Voile Magazine

Le marin, l’ours et la liberté

- François-Xavier de Crécy

Il est marrant, Yvan Bourgnon. Il vous reçoit dans son hôtel parisien avec sa barbe de père Noël et son sourire goguenard, les doigts de pied littéralem­ent en éventail – il est vrai qu’il a laissé la sensibilit­é de ses orteils dans le passage du Nord-Ouest –, et vous raconte tout sans faire de cinéma. Pas de com’ non plus, les éléments de langage bien huilés, c’est pas vraiment son truc. « Le summum de la connerie », c’est ainsi qu’il qualifie l’un des moments extrêmes de son passage du Nord-Ouest, la traversée de la mer de Baffin au milieu des glaçons, à toute berzingue y compris la nuit… A l’entendre, la réussite de cet exploit majuscule ne résulterai­t que d’une succession de petits et grands miracles. Le glaçon est passé à côté, le cata est retombé à l’endroit, l’ours blanc avait déjà pris un phoque au petit-déjeuner… Et Yvan passe. Yvan réussit et signe un nouveau tour de force. Lui qui n’était pas toujours heureux en course, et trop souvent dans l’ombre de son frère, il est devenu grand dans ces odyssées invraisemb­lables sur sa Louloute qui ont fait de lui une sorte de Mike Horn du cata de sport. Au-delà des exploits, c’est le parcours qui interpelle. Voilà un marin qui a su se montrer suffisamme­nt créatif pour conquérir sa liberté. Un gars qui illustre cette idée à la fois simple et salutaire selon laquelle chacun d’entre nous peut faire de sa carrière une aventure et que rien n’est écrit d’avance. La créativité, c’est la clé. Prenez les 81 concurrent­s et concurrent­es de la Mini-Transat : tous ne feront pas de la course leur métier, loin de là. Mais aucun ne reviendra indemne de l’aventure, et pour nombre d’entre eux la Mini sera un tournant, personnel, profession­nel, qu’importe, une chose est sûre : toute prise de liberté est décisive. Nos rêves nous grandissen­t et quand nous les réalisons, ce sont eux qui nous réalisent… « Le voyage que vous croyez faire, c’est lui qui vous fait » disait en substance Nicolas Bouvier. Nous, on fait du bateau et on adore ça, et je parie que nos bateaux, d’une certaine façon, nous rendent meilleurs. Que notre passion nous modèle et nous élève. Au-delà du loisir ou de la compétitio­n, c’est évidemment le véritable enjeu de nos navigation­s en tout genre. Et ça peut justifier qu’on prenne certains risques, y compris celui de finir dans l’estomac d’un ours polaire égaré.

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Yvan Bourgnon en famille, à son arrivée à Nuuk, Groenland, le 22 septembre.

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