Voile Magazine

Golden Globe 2018 De Joshua au Rustler 36

Il y a cinquante ans Joshua, mené par Bernard Moitessier, imprimait l’histoire du Golden Globe en refusant les honneurs. Le 1er juillet prochain, Jean-Luc Van Den Heede s’alignera, sur Matmut, au départ de la deuxième édition. Nous les avons réunis aux Sa

- Texte et photos : Bernard Rubinstein.

HUIT MOIS DE MER, 37 455 MILLES NON-STOP

Il m’a suffi d’une rencontre au dernier Grand Pavois de La Rochelle avec sa présidente Marie Guélain pour que je me décide à embarquer – enfin – sur le mythique ketch en acier de Bernard Moitessier. Pourtant, à maintes reprises, je l’avais croisé dans les pertuis. Malgré les années, je n’ai jamais oublié ce Grand Pavois 1990 où Bernard Moitessier, ému aux larmes, était accueilli en grande pompe par le maire de La Rochelle de l’époque, Michel Crépeau, et le ministre de la Mer d’alors, Jacques Mellick. En ce jour du 14 septembre, transporté par cargo depuis Seattle, Joshua retrouvait sa mer natale. Une seconde renaissanc­e depuis qu’en décembre 1982, un cyclone l’avait drossé sur la plage. Il aurait pu y finir ses jours ou subir un tronçonnag­e en règle sans l’interventi­on d’un jeune couple d’Américains. Un miraculé

Joshua, mais avant tout l’acteur de « La Longue Route » mise en scène par Bernard Moitessier. C’était il y a cinquante ans. Le 22 août 1968, Bernard quittait Plymouth pour s’engager, aux côtés de huit autres marins, dans ce qui allait s’inscrire comme la course du siècle, le Golden Globe. Une incroyable épreuve ponctuée d’un drame, le suicide de Donald Crowhurst, le sacre du Britanniqu­e Robin Knox Johnston, seul marin à finir, et le coup de théâtre de Bernard décidant, à la longitude du cap Horn, de poursuivre sa route jusqu’à Tahiti. Huit mois de mer, 37 455 milles non-stop en solitaire pour assumer son refus de rallier le monde occidental. Pour tout avouer, ce Golden Globe motive, dans une large mesure, ma présence à bord de ce convoyage depuis La Rochelle jusqu’aux Sables d’Olonne. Je l’interprète comme un signe car c’est bien des Sables, d’où partent depuis 1989 les concurrent­s du Vendée Globe, que sera donné, le 1er juillet, le départ de la deuxième édition. Certes, Joshua ne manquera pas d’être présent, tout comme Suhaili, le ketch vainqueur de Robin Knox Johnston. Leur façon à eux de témoigner qu’il y a cinquante ans, un homme bouclait pour la première fois un tour du monde en solitaire et sans escale en 313 jours. Il n’empêche que cette balade vers les Sables est dictée par une rencontre. Avec Matmut, le Rustler 36 de l’inoxydable Jean-Luc Van Den Heede, engagé aux côtés de vingt autres concurrent­s, dont cinq Français, dans le Golden Globe 2018. Pour l’heure, une seule chose à faire, patienter avant d’imaginer cette image unique entre Joshua et Matmut. Le premier marqua notre jeunesse. Le livre « La Longue Route », publié chez Arthaud en 1971 avec ses 315 pages, ses 30 photos couleur, ses 8 cartes, ses 51 dessins, concrétisa chez bon nombre d’entre nous cette envie de partir, d’aller découvrir cet ailleurs cher à Moitessier, maître à penser d’une génération en mal d’évasion et dont certains des écrits resteront cultes : « On ne demande pas à une mouette apprivoisé­e pourquoi

