50 bougies pour PenDuickIII !
Sept courses, sept victoires pour Pen Duick III. Du jamais vu dans l’histoire de la course au large pour la goélette d’Eric Tabarly, née il y a tout juste cinquante ans. Avant de fêter sa présence au Nautic, nous avons profité de la Noirmoutier Classic po
ET UNE, ET DEUX, ET TROIS
et quatre victoires en temps réel et en temps compensé pour Pen Duick III. Faut-il y voir un signe du destin ou le simple fait du hasard ? Sans doute un peu des deux, mais l’histoire semble bien se répéter, cinquante ans après l’insolente domination d’Eric et de son équipage de furieux dans les courses du RORC d’août 1967. Il est vrai qu’on ne saurait en rien comparer les régates de la Noirmoutier Classic avec les prestigieuses courses anglaises de l’été 1967. Tout comme il n’y a rien de commun entre des parcours côtiers en baie de Bourgneuf et une course de 600 milles comme le Fastnet. N’empêche ! Je l’interprète comme un bel hommage au génie visionnaire d’Eric Tabarly qui dessina ce bateau en brisant sans ménagement les codes architecturaux de l’époque. L’occasion pour lui d’innover, après Pen Duick II, dans tous les domaines : l’aluminium pour la coque, les bouchains pour la carène, le bulbe pour le lest, le gréement de goélette pour le plan de voilure. En fait, je m’en veux d’avoir attendu longtemps, trop longtemps avant de poser mon sac à bord. Pourtant, comme pour bon nombre d’entre nous, l’un des murs de ma chambre affichait le superbe poster en noir en blanc de
Pen Duick III photographié d’avion la veille de son arrivée victorieuse en Classe 1 à Hobart. La légende : « A stranger heads into the night » accompagnait la photo le représentant façon ombre chinoise sous spi, trinquette et misaine lattée. En octobre 1977, au départ de Portsmouth, on s’était même retrouvés concurrents dans la deuxième édition de la Whitbread. A l’époque rebaptisé Gauloises II, il avait remporté deux étapes de la course autour du monde, dont celle du cap Horn, mené par Eric Loizeau tandis que je courais sur Neptune, un plan d’André Mauric. D’acteur, j’étais passé spectateur lors du départ de la première Route du Rhum, en 1978 où, sous le nom de Saint-Malo Pointe-à-Pitre, il était mené par Philippe Poupon. Puis je l’avais suivi dans la Transat en double 1979, le Vendée Globe 1989, où sa présence ne manquait pas d’appeler au respect doublé d’admiration pour son élégante silhouette née de son étrave à guibre faisant office de bout-dehors. Je vais vous faire une confidence. Sur le plan esthétique, dans la dynastie des Pen Duick, c’est mon préféré malgré mon année passée sur Pen Duick VI lors de la Whitbread 1973/74 et de la Course des Bermudes 1974. C’est dire que j’étais impatient d’enjamber ses filières le premier jour de la Noirmoutier Classic où le III était engagé, aux côtés du V et de Pen Duick, dans le groupe des Classiques. En vérité, mon premier contact débuta par un choc. Pas émotionnel, physique. Celui de mon crâne dégarni avec le barrot de pont du carré où la hauteur au niveau de la table à cartes affiche seulement 1,50 m. La veille, dans sa maison de La Trinité- sur-Mer, Michel Vanek – mon idole des années soixante-dix – un ancien de la « dream team », m’avait pourtant prévenu. En vain. Car malgré sa taille
respectable, 17,45 m de longueur de coque, son intérieur ne manque jamais de vous rappeler à l’ordre. « On est rarement debout dans un bateau, disait Eric, mais plutôt assis. » Comment ne pas lui donner raison, d’autant que sous le pont, Pen Duick III se révèle l’exemple parfait du vrai bateau de mer, fonctionnel et confortable. Plus que de longs discours, suivez le guide. Une fois franchie la descente désormais équipée d’un capot coulissant, place aux deux banquettes de quart avec sur bâbord l’indispensable placard à cirés – tous des Cotten suspendus à des cintres – complété par un second réservé aux brassières. Puis vers l’avant, l’incontournable table à cartes à cardan, celle qu’Eric mit d’abord en place sur le II, puis sur le V et le VI. C’est là qu’éclairé par le panneau de pont, Gérard Petipas, navigateur hors quart et hors pair, a passé de longues heures à faire ses calculs astro et discuter stratégie avec Eric. En face de la table à cartes, la cuisine, domaine de Guy Tabarly, dit Babar, le père d’Eric, chargé de l’avitaillement et de nourrir des gaillards dont on peut imaginer l’appétit féroce. En poursuivant vers l’avant, le carré et ses couchettes sur cadre avec, au centre, le capot moteur abritant depuis sept ans un VolvoPenta D2 40 solidaire d’une tripale à pales repliables. Le premier moteur, obligatoire pour participer à Sydney-Hobart, fut installé à Sydney mais pratiquement jamais utilisé par Eric qui se faisait un devoir de manoeuvrer à la voile, même dans les ports.
