Lady of Tasmania
LADY OF TASMANIA
est du genre à faire tourner les têtes. Comment ne pas remarquer la grâce de sa silhouette élancée de houari, l’audace de son fier bout-dehors, la sobriété chic de son étrave droite, la délicatesse des courbes de son rouf et de ses hiloires, le raffinement de son pont en pin d’Oregon, la sensualité langoureuse de sa longue plage arrière et le classicisme distingué de son tableau ? Mais cette attitude bon chic bon genre, inspirée des lignes d’un pilote anglais, n’est que la face émergée de l’iceberg. Il faut connaître cette dame dans l’intimité pour la découvrir sous son vrai jour. Loin d’être figée dans le carcan de la tradition, elle assume un caractère résolument moderne qu’elle dévoile dans la confidence, sous la ligne de flottaison. Les appendices explosent les codes d’antan avec un double safran ainsi qu’un long et fin voile de quille en inox, supportant un bulbe de 900 kg. En soulevant les planchers, on peut directement observer la structure de la carène : un sandwich époxy infusé, mis en oeuvre avec une mousse de haute qualité recouverte jusqu’à 12 mm de tissu au niveau des renforts. Le bateau, qui mesure 10 mètres à la flottaison, ne pèse que 3 400 kg malgré son bulbe de 800 kg et son pont latté de 22 mm d’épaisseur, soutenu par des barrots en acajou ! Qu’il s’agisse des matériaux ou des techniques de construction, la carène de Lady of Tasmania est comparable à celles des engins de course actuels. Un constat qui n’a rien de surprenant : les plans sont signés Juan Kouyoumdjian. C’était un souhait du client : pas question que les autres bateaux tournent autour de sa belle, même si c’est pour l’admirer ! Le choix du lest a été guidé par les exigences de performance (voile vertical prolongé d’un bulbe).
QUILLE SABRE ET WINCH ELECTRIQUE
Mais Lady of Tasmania étant basée à Bréhat, la possibilité de réduire le tirant d’eau coulait de source. L’architecte a ainsi opté pour une quille sabre manoeuvrée à l’aide d’un winch électrique. Une option un peu radicale : en cas de talonnage, la structure est très vulnérable. Autre désagrément : le puits de quille barre la vue et la circulation dans le carré. On aurait préféré une quille relevable, qui aurait fait fusible en cas de choc et s’intégrerait mieux aux aménagements, quitte à égratigner légèrement les polaires de vitesse. On ne profite donc pas pleinement du volume intérieur qui a pourtant le mérite d’être très ouvert grâce à l’absence de cloison (ce dernier critère inscrit au cahier des charges a dicté le dessin d’une structure très rigide). Le triangle avant accueille une couchette double. Dans son prolongement, le carré s’organise de manière symétrique avec deux blocs (réchaud à bâbord, tableau électrique et vasque à tribord) puis deux grandes banquettes. Un grand vide-poches court le long du bordé derrière le dossier. On dispose aussi de rangements sous les assises. Deux belles couchettes individuelles sont installées à l’arrière, sous le cockpit. Pas de table de carré mais après tout, nous sommes à bord d’un voilier dont l’identité est plus proche de celle d’un grand day-boat que d’un croiseur. L’ambiance sobre et moderne (selleries grises et peinture blanche), égayée par les éléments de menuiserie, est réussie. Quant aux finitions, elles sont irréprochables. Un très beau travail d’aménagement signé Beboat. Bien que notre
Lady ait établi ses quartiers en Bretagne Nord, une région qui souffre rarement de la canicule, on regrette l’absence de panneaux ouvrants. En cet après-midi estival, on manque d’air sous le pont. Et sans vouloir encore stigmatiser le climat costarmoricain, les petits hublots tout ronds tout mignons seront peut-être un peu justes pour faire pénétrer la lumière quand la météo est mitigée. Esthétisme et confort ne sont pas toujours d’accord ! Après tout, sur un day-boat c’est à l’extérieur que l’équipage passe le plus clair de son temps. Et de ce point de vue, il n’y a pas grand-chose à redire. On circule très bien de la plage avant vers le grand cockpit dégagé : l’écoute de grand-voile passe sur les côtés de la plage arrière et tombe sous la main du barreur. Le reste des manoeuvres revient au piano, dont la drisse mouflée qui permet de hisser le pic (en carbone, comme tous les espars). Ce dernier
mesurant plus de 6,50 mètres, la grand-voile s’élève à près de 16 mètres et demande à être arisée dès 15 noeuds. Avec un vent qui est monté ponctuellement jusqu’à 12 noeuds, nous apprécions pleinement sa puissance : nous filons entre 7 et 8 noeuds (avec un léger courant favorable) et remontons à 30 degrés du vent sur une mer plate. La barre est douce,
Lady of Tasmania marche bien droit. Ce comportement sain ne doit pas nous faire oublier que nous ne sommes pas en présence d’un oiseau du large. Le bateau, très puissant, reste un day-boat, aussi réussi soit-il. L’absence de baille à mouillage et le foc simplement endraillé (le yankee est sur emmagasineur) nous le rappellent… Un parti pris discutable mais tout est permis à bord d’un one off ! Et une Lady de cette classe et de cette trempe-là, on n’en rencontre pas tous les jours. On a hâte de découvrir le dernier-né du chantier : un 6 mètres typé Open 6.50 destiné à la série, résolument moderne et signé Finot-Conq…
Tableau classique, rouf à hiloires droites : tout comme un yacht !