Voile Magazine

Un Sun Légende sur la route des alizés

Au début ce n’est qu’une idée vague, une marotte, un rêve familier qui vous trotte dans la tête et dont on reparle en croisière, en famille ou avec des amis. Puis les choses décantent, mûrissent et un beau jour, ça y est : on part !

- Texte et photos : Alain Kernevez.

LA ROUTE DES ALIZES, les eaux antillaise­s, le retour par les Açores… On en parle au détour d’une conversati­on de ponton, au cours d’une croisière familiale, à l’occasion d’un échange avec des proches partant ou revenant d’une boucle de l’Atlantique, on en rêve à la lecture d’un blog de navigateur­s… Puis du rêve, on passe à la réalisatio­n. Et c’est avec ce passage du rêve à la réalité que commence une véritable course d’obstacles. En effet, avant même d’aborder les questions purement nautiques, le bon alignement des planètes suppose : - l’organisati­on d’une parenthèse d’un an sur le plan profession­nel ; - la mise à dispositio­n d’un budget pour un an de vie nautique, achat/location de bateau compris ; - l’anticipati­on d’une scolarité à distance pour les enfants ; - la préparatio­n des conditions de son retour pour ne pas être déphasé/ englouti par le « retour à la normale ». Nous sommes une famille de quatre personnes, deux adultes dans la cinquantai­ne, et deux enfants âgés respective­ment de dix-huit et onze ans. Nous partirons à trois car Victor, dix-huit ans révolus, a d’autres projets dans l’immédiat. Il nous rejoindra sur le périple, pour un mois maximum, si son agenda le lui permet. Pour Alix, onze ans aujourd’hui, il est indispensa­ble d’organiser son année scolaire de 5e et d’anticiper son retour, donc sa réinscript­ion dans son collège actuel. Les cours seront organisés par le CNED. Attention car les fenêtres administra­tives pour ce type de formalités sont courtes et c’est donc dès le mois de mars qu’il faut y songer. Accessoire­ment, même si la plupart des personnes qui envisagent ce type de départ ont navigué au préalable, il y a quelques formalités nautiques à envisager car depuis mai 2015, la notion de « chef de bord » dispose d’une définition légale : il est le membre d’équipage responsabl­e de la conduite du navire, de la tenue du journal de bord et du respect des règlements et de la sécurité des personnes embarquées.

QUELLES FORMATIONS POUR L’EQUIPAGE ?

Le chef de bord doit au minimum être titulaire du CRR (Certificat restreint de radiotélép­honiste). Pour le reste, chacun se prépare comme il le souhaite, mais l’associatio­n les Glénans propose un stage sur trois jours intitulé World Sailing (Premiers secours mer/survie). Cette formation donne accès au certificat World Sailing, valable cinq ans, aujourd’hui exigé pour toute participat­ion à des courses ou rallyes hauturiers. Cette formation peut être complétée par la Formation médicale hauturière FFvoile. Nous nous sommes ensuite posé la question du rythme de navigation et ses corollaire­s, le planning et le parcours. Compte tenu du fait que nous naviguons avec une jeune adolescent­e de douze ans, nous souhaitons privilégie­r des escales au minimum de quatre à cinq jours pour lui permettre de se poser, de prendre ses repères et de profiter au maximum des richesses locales – langues, géographie, histoires, coutumes, faune... Préparer une route pour une année avec deux transatlan­tiques dans un cadre familial, c’est accepter de poser un cadre type puis

de le faire vivre au gré des conditions météo, des aléas techniques, de santé ou psychologi­ques... Autre facteur important lorsque l’on prépare une route nautique, la récupérati­on d’équipières ou d’équipiers sur le parcours. En effet, les aéroports, voire aérodromes, contraigne­nt les escales. Par exemple pour nous Français, il est bien plus facile et moins onéreux de rejoindre un voilier à Pointe-à-Pitre, Fort-de-France ou St-Martin qu’à la Barbade ou aux îles Vierges... Ainsi notre parcours est-il semé de points de récupérati­on pour pouvoir partager notre aventure avec famille et amis. Dans un premier temps, nous avons établi un planning qui doit nous mener jusqu’aux Grenadines, calculé sur la base d’une moyenne de 5 noeuds.

DE LA ROCHELLE A… LA ROCHELLE !

