Voile Magazine

1986 : PLUS JAMAIS ÇA

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ON AURAIT DU S’ALARMER.

Clamer haut et fort que l’arrivée de cette nouvelle génération de maxi-catamarans de plus de 22 mètres dépassait les bornes du raisonnabl­e. Que coureurs et architecte­s allaient trop loin, surtout avec ces multis menés en solitaire. Et rappeler qu’un catamaran a plus de chances de chavirer qu’un trimaran. Pourtant, ce sont bien ces catas géants qui dominent la course open au coeur des années 1980 : Royale, Charente Maritime, Fleury Michon VII, Jet Services ou encore Tag Heuer confié à Mike Birch. Durant l’été 1984, ils avaient déjà fait une entrée remarquée dans le port de Saint-Malo, lors de l’arrivée de la course Québec-Saint-Malo, l’occasion d’un finish qui s’était soldé par la victoire de Royale devant Charente Maritime avec dix petites minutes d’écart. Deux ans plus tard, tous se retrouvent dans ce même bassin Vauban pour prendre le départ de la troisième édition du Rhum. Le nombre de participan­ts a diminué, ils ne sont plus que 47 contre 52. Pour la première fois les catas, toutes tailles confondues, l’emportent sur les trimarans, à 13 contre 9. Parmi ces derniers, l’un d’entre eux, Fleury Michon VIII, détonne. Elégant, il joue la carte de la sagesse. Son skipper, Philippe Poupon, est un habitué du Rhum. En 1978, il avait choisi de partir sur Pen Duick III grâce à un large élan de solidarité signé Michel Etevenon et la mairie de Saint-Malo. Il récidivait quatre ans plus tard sur un tri. En 1984, Philou est le premier à couper la ligne d’arrivée de la Transat anglaise en solitaire avant de devoir céder sa place de vainqueur à Yvon Fauconnier, gratifié d’un bonus de 16 heures pour avoir porté assistance à Crédit Agricole, le cata chaviré de Philippe Jeantot. Cette victoire « volée » lui laissera un goût amer. Pour cette édition, il part sur un tri à son image, marin, confortabl­e et bien construit par Jeanneau Technique Avancées (JTA) sous la direction de son pote Jean-François de Prémorel. Dans le mauvais temps, Philou peut se protéger sous une casquette rigide. Toutes les manoeuvres sont regroupées dans un petit cockpit situé sur l’avant de la casquette. Les dessins de la coque centrale et des deux flotteurs, signés de l’architecte britanniqu­e Nigel Irens, sont conçus pour le près. Ils se révéleront aussi performant­s au portant. C’est dire si Fleury Michon VIII contraste avec le cata géant Royale, capable d’avaler plus de 500 milles en 24 heures. Pour la première fois, il est équipé d’un mât aile en carbone pivotant réalisé dans un autoclave. Ses dimensions sont impression­nantes : hauteur 33 mètres, surface 60 m2, l’équivalent d’une voile d’avant taillée pour le mauvais temps. Quant à son skipper, Loïc Caradec, nul ne peut mettre en doute ses compétence­s. Bricoleur de génie il a, depuis son embarqueme­nt sur Grand Louis en 1973, passé sa vie sur l’eau et accompagné la saga Royale. De fait, le 9 novembre, dans la première heure de course, Royale vole sur l’eau, sentiment confirmé par une moyenne incroyable : 19,50 noeuds pour couvrir les 18 milles qui séparent la ligne de départ de la première marque à virer mouillée devant le cap Fréhel. Pourtant, les prévisions météo annoncent des conditions difficiles. Pour la première fois de sa vie, Eric Tabarly appelle les secours. Son tri Côte d’Or a perdu le flotteur avant bâbord. Ironie du sort, il sera récupéré par Pen Duick VI. Les abandons se multiplien­t : Olivier de Kersauson, Eric Loizeau, Pierre Follenfant ou encore Daniel Gilard jettent l’éponge. Mais rien de catastroph­ique comparé au relevé Argos du 14 novembre qui indique, pour le cata Royale de Loïc Caradec, une vitesse de 1,4 noeud. C’est signe qu’il s’est passé quelque chose de grave. On redoute le pire. Il se confirmera le lendemain lorsque Florence, sur son tri Biotherm II, découvrira le cata retourné. Personne pour répondre à ses appels. Le mât est brisé. Tous les capots situés dans les coques sont fermés. Ce qui s’est vraiment passé, on ne le saura jamais. Mais après Alain Colas, Loïc Caradec ajoute son nom à la triste liste des portés disparus. Sur l’Atlantique frappé par trois dépression­s, Philou imprime son rythme. Il barre peu – deux heures par jour – profitant de son intérieur douillet pour réfléchir aux bonnes options en liaison avec son routeur Jean-Yves Bernot. Il accentue son avance sur les poursuivan­ts en avalant plus de 400 milles par 24 heures pour finalement boucler le Rhum avec plus de 48 heures d’avance sur Bruno Peyron et Lionel Péan. C’est la consécrati­on pour le Bigouden qui dédiera, à Pointe-à-Pitre, sa victoire à son ami Loïc. Une infinie tristesse du côté de La Trinité-sur-Mer où un môle à son nom rappelle sa mémoire. 30 concurrent­s,13 classés. 1er : Philippe Poupon ( FleuryMich­onVIII), 14 j 15 h, 2e : Bruno Peyron ( Ericsson), 16 j 17 h, 3e : Lionel Péan ( Hitachi), 17 j 7 h.

PLUS DE 500 MILLES EN 24 HEURES

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Sous trinquette et grand-voile arisée, Royale marche à près de 20 noeuds en route directe vers la marque à virer du cap Fréhel.

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