La 99e seconde

Dans son excellent ouvrage sur l’histoire du chantier Multiplast paru en 2011, notre confrère Daniel Charles qualifiait la Route du Rhum 1978 « d’année 01 de la course spectacle et des multicoques ». Celle où la transat avait changé d’ère pour devenir, à la faveur d’un formidable coup de théâtre, cette arène glorieuse souvent, tragique parfois, médiatique toujours, qui a connu son épanouissement dans les années quatre-vingt. C’est toujours aussi vrai en l’an 40 après Mike Birch ! Mais parlons-en, de cette fameuse arrivée. Kriter V est devant, Olympus Photos derrière. Michel Etevenon a un accord avec les rhumeries guadeloupéennes et veut faire le spectacle : le parcours fera le tour de l’île par le nord avant d’arriver. A la faveur d’un dernier bord de débridé avant l’arrivée devant Pointe-à-Pitre, le trimaran jaune de Mike Birch coiffe sur le poteau le cigare de Malinovsky et passe la ligne 98 secondes devant le monocoque. Dieu sait qu’on les a commentées, ces 98 secondes, revues (dans les archives en ligne de l’INA), re-racontées (dans le récent livre d’Olivier Péretié sur Mike Birch)… Et quid de la 99e ? Elle dure toujours, à ce qu’il me semble, elle s’éternise. Bien des transats et bien des courses au large ont été télévisées depuis, et même vécues de l’intérieur sur internet, mais aucune n’a connu une telle intensité. Pour l’épilogue du dernier Vendée Globe, par exemple, on a pu rêver d’une arrivée bord à bord, d’un dépassement de dernière minute au contact. On n’en était plus très loin, à vrai dire, sur la dernière étape de la Volvo Race… Mais non, rien. Rien n’est jamais venu égaler cette fameuse image certes un peu floue, un peu confuse, mais tellement mythique, de Michel Malinovsky regardant passer la fusée jaune dans un nuage d’écume, à quelques longueurs au vent. Depuis, le temps est suspendu. Alors on attend, on attend toujours l’arrivée fracassante qui mettra fin à cette 99e seconde interminable. Deux foilers géants au coude à coude ? Un IMOCA à dérives battant son adversaire à foils sur un dernier bord au près serré ? Allez savoir, la réalité facétieuse dépasse toujours la fiction. Mais aujourd’hui plus que jamais, c’est toute une génération, celle qui a mieux connu Franck Cammas que Jean-Yves Terlain ou Eugène Riguidel, qui attend son moment de vérité. Et comme la Route du Rhum est une épreuve à jamais marquée par la grâce, on espère et on rêve pour cette nouvelle édition de tous les records. C’est sûr, celle-là, c’est la bonne. L’an 40 restera dans les annales et mettra fin à la longue parenthèse de la 99e seconde. On parie ?