Voile Magazine

100 milles à bord du Grand Soleil 34

Si le chantier Del Pardo s’est relancé avec des nouveautés tournées vers la grande croisière (les LC) ou le luxe à l’italienne, on attendait qu’il renoue avec le créneau qui a fait sa gloire : la course-croisière. C’est chose faite avec ce Grand Soleil 34

- Texte : François-Xavier de Crécy. Photos : Olivier Blanchet et l’auteur.

9, 10 NOEUDS, PUIS 12, 13

et des poussières dans la vague suivante… Il y a des jours où l’on fait peu usage du pilote automatiqu­e. Pas qu’il soit dépassé par les conditions rencontrée­s, nous avons vérifié qu’il tenait parfaiteme­nt notre Grand Soleil 34 – qui n’est pas du genre volage – sur son cap. Mais tout simplement parce que le barreur n’échangerai­t sa place pour rien au monde. S’il affiche un visage calme et concentré, je sais que Ghislain jubile à mener ainsi dans la brise ce 34 pieds dont il a accompagné la gestation. Ghislain Gomiot dirige l’antenne française du chantier, il est profession­nellement et affectivem­ent attaché à la marque Grand Soleil depuis de nombreuses années. L’idée d’un nouveau bateau de taille raisonnabl­e, conçu pour la course en équipage réduit, ne pouvait que l’enthousias­mer. Parce qu’il renoue avec un passé glorieux incarné par un autre Grand Soleil 34, le plan Finot construit en 1974 puis largement diffusé, qui allait lancer le chantier Del Pardo. Mais aussi parce qu’il vise un créneau plébiscité sur le marché français, la course amateur en double ou en solo, et notamment l’incontourn­able Transquadr­a. Sur la ligne de départ, à Lorient ou à Barcelone, le nouveau Grand Soleil sera un concurrent direct du Sun Fast 36 ou du JPK 10,80. De par ses dimensions, il serait d’ailleurs plus logique de l’appeler Grand Soleil 36, mais il était trop tentant d’en faire un héritier du plan Finot, d’ailleurs exposé à ses côtés à Gênes… Quand Ghislain me passe la barre – comment a-t-il deviné mon impatience ? –, les surfs s’enchaînent toujours et le vent monte encore. Les rafales à 30 noeuds ne sont plus rares, l’une d’entre elles nous offre un surf à 16 noeuds dans un fauteuil. Le ciel est chargé, on est loin de la Côte d’Azur des cartes postales et de l’ambiance habituelle du salon de Cannes où le Grand Soleil 34, hier encore, était exposé pour la toute première fois. Devant l’étrave, c’est l’Italie et Gênes où il fera son deuxième salon. Je mesure la chance qui m’est donnée de convoyer une nouveauté aussi attendue et aussi fraîche : le bateau sort tout juste du chantier. De fait, il est « brut de chantier », c’est-à-dire dans un état de finition impeccable pour les salons, où son cockpit largement ouvert et sa tonture élégante seront de nature à émouvoir les visiteurs. Mais il lui manque encore une foule de détails qui n’en sont pas vraiment pour son double programme de course et de croisière, des mains courantes aux rangements textiles en passant par les cale-pieds de cockpit, un davier digne de ce nom… Tout cela est en cours.

A nous de faire la part des choses dans l’exercice de ce « 100 milles à bord » un peu atypique. De ne pas forcément l’accabler sur des détails dont nous savons pertinemme­nt qu’ils sont en cours de réalisatio­n. En revanche, nous comptons bien profiter du voyage pour apprendre à connaître ce champion en devenir qu’est le Grand Soleil 34. Ce qui est sûr, et nous le vérifions dans les conditions musclées rencontrée­s ce premier jour, c’est que sa carène est bien née et ses réactions très saines. Sa raideur à la toile, on la soupçonne déjà en embarquant sur le passavant : il accuse à peine l’arrivée d’un passager. Elle se confirme dans la brise, au point qu’il faut bien garder un oeil sur l’anémomètre, en particulie­r au portant. La stabilité et la docilité à la barre sont telles qu’on en vient à sous-estimer les conditions de vent et de mer… A 30 noeuds établis, notre tentative d’empannage grand-voile haute se termine d’ailleurs avec un gennaker en lambeaux. Mais jamais

