Convoyage en Malango 10.88
Annoncé après que le Mojito 888 a été élu Voilier de l’année 2015, le Malango 1088 était attendu avec impatience. C’est que son concept est unique et séduisant : proposer une unité hauturière capable d’aller vite d’une escale à l’autre, une unité simple à
DENIS BOURBIGOT est de ces marins que l’on aime bien : renfrogné. Oui, mais aisément déridable. Il suffit de lui souffler un peu d’air du large dans le visage. Et ça tombe bien, puisque j’embarque sur le Malango 10.88 pour une navigation de près de 200 milles entre Concarneau et La Rochelle. Disons plutôt que Denis est un passionné, assumant pleinement l’idée qu’il s’est faite, à coups de milliers de milles nautiques, de ce que doit être un bon croiseur. Une idée qui trouve ses sources dans son CV : préparateur des voiliers de course au large de Bertrand de Broc, constructeur-skipper d’un mini 6.50, spécialiste du composite, il aime ce qui va bien et vite sur l’eau. Responsable de flottilles de location et skipper en charter, il sait que la réussite d’une belle croisière se joue aux escales et qu’il faut, pour cela, pouvoir mouiller et descendre à terre simplement, rapidement. Le Malango est le produit de cette vision de la plaisance. Une équation résolue grâce à quelques compromis, à la maîtrise d’une construction légère en infusion, à un dialogue permanent entre architecte, chantier et propriétaire (puisque le Malango 10.88 est proposé à la carte), et surtout aux trois spécificités du Malango 10.88 : son ingénieux garage à annexe en tunnel qui caractérise tous les modèles du chantier IDB Marine, sa profonde quille relevable qui lui permet de jouer avec un tirant d’eau variable et ses béquilles d’échouage intégrées dont la mise en place depuis le cockpit ne demande qu’une poignée de minutes. Trois spécificités qui forgent le caractère du Malango 10.88 comme j’ai pu m’en rendre compte au fil de cette navigation, belle occasion d’emprunter – comme il se doit – des chemins de traverse. Une douce balade avec pour première escale les Moutons, îlet aux mouillages trop souvent délaissés entre la pointe de Mousterlin et les îles de Glénan. Le petit souffle matinal qui nous pousse vers l’île ne nous permet pas encore d’apprécier le comportement du voilier, l’heure est au tour du propriétaire. Première constatation, à bord on ne se bouscule pas. Le grand cockpit permet à Philippe, notre équipier, de hisser la GV depuis le piano du rouf sans craindre de heurter du coude ses collègues. Denis, quant à lui, tient la barre franche du bout du stick en gardant une vue bien dégagée sur la route grâce à sa position excentrée autorisée par la configuration en T du cockpit. GV envoyée, nous délaissons le solent autovireur – trop petit – au profit d’un code 0 amuré sur la delphinière. Inutile de jouer les équilibristes pour installer l’emmagasineur, puisque c’est l’amure qui vient à nous ! Un bout en Dyneema monté en continu sert à la fois d’ancrage pour le point d’amure et de sous-barbe. Un moyen efficace de reprendre la charge sur l’étrave et non directement sur l’espar d’étrave. Une façon aussi de jouer facilement sur la tension d’amure puisque le montage revient jusqu’au piano du rouf à portée de winch. Ainsi toilés, nous nous déhalons tranquillement vers les Moutons. Sept petits milles à un rythme de sénateur, et nous voilà prêts à tester l’une des plus belles promesses du Malango 10.88 : l’échouage. Dans un décor de bout du monde, nous avançons tranquillement vers la vieille cale du phare des Moutons. En 20 secondes, montre et télécommande en main, nous commandons au vérin hydraulique de remonter de la quille. Un lest en fonte de 1 500 kg plongeant à 2,80 m prestement escamoté et rangé en silence le long de la coque. Nous calons désormais un mètre et survolons les fonds de sable et