Départ le 15 juillet 2018. Notre point de départ, et de retour, sera La Rochelle. C’est un port de plaisance important, le premier de la façade atlantique avec un plateau technique de premier plan, idéal pour préparer/avitailler un bateau de trente ans. La Galice et le Portugal ne sont pas une priorité de notre route et, sauf problème technique, nous ferons directemen­t route vers Funchal à Madère. 1 086 milles nautiques sont à couvrir, soit environ neuf jours de navigation à 5 noeuds de moyenne… Nous prévoyons donc d’être à Funchal vers le 25 ou 27 juillet. Nous resterons cinq semaines sur l’archipel de Madère afin de profiter au maximum de ses richesses naturelles. Le 30 août 2018, nous quitterons Funchal et Madère pour aller vers Arrecife, port principal de Lanzarote aux îles Canaries. 280 milles à parcourir, soit deux ou trois jours de navigation. Nous prévoyons de passer cinq semaines aux Canaries pour utiliser au mieux les conditions de mer et de vent afin de tenter de visiter les sept îles principale­s. Les Canaries sont aussi le dernier point de la zone euro avant de se retrouver en Guadeloupe... 6-7 octobre, départ de Las Palma (Grande Canaria) pour Praia da Vitoria, au Cap-Vert, avec 861 milles à couvrir, soit sept-huit jours de route pour se positionne­r plus au sud. 14-15 octobre, arrivée sur Praia da Vitoria. Bénéfician­t d’un dessalinis­ateur à bord de Kusupa, nous aurons tout loisir de profiter des paysages des îles du Cap-Vert sans porter préjudice à notre stock d’eau pour la traversée. Nous resterons sur le Cap-Vert jusqu’à fin novembre début décembre pour partir « à la première occasion », dès le début de la saison des alizés. En partant du principe qu’elle se présente entre le 1er et le 7 décembre, nous quitterons le Cap-Vert et mettrons le cap sur Pointe-àPitre (Guadeloupe). La traversée est donnée pour 2 170 milles, ce qui nous amène à dix-huit à vingt jours pour franchir l’Atlantique, soit une arrivée entre le 20 et le 25 décembre. L’idée est de se retrouver sur la marina de Gosier, à Pointe-à-Pitre avant Noël pour passer les fêtes en famille avec celles et ceux qui arriveront de métropole. Nous prévoyons ensuite quinze jours de visite découverte autour de la Guadeloupe. 14 janvier 2019, départ pour le sud des Petites Antilles. 250 milles environ séparent la Guadeloupe de Grenade. Un passage par St-Vincent est obligatoir­e pour ouvrir des droits de séjours dans l’ensemble « St Vincent et les Grenadines ». Ensuite, à nous les Grenadines… Reste à choisir l’essentiel : le bateau ! Une réflexion qui commence, pour le meilleur ou pour le pire, par des chiffres… La question centrale du budget ! La plupart des familles interrogée­s tournent peu ou prou autour d’un même budget de départ, environ 100 000 € pour une année, achat du bateau

compris. En moyenne, l’achat d’un bateau prend entre 50 et 60% du budget initial. A ce prix, on dispose d’un choix de voiliers de 36 à 43 pieds de vingt-cinq à trente ans d’âge, équipés en mode hauturier. Mais attention à ne pas se tromper d’objectif… Nous parlons d’une croisière hauturière à base familiale pour une durée d’un an a priori. Un équipage familial repose le plus souvent sur une personne expériment­ée et motivée à même de comprendre et d’appréhende­r les enjeux de navigation et du reste de l’équipage. La majorité du bord souhaite surtout du confort pour bien vivre cette « expérience différenci­ante », le point de vue de la/du skipper devient important sans être essentiel !

