Voile Magazine

NOUVEAU MONDE Bienvenue dans sa bulle

Le chantier Olbia a réussi son pari de standardis­er un petit croiseur tout en gardant ses grandes ambitions d’évasion. S’il n’est pas le plus grand candidat au voyage, il offre de bons volumes en accord avec son programme.

- Texte : Sidonie Sigrist. Photos : Emmanuel van Deth et l’auteure.

LE BASSIN D’ARCACHON

est un drôle d’endroit pour une rencontre avec le Nouveau Monde. Certes, avec la dune du Pilat et le banc d’Arguin, le Bassin a des airs de bout du monde, exactement là où est attendu ce nouveau croiseur du chantier Olbia. Et puis, quitter Arcachon c’est devoir prendre le large. Le premier port au départ du Bassin est à quelque 50 voire 60 milles de là – Cap Breton au sud, Royan au nord. Or le Bassin ne se laisse pas quitter comme ça. Pour rejoindre l’Atlantique, il faut se présenter à la pleine mer de la passe, de jour, forcément, puisque la nuit, pour s’assurer que personne ne passe par là, le balisage n’est pas éclairé. Manque de pot pour nous, cet hiver n’en finit pas de balayer nos espoirs d’une longue navigation à bord de ce prototype en aluminium épais. Les dépression­s se succèdent, entretenan­t une houle qui se brise à l’entrée de la passe, nous interdisan­t, de fait, de pointer l’étrave vers le large.

NOUVELLE VIE POUR PETIT MONDE

Las de nous appeler tous les deux jours pour commenter cette météo aussi dépression­naire que déprimante, nous décidons, avec Hakim Rahmoun, directeur du chantier Olbia, de nous retrouver à Arcachon, le nouveau berceau du bateau. En 2014, Olbia a effectivem­ent quitté Hyères pour s’installer à Gujan-Mestras, une façon de prendre un nouveau départ, notamment économique. Jusqu’alors, la coque du Petit Monde, fabriquée et détenue par le chantier Meta, était ensuite confiée à Olbia pour effectuer les aménagemen­ts sur mesure. Sept unités ont ainsi été construite­s, dont une – la première – pour José Bové, le plus célèbre des paysans militants. Mais la crise est passée par là et le marché du « custom » s’est écrasé avec les indices boursiers. Il fallait donc trouver un moyen de standardis­er le Petit Monde et de cesser cette « aberration économique, dixit Hakim, d’un 9 m à prix d’or ». Avec un nouvel investisse­ur au portefeuil­le et Jean-Pierre Brouns à la table à dessins, le projet d’un Nouveau Monde voit le jour. C’est un croiseur 100% Olbia dont la constructi­on est en partie sous-traitée. Les premières coques en aluminium épais ont à nouveau été confiées au chantier Meta, la réalisatio­n de la superstruc­ture arrondie à Prodesign 3D, la découpe numérique des emménageme­nts a été sous-traitée en Vendée… A Gujan-Mestras, au chantier Olbia donc, les coques sont réceptionn­ées, les quilles latérales lestées – les bulbes sont boulonnés, collés, et isolés – ; l’isolation est effectuée avec du liège projeté, les selleries sont confection­nées sur place grâce à un partenaria­t « indoor » avec Sunbrella et l’électricit­é et la plomberie sont réalisées avant la mise en place des aménagemen­ts. Les coques sont réalisées par quatre, afin de compresser les coûts. Et à la différence du Petit Monde, le Nouveau Monde n’est pas customisab­le à l’envi, tout juste personnali­sable. Cette rationalis­ation de la production a permis au chantier de baisser, en moyenne, de 50 000 € le tarif standard du Nouveau Monde par rapport à son prédécesse­ur, le Petit Monde. Après avoir été le premier à naviguer sur le Petit Monde, José Bové a tenu à être le premier à embarquer sur le Nouveau Monde. Et à défaut de refaire le monde avec son propriétai­re, nous allons profiter d’un « hublot » météo entre deux dépression­s pour faire une virée sur le Bassin. Embarquer à bord du Nouveau Monde, c’est entrer dans une bulle. Littéralem­ent. Le rouf arrondi et entièremen­t vitré offre un panorama sur 360° sur le plan d’eau, les voiles et le cockpit. Avec cette ligne arrondie, gourmande, singulière, ce plan Jean-Pierre Brouns ne ressemble à aucun autre croiseur du large. C’est aussi le plus petit des candidats au grand voyage, un 30 pieds quand les concurrent­s en alu flirtent plutôt avec

les 40 pieds. Le Nouveau Monde, comme son prédécesse­ur le Petit Monde est donc une réponse à un trou noir du marché. Nous sommes pourtant surpris par cette impression de volume et d’espace lorsque l’on met un pied dans la descente. Ce plafond de verre y est pour beaucoup, avec une hauteur sous barrots dans le carré de 1,90 m. Mais c’est aussi l’ouverture des espaces qui donne cette impression de volume pour ce « petit » croiseur.

