Un Edel à saisir!
Il est increvable cet Edel 6. Plus de quarante ans après son lancement, il n’a rien perdu de son charme et de sa facilité à naviguer. Peu entretenu ces dernières années, Jaskhane est à la recherche d’un(e) amoureux(se) du bricolage pour repartir tirer des
ON NE VOUS CACHE
pas que cette occasion sort un peu des clous, voire des standards habituels de la rubrique. La faute à une apparence peu flatteuse à première vue et au prix dérisoire demandé par le propriétaire à son futur acquéreur. Pour autant, il ne manque pas de charme ce petit voilier aux lignes sympathiques, surtout si on le compare aux bateaux modernes qui l’encadrent sur le ponton visiteurs du port du Crouesty au moment de notre reportage. Avec un brion tout en douceur, une tonture à la pente raisonnable associée à un rouf percé de deux hublots et une carène classique mais qui ne manque pas d’élégance, l’Edel 6 semble promis à de belles performances sous voiles. Construite à près de 900 exemplaires, cette série a fait les beaux jours de la plaisance hexagonale au tournant des années 1970-80, prenant la suite avec brio des Edel 2, 3, 4 et 5.
ELU BATEAU DE L’ANNEE 1976
Pour preuve, il a même été élu « Bateau de l’année » en 1976, un an après sa sortie du chantier Edel Strat situé, une fois n’est pas coutume, dans la région lyonnaise, non loin du fameux lac du Grand Large ! Pour son architecte Maurice Edel, décédé en 2011, cette unité se voulait avant tout facile à naviguer et bien équilibrée avec son plan de pont pensé pour la croisière en père peinard. Quant au petit tirant d’eau, il s’avère idéal pour la croisière côtière, le béquillage ou le transport terrestre tandis que le volume de l’espace intérieur permet de dormir en escale avec toute sa petite famille. On ne manquera pas d’apprécier le panneau relevable au niveau de la descente qui offre un vrai confort à bord : une hauteur de 1,80 m obtenue grâce à deux vérins posés sous le capot qui aèrent et permettent de se tenir debout au pied de la descente. C’est avec beaucoup de passion que le propriétaire Alain Dewailly – un Parisien d’origine converti de longue date à la Bretagne Sud – nous refait l’histoire de son petit voilier : un achat d’occasion coup de coeur en 1986 (une deuxième main) pour la somme raisonnable de 20 000 francs. En parfait état de la quille à la tête de mât, il n’a nécessité aucun investissement majeur. C’était alors parti pour des navigations estivales comprises entre l’île d’Aix et la baie d’Audierne en couple ou avec des copains. Des moments de vie inoubliables mais aussi de belles frayeurs comme lorsqu’un orage violent a surpris bateau et équipiers un soir au large des Boeufs (entre Noirmoutier et Yeu). Avec aucune visibilité et pas de GPS – il n’était pas encore accessible au grand public au début des années 1990 – une seule solution, naviguer à l’estime en gardant un cap plein sud pour éviter de finir sur les cailloux de l’île d’Yeu. Le retour du soleil au petit matin alors que
le voilier se trouvait finalement au large des Sables d’Olonne fut un profond soulagement pour l’équipage fatigué après une nuit d’angoisse passée à veiller la mer et les récifs. Sollicité tous les étés pendant plus de vingt ans, le petit Edel 6 à la coque rouge bordeaux fait son âge, on ne peut pas le nier, d’autant que l’entretien courant a été négligé dernièrement malgré une mise au sec ces trois dernières années.
