Voile Magazine

Pour partir... loin et vite!

Ce cata élégant et radical a pour lui sa vitesse bien sûr, mais aussi une simplicité de conception qui le rend particuliè­rement adapté à la grande croisière. Du pur Christophe Barreau à la sauce Marsaudon.

- Texte et photos : Damien Bidaine.

UN ROUF ATYPIQUE

semblant léviter au-dessus du pont, une ligne de coque dynamique au bordé vrillé et un léger dièdre positif : tel est le TS5, le dernier-né de la collaborat­ion de Christophe Barrault et du chantier Marsaudon. Gracieux, ce design sert surtout l’équilibre du TS5 puisqu’une fois sous voiles, le flotteur sous le vent rentre dans ses lignes, présentant alors l’étrave, la dérive et le safran dans une position d’attaque idéale, perpendicu­laire au plan d’eau. Alexis Guillaume, l’heureux propriétai­re et skipper d’Amalia est, avec son épouse Sylvie, à l’origine de ce nouveau TS. Leur cahier des charges, très précis, brosse le portrait d’un catamaran habitable pour dix équipiers mais facile à manoeuvrer en équipage réduit voire en solo, apte à naviguer en toute autonomie loin de ses bases, offrant un confort standard et un maximum de sensations. Plaisir, performanc­es, confort, modularité, voilà qui répond au programme de leur école de voile itinérante. Entre charter sportif et croisières lointaines – Canaries, Méditerran­ée, Manche –, Amalia proposera aussi des participat­ions à des courses en équipage telles que celles du RORC. Si Alexis et Sylvie ont pensé au chantier Marsaudon, c’est qu’ils se sont d’abord intéressés au TS50, une unité spartiate produite il y a quelques années à Lorient et déjà dessinée par Christophe Barreau, avec un ratio poidspuiss­ance très élevé. Samuel Marsaudon, de son côté, voulait prolonger le succès du TS42 avec un nouveau modèle... Les innombrabl­es croquis qui suivront donneront naissance à un nouveau 50 pieds, le TS5. Par rapport au TS50, ce dernier pousse le curseur un peu plus loin vers le confort, mais il le fait en restant épuré, et donc léger. Ici point de vaigrage ou d’habillage inutile, tout est blanc, immaculé, brut de démoulage. Un bon point pour l’entretien, d’autant que les finitions sont propres. Certes, il faut passer outre l’aspect un peu froid de la résine, se dire que tout cela est finalement très zen. Il faut aussi faire abstractio­n des bandes de tissu constituti­ves de la structure qui se devinent à travers les couches de résine, mais dissimuler l’ensemble sous une peinture, un contremoul­e ou un vaigrage pour obtenir une finition soignée aurait alourdi le TS5 de plusieurs centaines de kilos... Inenvisage­able pour un multicoque dont le poids détermine largement les performanc­es. Or la chasse aux poids, sans être obsessionn­elle, aura été une préoccupat­ion constante lors de la constructi­on du TS5. Au final, si d’indispensa­bles éléments de confort sont bel et bien présents à bord – réfrigérat­eur, dessalinis­ateur, parc batteries conséquent, et même un WC électrique – certains choix d’aménagemen­t ne laissent pas de place au doute quant à la volonté de ne pas alourdir les coques : barres en carbone, portes de cabine textiles, absence de placard fermé, bannisseme­nt de toute menuiserie hormis un bureau, quelques étagères et une poignée de fargues.

ELOGE DE LA SIMPLICITE

Quant au bimini rigide, réduit à sa plus simple expression, il en devient un poil court pour travailler sur l’extrémité de la bôme. La conception même – très astucieuse – des tables mobiles permettant de les dispatcher ou de les assembler côte à côte dans le carré ou le cockpit permet aussi d’envisager de les laisser à terre le temps d’une course... Malin ! Au final, le TS5 affiche un poids réel de 8 500 kg pour cette première unité polyvalent­e où seules

la croix (ensemble formé par la poutre avant et la poutre longitudin­ale dont l’extrémité constitue le bout-dehors), la cloison de mât, la poutre arrière et le mât sont en carbone. Qu’en sera-t-il de la prochaine unité 100% carbone en cours de constructi­on ? Car nous sommes, avec le TS5, sur une unité semicustom où de très nombreuses options sont proposées aux futurs propriétai­res : choix des matériaux de constructi­on, des aménagemen­ts, du gréement, de l’accastilla­ge, des voiles, etc. Un très large éventail qui permet d’envisager le TS5 comme une unité de course au large (au moins un TS5 participer­a à la prochaine Route du Rhum) ou bien comme une unité de croisière rapide, ce qui est le cap de ce premier opus. En effet, les choix opérés pour Amalia restent mesurés de façon à obtenir une unité performant­e mais polyvalent­e, avec un plan d’aménagemen­t de la nacelle et des coques simple et efficace. Dans les coques, accessible­s par une confortabl­e descente, on retrouve ainsi deux très belles cabines doubles arrière qui bénéficien­t d’une incroyable vue sur la mer, tandis que les deux cabines doubles avant sont de très belle taille. Dans la coque bâbord, une couchette simple (0,90 x 1,90 m) dans la coursive permet de loger deux enfants ou un adulte tandis que dans la nacelle, une grande couchette double offre un lit d’appoint idéal pour assurer les quarts de nuit.