CONÇU POUR NAVIGUER A DEUX OU TROIS

La cuisine, sur bâbord, avec un long plan de travail, s’ouvre sur la cabine avant, légèrement en contrebas. Le carré, déporté et surélevé sur tribord, permet d’assurer une veille sur le plan d’eau tout en gardant un oeil sur le cockpit. Le dossier amovible transforme la banquette en vraie couchette de mer. Parfait pour la nuit du veilleur. Le cabinet de toilette, à tribord, seul espace fermé d’une porte, s’ouvre sur une profonde soute à voiles. A bâbord, derrière la table à cartes, la banquette peut s’élargir pour accueillir un équipier invité ou se transforme­r, sur demande, en zone technique. Le Nouveau Monde est donc conçu pour naviguer à deux voire à trois. Dans cette configurat­ion-là, personne ne se marche sur les pieds et chaque espace est pensé pour être à l’écart tout en étant visible. Mètre à la main, nous nous mettons en quête des volumes de rangement si importants pour un programme de grande croisière. Il n’en manque guère et le moindre espace semble optimisé pour stocker. Le volume global de rangement du Nouveau Monde est comparable à celui d’un 39 pieds, comme l’Ovni 395 ou le Feeling 39 dont nous avions mesuré les aménagemen­ts il y a deux ans (VM n°244)… Les grands volumes, comme la soute à voiles ou les larges étagères à l’avant, sont appréciabl­es, tout comme les petits espaces optimisés, à l’instar de la marche de la descente où l’on entrepose gants et manivelles. Le triple accès au moteur est tout aussi bienvenu, surtout lorsque l’on se doit d’être indépendan­t, au large, en termes de mécanique. L’accès au vérin de pilote comme à toute la tringlerie se fait au sec, depuis la banquette arrière tribord. Et quand on va loin, l’accessibil­ité des systèmes est essentiell­e, tout comme leur simplicité. Une fois l’état des lieux poussé et terminé, il est temps de se pencher sur une autre question existentie­lle : qu’est-ce qu’on mange ? Heureuseme­nt, Hakim a pensé à tout, à l’apéro comme au dîner qu’il prépare sans rien demander à personne, à savoir moi. J’ai le loisir de siroter un verre de graves tout en observant ce coin cuisine plutôt bien fichu, avec un interminab­le plan de travail doté d’équipets pour avoir les condiments à portée de cocotte. Lorsque je me décide à lever le petit doigt pour mettre la table, je découvre

les larges tiroirs, sous les banquettes du carré, qui accueillen­t toute la vaisselle. Bien pratique. Tous les équipets sont bien fermés avec une targette qui ne risque pas de sauter comme les portes aimantées de certains bateaux de série. C’est du costaud. Nous dégustons le sauté de poulet au curry concocté par Hakim sans avoir l’impression d’être sur l’eau, malgré les rafales et les grains. Le Nouveau Monde est stable, posé sur ses deux quilles latérales jusqu’à ce que la mer, remontée, nous berce à nouveau dans la nuit. Le lendemain, nous partons avec la marée, le soleil et une très légère brise. Jusqu’alors, nous ne nous étions pas vraiment penchés sur le plan de pont adopté sur le Nouveau Monde.

UN COCKPIT DEGAGE POUR LES LONGS BORDS

Toutes les manoeuvres reviennent sur deux winches très reculés sur les hiloires. Un autre winch « de secours » est situé en pied de mât. A l’usage, ce dernier s’avère très mal placé : la contre-écoute de génois a une fâcheuse tendance à s’y bloquer dans les virements de bord. Le circuit d’écoute de grand-voile est dit à l’allemande, pas de rail donc mais un palan frappé sur le rouf et l’écoute qui revient sur deux bloqueurs, sur chaque bord. Pour les besoins de la séance photos, nous devons enchaîner les virements de bord. Et dans cette configurat­ion, ce plan de pont s’avère peu pratique. On se marche dessus avec le barreur, on peine à trouver une position confortabl­e pour border efficaceme­nt le génois. Mais le Nouveau Monde n’est pas conçu pour enchaîner les manoeuvres. Il est davantage pensé pour dégager le cockpit lors des très longs bords au large. Alors on laisse la barre, plutôt neutre, au pilote pour se caler confortabl­ement sur les bancs de cockpit abrités par le rouf et les hiloires. Et on y est bien ! Les déplacemen­ts à l’avant sont sécurisés par une main courante qui épouse l’arrondi du rouf jusqu’au mât. Le pavois permet d’avoir un bon appui dans les passavants et jusqu’à la plage avant. Nous gardons un oeil sur la carte et le plan d’eau afin de contourner les bancs de sable. A mesure que l’on se rapproche de Pyla-sur-Mer, les villas largement vitrées remplacent les arcachonna­ises qui peuplaient jusque-là la côte. Puis voilà l’impression­nante butte de sable qui nous domine, peuplée de colonnes promeneurs qui remontent la dune comme des fourmis un mur… Nous prenons un coffre devant le banc d’Arguin pour s’inscrire dans ce décor du bout du monde. Avec quelques degrés de plus, on aurait piqué une tête mais le printemps peine à trouver ses marques. Nous préférons donc un tour en annexe. L’occasion d’apprécier la plateforme basculante et ses trois positions. Elle ferme totalement le cockpit pour le sécuriser en navigation mais peut aussi s’abaisser légèrement pour l’allonger ou basculer tout à fait pour faire office de plateforme de bain. Une position bienvenue pour charger l’avitaillem­ent en voyage. En ramant, nous prenons du recul sur ce Nouveau Monde. Avec son bouchain qui affine sa ligne arrière et sa bulle sur l’horizon, il est une invitation au voyage, un balcon sur le monde.

Le bouchain affine la carène de ce Nouveau Monde qui dispose d’une fenêtre sur l’horizon.

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L’intérieur du Nouveau Monde bénéficie d’une vision à 360° sur l’horizon et le cockpit...
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Avec le Nouveau Monde, la baie d’Arguin a des allures de bout du monde.
 ??  ?? La superficie du bassin varie avec la marée, de 44 km2 à marée basse à 155 km2 à marée haute.
La superficie du bassin varie avec la marée, de 44 km2 à marée basse à 155 km2 à marée haute.
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Le cockpit est bien protégé par le rouf. Toutes les manoeuvres sont reléguées à l’arrière.

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