près sous la houlette de Yann. On ajuste notamment le point de tire de génois en deux dimensions, jouant sur le rentreur et sur le barber. En rentrant le point de tire, on améliore le cap

mais aussi la puissance sur le tiers avant qui favorise le passage dans le clapot. En baissant le point de tire avec le barber, on ferme la chute exactement comme si on avançait le roller sur un rail, et on creuse le bas de la voile pour trouver plus de puissance dans le petit temps. Ces quelques réglages effectués, la grand-voile correcteme­nt vrillée (chariot au vent, bôme dans l’axe), nous tirons le meilleur des 9 noeuds de vent réel (moins qu’au réveil) à 4,3 noeuds, en pointant à un peu moins de 40° du vent réel. Angle que nous vérifions sur l’autre amure, l’écart de cap étant bien de 75 à 80°. En fin de journée, le vent montera à 15 noeuds et notre vitesse aux alentours de 7,5 noeuds… le tout avec des voiles Dacron commandées sur Sailonet.

CARENE PUISSANTE DE LARGEUR MODEREE

L’autre bonne surprise, c’est le confort à la mer. Une fois calé à la gîte, l’Ofcet profite de la puissance de ses formes en dépit de son maître-bau modérée et s’avère particuliè­rement stable. L’étrave inversée forme une sorte de bulbe qui passe parfaiteme­nt le clapot, elle tape très rarement et quand elle le fait, on ne sent pas ce petit coup d’arrêt que produit un fond de coque plat sur l’avant. Dans ces conditions il est vrai très maniables, cette journée de près serré passe comme une lettre à la poste et nous voilà à l’heure pour la pleine mer au port de La Croix, sur la côte sud d’Hoëdic. Nous ne resterons pas à l’échouage – les appendices de l’Ofcet 32 ne sont pas faits pour cela – mais nous ne résistons pas au plaisir d’aller faire un tour au moteur dans ce petit bassin perdu entre dunes et marais. Un petit paradis oublié, mais pas perdu pour tout le monde : une quinzaine de bateaux y sont nichés, et au vu de l’amarrage de certains, il ne fait aucun doute qu’ils y passent une bonne partie de l’été. Du coup, l’Ofcet joue un peu les intrus ! D’autant qu’entre ces Jeanneau, Dufour ou Bénéteau des années 1980 et l’Ofcet 32, il y a plus d’une génération d’écart, avec à la clé un vrai choc culturel pour les plaisancie­rs du cru. Ce pêcheur en ciré jaune qui démêle son filet me tourne le dos, mais au temps d’arrêt qu’il marque en découvrant l’Ofcet, on devine aisément une sorte de sidération. Avec de tels bateaux, c’est clair, nous sommes en train de changer d’époque… D’autres à bord changent d’année, et les bougies sont soufflées dans le carré de notre Ofcet mouillé devant le port, là où les fonds forment une petite fosse qui nous permet de rester à flot. La veille, l’éclairage du carré m’avait semblé un peu violent, je réalise qu’en fait, entre les rubans de LED centraux, ceux dissimulés au-dessus des bordé et les liseuses, on peut moduler l’ambiance à l’envi. Là encore, le chantier a privilégié le confort en croisière, et il n’a pas fait les choses à moitié. Idem pour les grands hublots de rouf déjà cités, au coucher du soleil ils jouent pleinement leur rôle et nous permettent de profiter du cadre et de la lumière tout en restant au chaud.

Incursion remarquée de l’Ofcet dans le petit monde du port de La Croix...

Troisième nuit, troisième couchette : je tente la cabine arrière, la plus spacieuse et la mieux lotie avec sa large assise angulée pour offrir le meilleur confort à la gîte. Royal pour s’équiper avant un quart de nuit. Là encore, les rangements textiles sont très bien faits mais curieuseme­nt, la cabine avant garde ma préférence. Mais qu’importe, la nuit est bien courte et elle se dissipe à peine quand nous pointons notre étrave le long de la côte orientale d’Hoëdic : nous sommes attendus à La Trinité où le bateau est loué à partir de midi chez Alternativ­e Sailing. Tout va bien, nous avons un bord direct, tribord amure dans un vent un peu plus frais que la veille.

ERGONOMIE DU POSTE DE BARRE

C’est l’occasion d’éprouver l’ergonomie du poste de barre à la gîte. Elle est excellente, car non seulement on trouve immédiatem­ent le cale-pieds réglable (tube inox façon mini), mais le barreur est naturellem­ent tourné d’une vingtaine de degrés vers la route, ce qui évite de s’abîmer les cervicales sur un long bord. Bien vue également, la position au winch de génois sous le vent avec ce pan coupé qui permet de placer facilement les épaules à la verticale de la manivelle, et fait aussi une belle surface plane à la gîte pour circuler entre cockpit et passavant. Que demander de mieux ? Une barre plus légère éventuelle­ment, on pourrait commencer par améliorer le réglage des safrans visiblemen­t trop pincés. Il n’y aura pas de miracle, cette formule bi-safran n’est pas idéale pour les sensations de barre. Mais elle offre un contrôle sans pareil, nous le vérifions quand la brise s’établit à 18-19 noeuds dans la matinée, nous gardons tout dessus et jamais l’Ofcet ne fait mine de vouloir passer sur sa barre. Ce n’est qu’à partir de 22 noeuds qu’il faudrait vraiment réduire, et là encore la raideur d’un bateau né pour la régate fera le bonheur des équipages en croisière. Quel que soit le programme, un bon bateau reste un bon bateau ! Et à tout prendre, cette version croisière est peut-être l’aboutissem­ent du concept Ofcet… y compris pour la régate en IRC ! Car en jouant sur le facteur de coque et l’habitabili­té, l’Ofcet 32 SC pourrait sauver en rating ce qu’il perd en quille et plan de voilure. A vérifier, le bateau sera jaugé sous peu. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a déjà tous les atouts d’une bête de croisière du XXIe siècle.

 ??  ?? Les lignes arrière sont relativeme­nt douces par rapport aux Pogo, le maître bau raisonnabl­e.
Les lignes arrière sont relativeme­nt douces par rapport aux Pogo, le maître bau raisonnabl­e.
 ??  ?? La table forme un carré convivial, c’est le cas de le dire, d’un peu plus d’un mètre de côté. Vue sur mer garantie, même par les hublots de coque avant grâce aux ouvertures pratiquées dans la cloison.
La table forme un carré convivial, c’est le cas de le dire, d’un peu plus d’un mètre de côté. Vue sur mer garantie, même par les hublots de coque avant grâce aux ouvertures pratiquées dans la cloison.
 ??  ?? Au mouillage à Hoëdic, pas besoin de sortir sur le pont pour profiter du coucher de soleil.
Au mouillage à Hoëdic, pas besoin de sortir sur le pont pour profiter du coucher de soleil.
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 ??  ?? Un imprévu : la drisse de spi à aller chercher en tête de mât. Oh hisse !
Un imprévu : la drisse de spi à aller chercher en tête de mât. Oh hisse !
 ??  ?? 100 milles tout ronds, de beaux mouillages et surtout l’occasion de tester toutes les allures.
100 milles tout ronds, de beaux mouillages et surtout l’occasion de tester toutes les allures.
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