de roches que l’eau translucide ne peut cacher. Mais le temps n’est pas à la contemplation, reste encore à glisser sous le lest un sabot et à déployer les deux béquilles télescopiques du Malango. Ce sabot de quille n’est pas indispensable, il offre cependant une surface de contact plus large, empêchant le bord d’attaque du lest de s’enfoncer dans un sol meuble à la manière d’un ski dans de la poudreuse. Les béquilles télescopiques sont quant à elle garantes de la stabilité du Malango à l’échouage. Elles se composent de deux parties. L’une est continuellement à poste dans un tube intégré dans la carène, l’autre, rangée dans un coffre, sert de rallonge et vient se raccorder depuis le cockpit. Une fois ces pattes bloquées en position basse, nous dirigeons le Malango à toute petite vitesse, droit sur la plage. Nous voilà posés. En quelques minutes, la mer ne nous porte plus : le Malango ne s’en remet plus au principe d’Archimède, mais à cette bonne vieille croûte terrestre. Bilan de la manoeuvre : au-delà des précautions d’usage propres à l’échouage (connaître les fonds, s’assurer de l’absence de clapot), la méthodologie est d’une redoutable simplicité et peut être pratiquée en solitaire. Reste à tester la sortie d’annexe. Rappelons
LA QUILLE REMONTE EN 20 SECONDES CHRONO
que la nôtre est sagement rangée, gonflée, dans son tunnel situé sous le cockpit. Là encore, c’est la simplicité qui prime et en deux minutes elle flotte, amarrée le long du petit marchepied qui fait office de jupe. Pas de hors-bord sur notre modèle d’essai, mais on imagine parfaitement ce dernier rangé dans un berceau idoine directement dans l’annexe. A bien y réfléchir, ce tunnel offre pas mal d’avantages : l’annexe est à poste prête à l’emploi, à l’abri des UV et de la pluie, mobilisable sans effort en moins d’une minute. La marée descendante dévoile désormais la jolie carène à bouchains du Malango, occasion rêvée de mieux observer sa ligne. L’angle saillant prononcé du bouchain supérieur confère à cette coque son dynamisme, mais aussi son volume offrant, qui plus est, un plan antidérive complémentaire au près. Un second bouchain bien plus discret, placé juste sous la ligne de flottaison, se charge de réduire la surface mouillée, pour ne pas que le bateau reste collé dans les petits airs. La marée nous révèle là encore la vitalité que nous inspire la forme de la quille anguleuse, comme taillée à la serpe. Notons enfin que ce Malango se passe d’antifouling classique, le propriétaire ayant opté pour un antifouling durable (garanti dix ans). Le principe ? L’antifouling composé de particules de cuivre est appliqué dans le moule de coque et mêlé à la résine vinylester. L’avantage : aucun entretien et un effet lissé inégalable.
Mais la marée remonte et il est temps de voir ce que vaut le nouveau Malango sous voiles. La journée est bien avancée et nous mettons le cap sur Groix, il faut arriver à temps pour dîner à l’Auberge du Pêcheur ! 30 milles à courir sous code 0 à une moyenne de 5,8 noeuds pour un vent réel de 7 noeuds. Pas si mal. Le Malango bénéficie là des méthodes de construction choisies par Denis. Trois moules infusés pour un gain de poids substantiel. Un moule de pont, un moule de coque associé à un contremoule structurel. Entre ces deux derniers sont enfermés non seulement les gaines techniques, mais aussi des volumes d’insubmersibilité placés à l’avant et à l’arrière, ce qui permet au passage de garantir le centrage des poids. Moteur, batteries, réservoirs d’eau et d’essence s’alignent donc au centre du voilier, de l’épontille vers le cockpit. Le gain de poids est par ailleurs au programme dans les emménagements, via le recours au peuplier, plus léger que l’okoumé, et au balsa. L’escale à Port-Tudy permet d’apprécier une nouvelle fois le confort du système d’annexe puis, plus tard en soirée, le confort de la couchette arrière bâbord de bonne taille. Pensé à l’origine comme une soute technique et cédant une partie de son volume au cabinet de toilette, il lui manque le placard que l’on retrouve naturellement dans la cabine arrière tribord. Le lendemain, nous appareillons pour La Rochelle. 