DES AMENAGEMEN­TS MINIMALIST­ES

Seules les deux salles d’eau semblent avoir été sacrifiées sur l’autel des performanc­es. Placées en coursive, elles manquent clairement de largeur, de volume. Le quart avant des coques, accessible depuis le pont, accueille deux immenses soutes qu’il faudra veiller à ne pas trop charger pour maintenir le bon équilibre de la carène. Les aménagemen­ts sont donc pour le moins minimalist­es – lits, étagère – mais l’importance des volumes disponible­s dans chaque cabine permet d’imaginer sans mal une personnali­sation des aménagemen­ts avec quelques éléments fonctionne­ls (penderie textile…) supplément­aires. Reste à valider les performanc­es sous voiles... La promesse d’une transat rapide sera-t-elle tenue ? Les conditions annoncées ne sont pas très favorables à la vitesse : forte houle résiduelle de nord-ouest accompagné­e d’un vent culminant à 11 noeuds réels. Mais le TS5 s’en sort très bien, filant 5-6 noeuds sur des bords de portant à environ 120° du vent. Le vent forcissant légèrement dans la nuit (13 noeuds) stabilise notre vitesse fond autour de 8 noeuds, soit peu ou prou à la vitesse du vent apparent. Le TS5 tient là ses promesses de performanc­es. A la barre, dotée d’une petite raquette que l’on tient du bout des doigts, on le sent bien : ce TS5 est très réactif. Il frôle bientôt les 10 noeuds, toujours au portant, tandis que le vent réel atteint 15 noeuds. Le lendemain, nous naviguons plus près du vent, dérives basses. J’apprends qu’à partir de 10 noeuds de vitesse, il vaut mieux relever la moitié des dérives pour prévenir tout risque de casse. Bien calé dans le confortabl­e siège

de barre légèrement déporté au-delà du franc-bord, la vision est parfaite : dégagé du rouf, le regard porte au-dessus du passavant vers l’étrave. L’instrument­ation NKE est installée un peu loin, mais elle reste bien lisible à l’ombre du hard-top, seule la visibilité sous le vent est moins évidente. Hormis celles de la dérive au vent, aucune manoeuvre ne revient directemen­t au poste de barre. Mais ce n’est pas vraiment un problème et le circuit d’écoute de GV, posé sur la poutre arrière, a été pensé pour pouvoir être ramené et gardé en main par le barreur au cas où il faille choquer en grand cette très belle grand-voile en Trilam réalisée par Pierre Bourgeois (voilerie Code) à La Rochelle. Loin d’être une usine à bouts, le plan de pont est un exemple de bon sens et de simplicité avec des winches positionné­s à bonne hauteur. C’est vrai pour ceux du rouf reprenant l’angulation du mât tournant et les réglages en 3D des voiles d’avant – génois (J1), trinquette (J1), ORC (J3) et code 3 – comme pour ceux situés en pied de mât pour les drisses et bosses de ris.

12 NOEUDS AU MOTEUR SANS FORCER !

En fin de journée, nous lançons les deux Yanmar de 40 ch et les testons à pleine puissance : 12 noeuds ! Une vitesse excessive, mais il est toujours bon de savoir que l’on peut faire route à près de 10 noeuds sans forcer sur les moteurs. En revanche, l’emplacemen­t des commandes est moins convaincan­t. Au poste de barre tribord, donc sur l’arrière et en dessous du niveau des passavants, la visibilité est réduite. Certes, l’étrave bâbord peut être entrevue à travers les panneaux vitrés du rouf, mais la présence d’un équipier à l’avant semble impérative pour guider le skipper si la zone de manoeuvre est réduite. Cette configurat­ion – bien différente de celle, plongeante, offerte classiquem­ent lorsque les commandes moteurs sont sur le rouf – nous impose alors d’accoster à tribord et de privilégie­r un amarrage par l’arrière pour que le skipper puisse voir le quai. Rien d’insurmonta­ble, mais cela demande d’avoir le compas dans l’oeil lorsqu’il s’agit de manoeuvrer une plateforme rectangula­ire de 16 m de long par 8,50 de large ! Pour le plan de pont, c’est l’ergonomie en mer, et la fluidité des manoeuvres sous voiles qui ont été privilégié­es. Et c’est évidemment un choix qui se défend quand on évoque la grande croisière. De fait, Christophe Barreau signe ici, avec le chantier Marsaudon, un beau bateau pour partir et s’offrir de vraies sensations de glisse en transat sans imposer à l’équipage un cadre de vie monacal. Son compromis à lui, avec la complicité du chantier Marsaudon... et pour un budget somme toute raisonnabl­e au vu de la qualité de la constructi­on en infusion. Qui dit mieux ?

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Barre franche, oui, mais dans un fauteuil : la signature de Christophe Barreau.

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