PEN DUICK III SERA LA STAR DU NAUTIC 2017
Pour en finir, l’avant faisait office de soute à voiles où se rangeaient, dans les années soixante-dix, les voiles de Victor Tonnerre, les fameuses misaines, les trinquettes et les spis orange et noir. En fait si les vaigrages, absents lors de son lancement au chantier La Perrière ont été ajoutés, l’intérieur de Pen Duick III est resté conforme à l’image que se faisait Eric d’un bateau de course. Sur le pont, à quelques heures du départ, l’équipage cosmopolite s’agite, placé sous l’autorité du skipper Matthieu Thiercelin, trente-neuf ans, granvillais d’origine comme Gérard Petipas. Aujourd’hui président de l’association Eric Tabarly forte de 800 membres, Gérard s’était donné une mission après le décès d’Eric : maintenir la flotte des Pen Duick en état de naviguer. Mission assurée grâce au mécénat des Banque Populaire dont l’appui financier est en grande majorité utilisé pour assurer l’entretien de la flotte. Point de longs discours pour juger des résultats. Aujourd’hui le III, qui sera la star du prochain Nautic accompagné d’une exposition racontant sa saga, affiche sa superbe. En 2004, bon nombre de tôles de la coque ont été remplacées, les soudures refaites. Puis, en 2010, le III retrouvait son gréement de goélette originel, son wishbone sur le pont, indispensable pour porter les grandes misaines. La plus grande, à bordure libre, de 93,60 m2 étant capable de faire planer sa carène à bouchains au portant. Allons-nous la porter en sachant qu’elle impose une longue manoeuvre ? Rien n’est moins sûr avec ces petits bords de baie de Bourgneuf. Déçu ? Evidemment, en revanche ravi de ce départ sous spi asymétrique au coup de canon parfaitement orchestré par un équipage dont une bonne partie découvre le plan de pont. Ce dernier, en cinquante ans de bons et loyaux services, de centaine de milliers de milles parcourus, de changements de plan de voilure, goélette, sloop pour disputer des courses en Floride, ketch pour courir la deuxième Course autour du monde, puis enfin goélette, a connu bien des métamorphoses avant d’adopter
un accastillage de son temps. En 1967, la mode était aux emmagasineurs Goïot pour les drisses. Ils ont tous disparu, remplacés par des Lewmar. Tout comme ont été supprimés la sacro-sainte bulle autrefois fixée sur le sommet du rouf, les rails de génois et le moulin à café rajouté par Eric Loizeau. En revanche, pas de modification au niveau du cockpit. Il est toujours aussi étroit et pas vraiment conçu, de prime abord, pour manoeuvrer en équipage.
MOYENNE D’AGE : VINGT-DEUX ANS
On l’a depuis oublié mais en imaginant le III selon la jauge du RORC, Eric pensait également l’engager dans la Transat en solitaire anglaise de 1968 avant qu’il ne change radicalement de cap en concevant Pen Duick IV. Le premier trimaran océanique, qu’il mènera au départ de Plymouth avant d’abandonner après une collision. Pour l’heure, assis dans le cockpit face à Matthieu, je cède à la nostalgie pendant le dernier bord de près avant de couper la ligne d’arrivée devant la plage des Dames de Noirmoutier. Il y a une image qui m’a toujours interpellé, celle publiée dans l’édition de Paris Match du 13 janvier 1968, que j’ai conservée comme une relique (voir P. 106). Dans le même cockpit, Yves Guégan est à la barre du III sous spi face à Babar, le père d’Eric, tandis que l’équipage étalé sur le pont tente de retrouver le repos. Tous sont là. Les deux toubibs du bord, Pierre English et Philippe Lavat, Michel Vanek, Eric, son frère Patrick, Gérard Petipas et Olivier de Kersauson. Moyenne d’âge de l’équipage : vingt-deux ans, mais une envie de gagner et une pêche d’enfer auréolées par sept victoires sur sept courses. Du jamais vu. Evidemment, on a souvent dit que le III était intouchable au portant en raison de sa surface de voilure XXL. Mais ce serait trahir la vérité de ne pas y associer sa carène imaginée par Eric Tabarly, testée – encore une première – dès le mois d’octobre 1966 au bassin des carènes de l’ENSM de Nantes sous la direction du Professeur Ravilly. Sans entrer dans les détails, il est bon de préciser que les études réalisées dans le bassin de carène de 30 mètres de long, 2,50 de large et 1,50 de profondeur ont été menées en comparant les maquettes des
Pen Duick II et III, réalisées à l’échelle 1/12. Les maquettes étaient tractées à force constante par un fil relié à une machine dite d’Atwood, la vitesse limite atteinte par chaque maquette étant mesurée par un compteur électronique. Mieux, six types différents de lest ont également été testés pour aboutir à un profil innovant pour l’époque, un plan trapézoïdal terminé par un bulbe en forme de torpille, équipé d’un trimmer. Depuis longtemps supprimé, il ne semble en rien modifier l’équilibre sous voiles. La preuve,
m’en est apportée à la barre franche lors d’un long bord de près. La carène est comme sur des rails. Il n’y a rien à faire, juste négocier chaque risée et jouer, au cas où, de l’écoute de grand-voile accessible depuis l’arrière du cockpit, là où un équipier se voit aussi chargé des écoutes de yankee. C’est incroyable, mais malgré sa taille respectable, Pen Duick III se mène comme une mobylette. Ce que vont me confirmer plus tard Philou et Jean-François Costes. C’est vrai que son point faible porte sur ses performances dans le petit temps. Mais dès que la brise dépasse 12 noeuds, il marche comme un avion. A toutes les allures, au près comme au portant. Encore une preuve ? Notre départ de la seconde régate en compagnie des concurrents de la jauge métrique, les 8 m JI et 6 m JI, où nous allons rapidement faire notre trou pour finalement remporter, au terme de l’épreuve, le classement général, devant Pen Duick V. Qu’auraient pensé Eric, Olivier, Victor, Patrick, Gérard, Michel ou Philippe, de nos manoeuvres ? J’imagine qu’ils auraient trouvé à redire. Est-ce vraiment important ? Cinquante ans après, la goélette gratifiée du plus long sillage de tous les Pen Duick continue de naviguer. Elle a traversé l’histoire pour l’écrire toujours au présent.