Voile Magazine

1978 : LA NAISSANCE D’UNE COURSE MYTHIQUE

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UN GRAND MERCI

Messieurs les Anglais. Sans vous, sans les membres du Royal Western Yacht Club de Plymouth, sans votre décision de limiter la taille des bateaux à 56 pieds pour la transat en solitaire de 1980, la Route du Rhum n’aurait sans doute jamais vu le jour. Le changement de la part des Britanniqu­es, créateurs de la transat anglaise en solitaire l’OSTAR, disputée tous les quatre ans depuis 1960, ne relève pas du hasard. Il puise ses origines dans le gigantisme des concurrent­s de la Transat de 1976. Le coupable désigné : le quatre-mâts de 72 mètres Club Méditerran­ée, mené par Alain Colas, et les deux disparitio­ns qui ont endeuillé l’épreuve frappée par le passage de cinq dépression­s. En France, on s’insurge contre cette règle discrimina­toire avant qu’un homme, Michel Etevenon, ne se décide à réagir et imagine la première transat à la française, la Route du Rhum. Dans le monde de la voile, il s’est déjà fait connaître comme armateur des Kriter, le premier du nom engagé dans la première Whitbread de 1973 et le Kriter II mené par Olivier de Kersauson en 1975 dans la course Londres-Sydney-Londres. Si sa culture maritime est proche de zéro, le frère de la comédienne Micheline Dax est un homme de spectacle doublé d’un publicitai­re. Il a collaboré avec Bruno Coquatrix, directeur de l’Olympia, ou encore assuré la promotion des Vins du Patriarche avec les Kriter. Son credo : que les courses à la voile quittent leur domaine réservé, celui des spécialist­es, pour s’ouvrir au grand public. Saint-Malo sera la ville de départ dont les remparts offrent un point de vue privilégié sur les concurrent­s rassemblés dans le bassin Vauban. Chargé par les rhumiers de Guadeloupe d’assurer leur promotion, il choisit Pointe-à-Pitre comme ville d’arrivée. Spectacle oblige, une bouée visible depuis la terre sera mouillée au cap Fréhel, que les concurrent­s devront virer avant de traverser l’Atlantique. « On part en hiver au mois de novembre, on arrive en été. » Le concept de la première Route du Rhum rencontre d’emblée l’adhésion du petit monde de la course au large. Jusqu’au dimanche 5 novembre, les quais du bassin Vauban voient déferler une foule immense venue découvrir les 38 engagés. Les accès aux pontons sont libres. Pas de barrière à franchir pour venir admirer ces solitaires dont bon nombre d’entre eux vivent à bord. Quant à la flotte, force est de reconnaîtr­e qu’elle est cosmopolit­e. Les vrais bateaux de course menés par les grands noms de la voile ne sont qu’une minorité. Il souffle encore un parfum d’aventure sur cette première édition du Rhum. Pour combien de temps ? La question n’est pas encore à l’ordre du jour à l’heure des pronostics. Michel Malinovsky, « Malino » pour ses amis, fait partie des favoris. Journalist­e à Neptune-Nautisme, chargé d’essayer les nouveaux bateaux, il a fait appel à son ami Serge Gallian pour construire Kriter V, un superbe monocoque de 21 mètres dessiné par André Mauric. Marin d’exception, d’une rigueur extrême, il dispose d’une machine taillée pour le près, capable de faire la différence dans le premier tiers du parcours. Olivier de Kersauson part sur un trimaran de 23 mètres, Kriter IV. Une belle machine qui aurait mérité plus de mise au point. Si Eric Tabarly est absent – il se contentera de donner le départ depuis le ferry l’Armorique –, Alain Colas s’aligne au départ sur l’ex- Pen Duick IV, désormais baptisé Manureva. Délaissant l’animation du bassin, Alain a préféré se préparer sur les bords de Rance, au chantier Gay. On dit le trimaran fatigué, le marin pas au meilleur de sa forme.

Eugène Riguidel sur VSD, Yvon Fauconnier sur Lili Aggie, l’ex- Vendredi 13 de Jean-Yves Terlain, ou encore Marc Pajot engagé sur un cata, font partie des outsiders. Du côté des étrangers, le grand trimaran de 23 mètres Disque d’Or, mené par le Suisse Pierre Fehlman, attire plus les foules qu’Olympus Photo, le tri poids plume de Mike Birch, de la série des A’Capella, prêté par son ami, l’Américain Walter Greene. Qu’importe si, dans la Transat 76 en solitaire, l’ex-convoyeur de yachts reconverti dans la course au large n’a terminé qu’à 24 heures de Pen Duick VI. La mémoire est sélective.

MANUREVA NE REPOND PLUS

Enfin une jeune fille, Florence Arthaud, qui vient de fêter son 21e anniversai­re dans le bassin Vauban, se livre à une course contre la montre pour achever la préparatio­n de son monocoque en alu de 11 mètres,

Ex’Périmental. C’est sa première transat en solitaire. Le premier défi qu’elle tente, elle qui est choyée au quotidien par ses parents. La course, dont le départ est donné par un temps de demoiselle, a été maintes fois évoquée. Personne n’aurait imaginé qu’elle allait connaître un tel scénario. Les positions des concurrent­s sont aléatoires. La balise Argos n’arrivera qu’un an plus tard, lors de la transat en double Lorient-Les BermudesLo­rient. Les communicat­ions se font par BLU, via la station de Saint-Lys Radio, prétexte à de longues minutes d’attente pour avoir la bonne fréquence. Et côté options météo, chacun fait avec les moyens du bord. Le 17 novembre, douze jours après le départ, c’est un message d’Alain Colas qui sème le trouble. « Il n’y a plus de mer. Il n’y a plus de ciel. Je suis au centre du cyclone. » Ce sera son dernier message. Qu’est-il arrivé ? On ne le saura jamais. On ne retrouvera jamais rien. Hypothèse la plus probable, Manureva s’est disloqué dans le mauvais temps. Du côté de la Guadeloupe, jamais Michel Etevenon n’aurait imaginé un tel final. Pourtant, à 400 mètres de la ligne d’arrivée, la légende de la Route du Rhum s’écrit pour l’éternité. Malino est en tête quand il attaque le canal des Saintes. Il creuse l’écart sur son poursuivan­t direct, Mike Birch, qui a choisi d’affronter la traversée par une route sud. Les dés semblent jetés, le vainqueur tout désigné. C’est sans compter sur le dernier bord disputé au débridé où Olympus bondit sur sa proie pour finalement le dépasser. 98 secondes les séparent au terme de 23 jours et 6 heures de course. 98 secondes, le temps qui séparait Birch de Malino au passage de la bouée de Fréhel. Un signe, non ? 36 concurrent­s au départ, 24 classés. 1er : Mike Birch ( OlympusPho­to), 23 j 6 h, 2e : Michel Malinovsky, ( KriterV), 23 j 7 h, 3e : Phil Weld ( RogueWave), 23 j 15 h.

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Olympus au départ de Saint-Malo. A l’arrivée, Mike se partagera le prix du vainqueur avec son ami Walter Greene, propriétai­re du tri jaune.
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Michel Malinovsky, à la barre de Kriter V.

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