130 milles théoriques, 158 réels en raison d’un vent de sud-est mollissant. Qu’importe, il fait beau et nous attaquons un long bord de près cap au 175°. Comme la veille, le Malango se révèle agréable à barrer, vif, répondant au moindre réglage, au moindre souffle d’air, à la moindre adonnante. On se prend vite au jeu, d’autant que la garde-robe Incidence est de très belle facture et que l’accastillage tout Harken incite aux réglages : palan fin et long rail d’écoute pour la GV, le tout revenant sous la main ou plutôt entre les pieds du barreur, tandis que l’écoute du code 0 est reprise sous le vent sur un winch arrière bien positionné. Comme toutes les manoeuvres, le pataras qui revient sur le winch arrière se règle indifféremment au vent
NOUS FILONS VERS PORT-TUDY
150 MILLES AU PRES, EN TOUTE QUIETUDE
ou sous le vent. Tout n’est cependant pas idyllique sur le Malango. Comme tout croiseur de petite série, cette première unité souffre de quelques défauts de jeunesse : une bôme trop courte, trop haute, un manque cruel de cale-pieds et d’équipets dans le cockpit. Si le plan de pont est quasi parfait avec de larges passavants libres de toute manoeuvre, il y a cette plage avant traîtresse barrée par deux drosses survolant la zone de manoeuvre à 10 cm au-dessus du pont ! Attention aussi à la manoeuvre de mouillage : pensez à écarter à la main la sous-barbe sous peine de voir l’ancre bloquée et suspendue sous la delphinière. Les aménagements sont en revanche bien aboutis, même si des améliorations doivent venir combler, par exemple, le manque d’équipets et de rangements dans les cabines. En revanche, rien à dire sur la cellule de vie centrale. Le carré s’organise autour d’un très grand meuble dissimulant le puits de quille, le vérin hydraulique et la grosse batterie de service. Un meuble précieux qui reçoit le frigidaire, qui permet de se caler à la gîte pour cuisiner, qui sert de plan de travail ou de vide-poches, et qui, de facto, organise la circulation dans le carré. On ne se croise pas dans ces « coursives », mais on prend des options de route différentes : à bâbord ou à tribord du meuble ! Retour sur le pont. La nuit tombe et nous continuons de serrer le vent pour ne pas nous éloigner exagérément de la route. A 35° du vent apparent (60° réels) sous code 0, difficile de faire mieux, nous filons 6,5 noeuds pour 10 noeuds de vent réel avec un léger clapot. A minuit la bascule arrive enfin, virement de bord, changement de cap. Nous avons désormais l’île de Ré dans le viseur, le vent adonne, la mer s’aplatit. Nous ouvrons légèrement le plan de voilure et le Malango accélère. Quel dommage que nous ne puissions pas partir au portant sous spi, car c’est sûr, le Malango 10.88 est capable de s’envoler ! L’unique petit bord sous spi a bien montré sa réactivité. Déporté à l’extrémité d’un long bout-dehors en carbone, l’asymétrique porte bien et fort. Mais le vent tombe complètement au petit jour et sonne l’heure du bord Yanmar. Il nous reste 40 milles pour rallier les Minimes, on fait monter les 30 ch en régime. A 2 300 tours, il nous déhale tranquillement et en silence à 7,2 noeuds ; à 3 200 tr/mn, il reste aussi discret tandis que le speedo monte à 8,7 noeuds. Un bon point que l’on doit en partie au choix d’une hélice tripale à mise en drapeau Variprofil. Un dernier mouillage devant St-Martin confirme que la vie peut être douce dans le grand cockpit du Malango 10.88… Mais déjà il faut rendre la barre, le Grand Pavois l’attend de pied ferme !