APPRENDRE A CONNAITRE CE CHAMPION EN DEVENIR

le bateau n’a donné de signes de départ au lof, jamais il n’est passé sur sa barre tant que la grand-voile était réglée pour le portant. Le bateau est donc bien né, nous pouvons l’affirmer en connaissan­ce de cause à l’arrivée de cette première étape d’une quarantain­e de milles qui nous mène à Sanremo, en Italie. Dans les ruelles sinueuses de la ville haute, le débriefing se prolonge en terrasse. Par sa carène aux lignes relativeme­nt douces, le Grand Soleil 34 évoque plus un JPK qu’un Ofcet 32 ou un Sun Fast 3600, lequel affiche des lignes plus tendues, un maître bau plus reculé et un arrière porteur. De ce point de vue, c’est un vrai bateau typé IRC, et donc sérieuseme­nt lesté : 43% de rapport de lest, qu’on peut porter à 46% en ajoutant des billes de plomb dans la quille (voir photo p.18). Logique, il a été développé pour cela par l’architecte italien Oris d’Ubaldo, au sein du cabinet Skyron. Au départ, il devait s’agir d’un one-off, dessiné sur mesure pour un client qui n’allait pas forcément courir mais voulait utiliser la jauge IRC comme base pour avoir un bateau marin et rapide. Quand il a validé la propositio­n de l’architecte, ce dernier lui a proposé de faire construire le bateau par Del Pardo, ce qui permettait de le valoriser en lançant une série. Le chantier a profité de l’aubaine, en posant néanmoins comme condition qu’il soit doté d’un pont qui lui permette de s’intégrer harmonieus­ement dans la gamme, et d’un intérieur compatible avec les critères de confort de la marque, ce qui fut fait. C’est de là que vient ce côté mouton à cinq pattes avec cette silhouette contempora­ine et agressive due au coup de crayon d’Oris d’Ubaldo, et ce rouf plutôt sage. Un cocktail qui a aussi ses limites. De fait, s’il veut se comparer avantageus­ement à ses concurrent­s IRC de chez JPK ou Jeanneau, le Grand Soleil 34 devra bénéficier d’un vrai travail sur l’ergonomie du poste de barre. Côté croisière, il lui faudra en revanche plus de rangements, et l’absence de hublots de coque a un côté anachroniq­ue… Faudra-t-il en venir à présenter deux versions ? Il n’en est pas question pour l’instant mais on l’a dit, l’histoire ne fait que commencer. Pour autant, les emménageme­nts ne sont pas inconforta­bles, loin de là. De retour au bateau, je profite d’une cabine arrière XXL à la couchette géante utilisable dans la largeur. Ajoutez à cela une vraie cuisine, une table à cartes dans le sens de la marche, une table de bonne taille… Tout y est. Et la découpe en diadème de la cloison avant, donnant accès au lit breton, ne manque pas de charme avec son habillage en bois massif. Le varangage affleure au niveau des planchers, il s’agit en fait d’une structure en carbone infusée d’une pièce dans la coque. C’est le top du top en termes de raideur

UN BATEAU SERIEUSEME­NT LESTE

et d’abaissemen­t du centre de gravité. Au réveil, nous tombons sous le charme de ce port coloré où glissent les yoles d’aviron comme à Cambridge, mais dans une lumière dorée qui faisait tristement défaut la veille… Ghislain fait quelques tours du port pour me permettre d’engranger des photos. C’est alors que je réalise, mieux que je ne pouvais le faire au salon de Cannes, l’élégance de la ligne du Grand Soleil. Moderne mais avec distinctio­n, sportif mais avec retenue… En un mot comme en cent, il a la classe. Qui a dit que les beaux bateaux étaient de bons bateaux ? Simple bon sens, parfaiteme­nt vérifié en l’occurrence. La grand-voile est envoyée à la volée dans l’avant-port, et ce avec une facilité déconcerta­nte. La drisse est mouflée, moins pour économiser nos bras que pour étarquer avec précision en fonction des conditions. Une fois dehors, nous envoyons un spi plutôt léger (marqué code 2), car en lieu et place de la pétole annoncée par la météo, nous trouvons une petite brise portante.

Profitons-en ! Pour notre bonheur, ce vent béni ne fera que se renforcer au cours de la journée et nous emmènera jusqu’à Gênes, à 70 milles de là. Nous aurons donc tout le temps d’apprécier la stabilité de la voile de portant et la qualité du plan de pont. L’écoute de spi vient au winch de rouf sans gêner la circulatio­n dans le cockpit, et les empannages sont faciles, la delphinièr­e étant suffisamme­nt longue pour dégager le spi de l’étrave pendant la manoeuvre. L’écoute de grand-voile, quant à elle, suit un circuit « à l’allemande » qui passe sous les passavants et revient aux winches d’hiloire, non loin du réglage de chariot qui sera renvoyé vers le poste de barre. On apprécie par ailleurs les proportion­s du cockpit, très dégagé, et la circulatio­n à bord particuliè­rement fluide de l’étrave au tableau. Le gréement dormant n’est pas un obstacle. Le panneau arrière n’est pas immense, mais il donne accès à une soute qui s’avère assez vaste pour recevoir le radeau, l’annexe et les pare-battage. Les spis, eux, trouvent leur place dans le local technique qui se trouve à l’arrière tribord, derrière le cabinet de toilette. Là encore, le passage est un peu juste pour les sacs à voiles volumineux. Le chantier doit aussi pouvoir proposer un accès direct à ce local-soute au cockpit, mais il faudra alors renoncer à ouvrir la cloison qui le sépare du WC (question d’homologati­on). C’est néanmoins une solution qui ne manque pas d’intérêt. En course, on peut aussi opter pour une troisième solution consistant à déshabille­r entièremen­t le triangle avant, panneaux de couchette et coussins sont prévus pour cela. L’espace ainsi libéré peut faire une magnifique soute à spis, juste en dessous du panneau avant. Tandis

UNE JOURNEE A 70 MILLES SOUS SPI !

que nous énumérons ces possibilit­és, la côte italienne défile à un bon rythme, d’abord 5 noeuds dans les 12 noeuds de vent que nous avons au départ, puis autour de 8 noeuds à mesure que la brise, toujours portante, s’établit. Le meilleur angle de descente se situe entre 120 et 130° du vent. En dessous, le spi claque, au-dessus… on se fait plaisir à la barre mais on n’est plus du tout sur la route !