UN BATEAU POUR TOUTE LA FAMILLE

En d’autres termes, il ne s’agit pas seulement de choisir un joli jouet pour le skipper… C’est un bateau familial dont le cahier des charges doit intégrer tous les points de vue. Le bateau choisi parmi les bateaux visités doit notamment inspirer une confiance immédiate à toute la famille. Du coup, un certain nombre de critères « cosmétique­s » peuvent faire la différence… Gare aux vaigrages fatigués, aux selleries usées, déchirées et tachées, aux rayures sur les boiseries, aux aménagemen­ts/ réaménagem­ents marins un peu trop bruts... Ce qui lance un achat concrèteme­nt, c’est le « coup de foudre » avec un bateau, avec une histoire, le skipper se chargeant de vérifier et de valider les questions techniques. A condition qu’il soit présent pour « vendre » le bateau et surtout le rêve de voyage qui va avec… Sur le marché de l’occasion, pour des unités ayant entre vingt-cinq et trente ans d’âge dotées d’un équipement hauturier, on constate un écart moyen de 5 000 € par pied supplément­aire. Ainsi, si un 36 pieds se négocie autour de 35 000 €, un 41 pieds s’envisage aux alentours de 60 000 €... Deux catégories de vendeurs se distinguen­t sur ce type de bateaux, les familles de retour d’une boucle hauturière et désireuses de « passer à autre chose » après une belle aventure et les navigateur­s passionnés, en couple ou en solo et qui, atteints par la limite d’âge, en général autour de soixante-quinze ans, souhaitent se reposition­ner sur un programme plus adapté à leur forme physique. Dans le premier cas, l’identifica­tion et l’adhésion des non-marins est plus immédiate, les échanges plus directs et cela amorce une empathie importante, souvent décisive pour le lancement du projet. Les vendeurs de la deuxième catégorie proposent des unités extrêmemen­t bien entretenue­s, disposant de nombreuses astuces mais souvent sans histoire d’enfants à bord et sans petits trucs prévus pour eux. Entre skippers le contact passe, avec le reste de l’équipage c’est une autre histoire. Sur ces bases, après une période d’errements durant laquelle on regarde tous azimuts sans trop savoir quoi chercher vraiment tant les possibles sont vastes, on finit par se fixer sur quelques modèles de voiliers et quelques

options d’aménagemen­ts... La recherche doit répondre aux besoins de la famille en nombre de couchettes (deux, trois ou quatre), sur l’organisati­on du carré, rangements, jupe... Pour indication, les bateaux construits avant 1985 disposent rarement de jupe ! Des unités phares se trouvent chez chaque constructe­ur de grandes séries. Toutefois, sur la route des alizés, certains modèles abondent, les Sun Légende, les Voyage, les Sun Odyssey sont parmi les plus visibles aux escales. La consommati­on électrique impose d’être particuliè­rement vigilant sur ce poste. Aujourd’hui, les solutions techniques abondent pour un budget en très forte diminution par rapport aux prix pratiqués il y a une dizaine d’années. Panneaux solaires, éolienne, alternateu­r sur l’arbre d’hélice, hydrogénér­ateur sont autant de possibles pour arriver à une complète autonomie. Le portique est devenu un standard pour accueillir les panneaux solaires, les antennes, les provisions dans des filets extérieurs et l’annexe lorsque l’on est en mode cabotage. Il est un élément qui permet de distinguer « à l’oeil » un bateau plus immédiatem­ent « achetable ». Concrèteme­nt, nous avons visité huit voiliers dont trois seulement convenaien­t « immédiatem­ent » à notre programme. Comme évoqué plus haut, si Kusupa a immédiatem­ent été retenu c’est parce que les femmes du bord ont tout de suite été séduites par son apparence, que les propriétai­res, fort sympathiqu­es, sont rentrés d’une boucle de l’Atlantique avec plein de belles histoires et que... Aujourd’hui encore, cet enthousias­me originel pour ce Sun Légende n’a pas faibli.

 ??  ?? Le port à sec, c’est pas très glamour mais c’est économique et bien pratique pour préparer un bateau.
Le port à sec, c’est pas très glamour mais c’est économique et bien pratique pour préparer un bateau.
 ??  ?? Faire sauter le vieux teck par -7° fait aussi partie de l’aventure. Hé oui !
Faire sauter le vieux teck par -7° fait aussi partie de l’aventure. Hé oui !
 ??  ?? C’était quand même sympa, les boiseries en acajou des années 1980 !
C’était quand même sympa, les boiseries en acajou des années 1980 !
 ??  ?? C’est encore loin, les Antilles ? Il faut reconnaîtr­e que la vie à Port-des-Barques, ce n’est pas encore tout à fait les alizés. Mais on commence à rêver, c’est l’essentiel.
C’est encore loin, les Antilles ? Il faut reconnaîtr­e que la vie à Port-des-Barques, ce n’est pas encore tout à fait les alizés. Mais on commence à rêver, c’est l’essentiel.
 ??  ?? La vie du bord laisse la chatte un peu perplexe… Pas sûr qu’elle adore la transat.
La vie du bord laisse la chatte un peu perplexe… Pas sûr qu’elle adore la transat.
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