Golden Globe : Moitessier survole le Pacifique sur Joshua
Golden Globe, le récit du premier tour du monde en course signé Peter Nichols, a été réédité par Glénat et assorti d’une préface de Bernard Rubinstein. Dans ce chapitre, on retrouve Bernard Moitessier à son meilleur, en harmonie totale avec son Joshua et
BERNARD MOITESSIER traversa le Pacifique à toute vitesse, avec des routes quotidiennes de 146 milles, 148, 143, 162… Un millier de milles hebdomadaires, semaine après semaine. Joshua allégé (ndlr : une certaine quantité de matériel avait été passée à la mer) était beaucoup plus fringant que trois ans plus tôt lors de la traversée Tahiti-Alicante. Moitessier était aussi devenu un marin plus affûté. Ses routes quotidiennes sur cette même partie d’océan étaient de 20 à 40 milles supérieures à celles du voyage précédent. Il avait réduit l’avance originale de KnoxJohnston de neuf semaines à seulement deux semaines et demie et, ainsi que l’Anglais l’avait soupçonné, il avait eu un peu plus de chance avec le temps. Certes, il avait trouvé les vents d’ouest, mais ils étaient longtemps restés légers à proximité de la Nouvelle-Zélande. Moitessier avait cependant réalisé de bonnes journées avec Joshua. A midi, la température dans sa cabine non chauffée était de 15 à 16°C. Il marchait pieds nus sur le pont et faisait ses exercices de yoga nu dans le cockpit. Il avait déjà parcouru la moitié du chemin entre la Nouvelle-Zélande et le Horn avant que la première tempête du Pacifique ne le rattrape. La mer blanchissait sous l’écume, mais elle n’était pas de taille à déranger Joshua ni à troubler la prose lyrique de son capitaine. La girouette du gouvernail automatique s’occupa du bateau. Moitessier demeura assis sur son perchoir à l’intérieur de sa tourelle, occupé à admirer les vagues et les déferlantes. Plutôt mince de constitution, il avait une tendance à perdre du poids, mais là il commençait à en gagner, un signe infaillible pour lui d’un environnement bénéfique. Sa communion avec les trois éléments physiques de son univers – son bateau, la mer et le temps autour de lui – le remplissait de joie. Et pour compléter l’image de l’ascète heureux, ses longs cheveux et sa barbe emmêlés avaient poussé jusqu’à le faire ressembler à un saint homme de mer. Personne, depuis le capitaine Nemo, n’avait paru aussi bien en mer, en totale autarcie. Il avait atteint une sorte de transe maritime. Le début et la fin de son long voyage mis à part, rien, dans les gestes quotidiens précis du navigateur, ne parvint à troubler la profonde sérénité qu’il découvrit vers la mi-route. Le rythme de la mer, le mouvement infini des vagues, la progression journalière soutenue de Joshua, le bateau à présent parfait, l’accord harmonieux de ses sensations et de son habileté personnelle bien canalisée résonnaient en Moitessier. Ils lui offraient la paix intérieure. Il était en train de vivre ce que ressent un alpiniste parti pour un sommet et qui y trouve ce qu’il a toujours cherché. Et il refusait de penser au-delà des milles qui jalonnaient sa route jusqu’au cap Horn. Le 21 janvier, après sa première tempête du Pacifique, son cap s’orienta au sud et il commença sa descente vers le Horn. En touchant les hautes latitudes, il laissait le beau temps derrière lui. Le ciel se couvrit et la température chuta. Les vagues montaient à l’assaut du bateau et lavaient le pont à grande