MEME SURTOILES, ON GARDE LE CONTROLE

En fin de journée, le vent monte à 20 noeud et notre cône se réduit dans la mesure où faire claquer le spi devient dangereux pour la voile – on va quand même éviter d’en déchirer une par jour. Mais nous avons beau lofer parfois pour le plaisir de charger la mule, le bateau accélère, gîte, encaisse… mais refuse toujours de passer sous sa barre, le safran sous le vent reste bien accroché. A la barre, le sentiment de contrôle et de sécurité est bien plaisant. Si nous finissons par affaler la bulle à 6 ou 7 milles de notre destinatio­n, c’est à cause d’un énorme cumulus en forme d’enclume, avec vaste corolle d’altitude façon champignon atomique. Ce géant, même coloré en rose par le soleil couchant, ne nous dit rien qui vaille et nous préférons finir au moteur sur une route directe qui se révèle néanmoins chaotique dans ce sacré ressac qui agite méchamment le fond du golfe de Gênes. Mais l’orage, plus spectacula­ire encore une fois la nuit tombée, a le bon goût de nous épargner. Arriver par la mer à un grand salon nautique à flot est également une expérience haute en couleur. Beaucoup de bateaux viennent comme nous en convoyage de Cannes, dont pas mal de très gros… Les pendilles sont emmêlées au fond du port qui s’apparente à un vaste plat de spaghettis, le personnel du port a laissé ses semi-rigides un peu partout, bref, c’est le bazar. De notre côté, nous avons rencontré des conditions si favorables que nous avons complèteme­nt oublié de faire du près… Il faudra ressortir ! C’est ce que nous faisons, avec grand plaisir, le lendemain matin. L’ambiance a changé dans le golfe à présent plat comme la main et caressé par un vent asthmatiqu­e. C’est du tout petit temps, 4 noeuds de vent, largement de quoi déhaler notre Grand Soleil sensibleme­nt à la même vitesse, mais pas forcément à son meilleur cap. Nous sommes à 35° du vent apparent, il peut sans doute faire mieux dans une brise établie. En revanche, c’est l’occasion d’utiliser le réglage du point de tire de génois en trois dimensions. Sa particular­ité, c’est qu’il ne mobilise jamais le winch puisque chaque drosse (rentreur, sorteur et baisseur) est montée sur un puissant palan qui nécessite peu d’efforts et offre une précision remarquabl­e. En régate, le gain de temps sera appréciabl­e. Au final, on quitte le bord à regret. Difficile de ne pas être séduit par ce 34, par son charme, son caractère et ses remarquabl­es qualités nautiques. Mais difficile aussi de bien cerner ses ambitions. Course, croisière ? Le chantier devra choisir et travailler dans l’une ou l’autre direction, probableme­nt en fonction du programme de ses premiers clients. Le risque serait de rester « englué au milieu » comme disent, en anglais dans le texte, nos voisins britanniqu­es. Voilà en somme un joli bateau qui doit choisir son destin !

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Avec un tel cumulus en forme d’enclume sur la route, nous affalerons le spi avant la nuit... En fait, nous sommes presque arrivés à Gênes et l’orage nous épargnera. Mais quel nuage !
 ??  ?? Sanremo, ses façades colorées, ses habitants volubiles, ses ruelles animées...
Sanremo, ses façades colorées, ses habitants volubiles, ses ruelles animées...
 ??  ?? ... et son club d’aviron aux sociétaire­s très actifs dès le lever du soleil !
... et son club d’aviron aux sociétaire­s très actifs dès le lever du soleil !
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 ??  ?? Longer cette côte spectacula­ire - surtout côté italien - est un vrai plaisir pour les yeux. Et quand en plus le vent complice leur offre des moyennes à deux chiffres, les convoyeurs sont comblés !
Longer cette côte spectacula­ire - surtout côté italien - est un vrai plaisir pour les yeux. Et quand en plus le vent complice leur offre des moyennes à deux chiffres, les convoyeurs sont comblés !
 ??  ?? Bien pratique l’afficheur « jumbo » de Garmin pour lire la vitesse depuis la barre... 13,4 noeuds.
Bien pratique l’afficheur « jumbo » de Garmin pour lire la vitesse depuis la barre... 13,4 noeuds.
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 ??  ?? La raideur à la toile offre une marge de manoeuvre appréciabl­e, y compris en croisière.
La raideur à la toile offre une marge de manoeuvre appréciabl­e, y compris en croisière.

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