elle éprouve le besoin de disparaîtr­e de temps en temps en pleine mer. » Pour l’heure, à une vingtaine de milles des Sables, le vent s’est décidé à sortir de sa torpeur. Le signal pour mes trois compagnons, Pascal, le chef de bord, Joël et Jean, viceprésid­ent de l’Associatio­n et roi du sextant, d’envoyer le petit génois et la trinquette. Sympas ces trois membres bénévoles de l’associatio­n, tous dévoués à la survie de Joshua. Dès mon arrivée la veille au soir au port des Minimes, ils ont tenu à me confier la cabine arrière de Joshua où l’on accède depuis l’arrière du cockpit par un lourd capot basculant à ne pas prendre sur la tête. Dans un port immergé dans le silence, nous avons tous dîné autour de la table, là où Moitessier avait installé sa table à cartes orientée vers l’arrière, face à la cloison. D’une étagère, ils ont sorti le journal de bord pour l’ouvrir à une page qui fera date. Elle témoignait de la visite sur Joshua de Jo Daubenger, l’Américain qui, en 1982, racheta pour 20 dollars l’épave de Joshua drossée sur la plage de la baie de San Lucas. Puis, au fil de la conversati­on, mes trois compagnons ont tenté de satisfaire ma curiosité, de répondre à mes interrogat­ions. Que reste-t-il aujourd’hui du Joshua d’hier ? Sous le pont, peu de choses si ce n’est, dans le carré, la série d’équipets au-dessus de la couchette bâbord qu’utilisait Bernard. La descente où il s’asseyait sur un petit siège pour faire la veille a disparu, remplacée par une échelle. Une cuisine en U a été installée sur tribord, face à la table. Pratiqueme­nt, la marque Moitessier c’est le lendemain, sur le pont, qu’elle se révélera la plus visible. Il y a tout d’abord le cockpit étroit et sa petite barre en bronze, autrefois prolongée par une barre intérieure et solidaire de la barre franche et du safran par des drosses textiles… J’apprendrai au fil des heures à regarder où je mets les pieds. Ces mêmes drosses courent sans protection sur les passavants. Sur l’avant, fixés sur le rouf, les quatre Goïot en fonte d’alu, utilisés pour border le génois et la trinquette sont authentiqu­es, tout comme les râteliers fabriqués à partir de simples barreaux d’acier.

META A PRODUIT SOIXANTE-DIX JOSHUA

Les mâts constitués de poteaux télégraphi­ques qui avaient tant fait jaser ne sont plus de ce monde. Depuis 1999, ils ont été remplacés par des espars très classiques en bois. Egalement changé le lourd panneau avant situé au-dessus de la soute à voiles et disparu le rail de trinquette, au même titre que la bassine de veille au niveau de la descente. En revanche, l’aérateur à la sauce Moitessier, constitué d’une chambre à air, est toujours bien présent ainsi que les ridoirs du gréement dormant ou les filières constituée­s de morceaux de chaîne. Quant à la carène, dessinée par l’architecte Jean Knocker, chaudronné­e à Chauffaill­es en 1961 par deux ouvriers de Jean Fricaud, César Alexandre et Aimé Desmuger, elle s’inscrit dans l’éternité. C’est vrai qu’avec les années, la coque de Joshua a pris du poids mais pas de quoi profondéme­nt modifier son comporteme­nt. Seule surprise, ce ketch, icône du bateau de voyage construit par le chantier Méta jusqu’en 1974 à soixante-dix exemplaire­s, nous semblait à tous immensémen­t grand. Aujourd’hui, il surprend par la petitesse de son franc-bord servi par des formes d’un autre siècle. Souvenez-vous de « La Longue Route ». Bernard Moitessier y confiait qu’il avait très peu barré, préférant confier cette tâche à son régulateur d’allure. N’empêche. Quand l’un de mes trois compagnons a bien voulu céder sa place, j’ai saisi religieuse­ment la petite barre en bronze en m’installant sur le banc du cockpit. Je le prévoyais, mais malgré une pointe à 5,8 noeuds au débridé, les sensations sont quasiment nulles, d’autant qu’il faut tourner la barre de plus de trois tours bord sur bord. En un mot, il n’y a rien à faire. Seulement maintenir la carène sur sa route et garder les voiles pleines en bordant modérément l’artimon. Déçu ? Pas vraiment. En se déplaçant sur le pont ou en franchissa­nt la descente, on a le sentiment de tutoyer l’histoire. De toucher du doigt les plus belles pages de l’histoire maritime.

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Rustique. Des chaînes assurent la fixation de la delphinièr­e constituée de simples tubes d’acier peints.
 ??  ?? Imposée par le règlement, une cloison étanche a été rajoutée sur l’avant.
Imposée par le règlement, une cloison étanche a été rajoutée sur l’avant.
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Tout le haubanage est latéral et les drisses reviennent au pied de mât.

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