FORCES EN PRESENCE Qui va gagner?
Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le regrette, les multicoques géants sont définitivement les stars de la Route du Rhum. Mais leur course serat-elle aussi disputée que celle de leurs petits frères sur une ou plusieurs coques ? Sur le papier, les écarts de vitesses sont réels... Mais l’état de la mer peut niveler les différences. LE PUBLIC AIME
les grands bateaux. Tout comme la Route du Rhum du reste, dont l’ADN comporte quelques gènes de gigantisme issus de son histoire : rappelons qu’elle est née précisément parce que la Transat anglaise, la seule et unique transat à l’époque, entendait imposer des limites aux marins et aux architectes. Aujourd’hui, la catégorie Ultime de la Route du Rhum ne donne aucune limite : tout multicoque de plus de 60 pieds peut s’y inscrire. Mais attention à ne pas confondre la classe Ultime de la Route du Rhum et la Classe Ultime 32/23 (voir encadré), constituée par un groupe d’armateurs pour un circuit particulier, et notamment en vue du tour du monde en solitaire Brest Océans. Entrer dans la Classe Ultime nécessite de satisfaire à un certain nombre de critères : longueur comprise entre 24 et 32 m, pas plus de 23 m de large, mât inférieur à 120% de la longueur de la coque, franc-bord supérieur à 1,70 m, et pas d’asservissement des foils. En revanche, tout le monde peut courir le Rhum en Ultim, y compris Edmond de Rothschild et ses foils asservis par un système électromécanique, et même l’antique Castorama d’Ellen MacArthur relancé par Romain Pillard sous le nom de Remade-Use it Again. Avec l’appui d’un sponsor spécialisé dans le reconditionnement des smartphones (Remade), Romain Pillard, ancien figariste et inventeur inspiré du Tour de Belle-Ile, a encore tapé dans le mille avec cette idée de recycler un grand multicoque d’ancienne génération. D’autant que son skipper d’origine, Ellen MacArthur donc, a fait profession depuis de promouvoir l’économie circulaire. Et la circularité, elle connaît, pour avoir été le marin le plus rapide autour du monde en 2005 sur ce même B&Q/Castorama On souhaite donc à Romain de réussir son pari, c’est-à-dire d’arriver à Pointe-à-Pitre dans un temps qui fasse honneur au bateau, et au service d’une cause intelligente. Mais quid des autres, ceux qui viennent pour la vraie bagarre ? Tous ont du talent, tous affichent une sacrée expérience. Les différences se font davantage sur les bateaux, qui relèvent de plusieurs générations. Les plus récents sont Maxi Edmond de Rothschild et Banque Populaire IX, mis à l’eau respectivement en juillet et novembre 2017. Macif, lui, a touché l’eau en 2015. Quant à Idec Sport et Sodebo, ils font carrément figure d’anciens, le premier ayant déjà connu deux victoires sur la Route du Rhum sous le nom de Groupama 3 (2010, Franck Cammas) et de Banque Populaire VII (2014, Loïck Peyron), et le second étant issu du vénérable Géronimo d’Olivier de Kersauson (dont il a réutilisé principalement les bras). Cela n’empêche pas
Idec et Sodebo d’être des trimarans très rapides, comme ils l’ont largement prouvé en tenant des moyennes affolantes autour du monde, en solo ( Sodebo) et en équipage ( Idec). Mais ils appartiennent clairement à une génération moins aérienne que les trois autres, avec leurs foils courbes qui les sustentent sans jamais les envoyer complètement en l’air. Car les foils, chez les Ultimes, sont la clé de la performance. Et de ce point de vue, c’est bel et bien Macif qui a pris un coup d’avance avec les nouveaux plans porteurs installés cet été,
IDEC A DEJA GAGNE DEUX FOIS LE RHUM !
dans un timing parfait pour surprendre la concurrence tout en se laissant le temps de les fiabiliser à fond. Grâce à ces appendices plus fins dont la réalisation était techniquement impossible il y a encore deux ans, Macif vole plus haut, plus stable. Attention cependant à Maxi Edmond de Rothschild, qui bénéficie d’une génération de foils proche de celle de Macif. On se souvient que Sébastien Josse, engagé sur la Transat Jacques Vabre peu de temps après sa mise à l’eau, avait cassé ses deux foils. A toute chose malheur est bon : contraint d’en faire construire de nouveaux, il bénéficie d’appendices un peu plus récents que ceux de Banque Populaire IX… Et ça marche, si l’on en juge par les dernières images d’Edmond de Rothschild et surtout par ses bonnes performances, y compris face à Macif, lors du premier stage Ultim organisé par le pôle France à Port-la-Forêt. Le jeu reste donc ouvert, mais il est clair que c’est Macif qui part avec le plus de certitudes.
FRANÇOIS GABART EN PLEINE CONFIANCE
François Gabart navigue en pleine confiance sur un bateau parfaitement fiabilisé, précédé par sa réputation : celle d’un marin qui gagne à peu près toutes les courses dont il prend le départ. Ce statut de favori, on le sait, est parfois difficile à porter, mais le bonhomme n’est pas trop du genre à gamberger. Ces multicoques géants sont des machines complexes, qui demandent une longue mise au point. Un peu comme un programme informatique demande à être « recetté », c’est-à-dire mille fois testé et corrigé, ils comportent tous une liste interminable de points à fiabiliser. L’électronique, l’hydraulique, les réglages de foils… tout est lié et tout doit fonctionner parfaitement. En course, et surtout en solo, le moindre grain de sable dans cette belle mécanique peut conduire soit à l’abandon, soit à la nécessité de lever le pied et de regarder passer les autres. C’est là que Macif a peut-être pris un temps d’avance. Edmond de Rothschild, gros outsider, n’est probablement pas très loin en termes de préparation, mais son skipper n’a pas le même capital confiance. Idem pour
Banque Populaire IX qui court après le temps perdu lié au chavirage… Il lui faut retrouver toutes ses sensations, reprendre confiance. Au final, le Rhum reste une transat avec tous ses aléas, la sortie de la Manche et le golfe de Gascogne en novembre peuvent réserver plus d’un tour de cochon. Et si les choses se corsent vraiment, des bateaux moins radicaux, mais pour le coup ultra-fiabilisés autour du monde comme Idec et Sodebo, auront des coups à jouer. A chacun de ces géants son compromis vitesse-fiabilité, à chacun ses chances et entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre, c’est encore l’Atlantique qui tranchera. C’est ça, la magie du Rhum !