UNE GROSSE RENOVATION EN VUE
Des éclats de gel-coat ici et là, un gréement dormant d’origine, une sellerie vieillissante et un accastillage obsolète mais encore opérationnel dressent le tableau d’un bateau dans son jus au moment de mettre le pied à bord. Conscient de la dégradation de sa fidèle monture, Alain souhaite s’en séparer pour une somme modique, voire pour un euro symbolique si jamais le projet des repreneurs, de préférence des amoureux de la mer ou une association, lui paraît en adéquation avec ses valeurs et si le courant passe bien ! Pour prendre la pleine mesure des qualités nautiques de ce voilier, nous larguons les amarres, cap sur la baie de Quiberon. Bonne surprise, le moteur Yamaha de 8 ch, malgré son âge avancé, démarre au quart de tour. Il a été entretenu avec sérieux et révisé tous les ans par un professionnel. Seul hic : il faudra penser à racheter un coupe-circuit car pour le moment, c’est un bout qui retient l’interrupteur ! En revanche, on appréciera la lumière réalisée sous le banc arrière du cockpit qui autorise le passage de la durite d’essence. Pour un déplacement de près de 1 200 kg, la puissance du moteur au moment d’embouquer le chenal face au vent est largement suffisante. Idem en cas de pétole, on atteindra sans forcer la vitesse de 6 noeuds pour une consommation toujours dérisoire. Par sécurité, nous envoyons
cependant la GV entièrement lattée avec lazy jacks, de bonne facture (elle date de 2010 comme le génois sur enrouleur) et d’une taille plus que modeste avec ses 10 m2 de superficie. Même si le gréement courant a été changé régulièrement, certaines drisses mériteront d’être remplacées, idem pour le hale-bas ou encore les écoutes de génois en bon état mais d’un diamètre surdimensionné. A l’inverse, le tambour d’enrouleur et sa drosse paraissent comme neufs. Quant au génois, excepté une forme originale du fait d’un récent recoupage, il est encore très plat. Avec toutes les voiles dehors dans un petit force 4, l’Edel 6 nous procure de belles sensations à la barre : il vire sur place grâce à une pelle de safran assez profonde, les efforts demandés sont minimes et la vitesse de croisière plus que raisonnable. On atteint les 5 noeuds sans forcer mais il faut dire que nous naviguons sur un modèle quillard et non sur la version dériveur lesté dont les capacités au près sont connues pour être moins bonnes. En l’absence d’équipement électronique mis à part un vieux speedomètre et un sondeur datant de Mathusalem bien sûr hors d’usage, je dois me référer à mon smartphone (équipé du logiciel de navigation Sail Grib) pour obtenir un chiffrage de notre vitesse. Dommage que nous ne puissions envoyer de spi – il n’y en a plus à bord malgré la présence d’un tangon et d’un anneau inox sur le mât – car avec cette vélocité, nous aurions pris pas mal de plaisir à faire glisser cette carène bien née. A trois dans le cockpit qui reste très agréable, nous ne nous marchons pas dessus. La barre d’écoute de GV, en plus d’être à dix centimètres du fond du cockpit, ne prend pas beaucoup de place puisqu’elle occupe juste l’espace entre les bancs. Des vide-poches fermés par des fargues – enfin il n’en reste plus qu’une en état à bâbord – permettent de ranger ses petites affaires à l’abri des embruns. Quant aux déplacements sur le pont, ils restent aisés grâce à un antidérapant efficace et des haubans repris directement sur le côté du rouf bien que les passavants paraissent minimalistes à première vue, logique avec ce maître bau de 2,50 m… Deux séries de mains courantes, le long du capot de descente et au-dessus des hublots de rouf, facilitent également les déplacements du cockpit vers la plage avant. A l’image de l’ensemble des boiseries du voilier, un sérieux travail de décapage-vernissage sera à prévoir. Attention au capot avant qui, en plus de ne plus être parfaitement étanche, a pris une couleur jaunâtre qui en dit long sur sa capacité de résistance au piétinement.
UN AMENAGEMENT INTERIEUR ORIGINAL
A l’intérieur, la disposition des aménagements est originale : le carré est décentré sur bâbord et forme une couchette double en descendant la table. Toujours sur bâbord, un grand équipet trouve place à l’arrière du carré et un vide-poches profond court le long de la bannette. En face se trouvent une grande cuisine, totalement inutilisable à cause de son état de délabrement, et une couchette cercueil sur l’arrière. Le poste avant abrite une couchette simple sous laquelle on retrouvera un volume de rangement intéressant et des WC (ils n’ont jamais servi et les vannes seront à changer rapidement) séparé du carré par une cloison. L’accès au fond se fait par deux trappes situées sous la table du carré. Enfin, les contremoulages assurent un excellent vieillissement à l’ensemble malgré la présence de quelques fissures ici et là qu’il faudra résorber au plus vite. Vous l’aurez compris, ce voilier nécessitera de longs week-ends de rénovation et un petit pécule de départ (voir notre budget de restauration) mais l’ensemble est sain. Adepte des petits travaux, passez votre chemin. Fana des refits, cette occasion ne doit pas vous échapper !