Lancer une bouée, est-ce un crime?
En tant que magazine nautique, volontiers technique, nous n’avons pas pour habitude de prendre position sur des sujets de société. Mais en tant que marins, ce n’est pas spécialement polémique, à peine engagé que d’affirmer tout simplement, comme Kito de Pavant, Alexia Barrier, Isabelle Joschke, Luke Berry, Thibaut Vauchel-Camus, Romain Pilliard, Jacques Valente, et François Gabart, qu’on ne peut pas laisser les gens mourir en mer. Et encore moins interdire aux autres de le faire. Or c’est précisément la tactique employée par différents Etats européens pour maintenir les ONG à quai. Les motifs avancés sont empreints de mauvaise foi : trafic, fausse invocation de la détresse, privation administrative de pavillon, tri inadéquat des déchets médicaux assimilant alors les naufragés à des agents porteurs des pires épidémies. Nous faisons évidemment référence à l’Aquarius – toujours bloqué à Marseille – mais il n’est pas le seul concerné. La triste liste des navires empêchés par l’Italie, Malte ou la Grèce est longue : le Cap-Anamur dès 2004, les bateaux de pêche tunisiens Mortadha et Mohamed-ElHedi, le Juventa, l’Open- Arms, le Golfo-Azzurro, le Vos-Hestia, le Lifeline, le Sea-Eye, le Seefuchs, le Sea-Watch-3 ! Le 22 novembre, le chalutier espagnol Nuestra Madre Loreto, ayant secouru douze migrants en Méditerranée, s’est retrouvé sans autorisation d’accoster nulle part. Le message adressé aux autres patrons pêcheurs est clair… Des navires bloqués au port ou au large, des capitaines, des équipages, des membres d’associations sous le coup de procédures judiciaires, tous considérés comme des criminels. Malgré tout, fin novembre, trois ONG (espagnole, allemande et italienne) ont repris en catimini leur mission de sauvetage au large de la Libye, là où plus aucun bateau humanitaire n’osait intervenir. Est-ce un crime de porter secours en mer ? De faire honneur à une tradition aussi ancienne que la marine à voile, comme le rappelait récemment François Gabart dans une interview au Monde ? Apparemment oui. Et dans ces conditions, même pour nous plaisanciers, la mer ne peut plus être uniquement un terrain de jeu. La rédaction PS : Faute de mieux, on peut lire en soutien le livre de Khaled Hosseini, lettre imaginaire d’un père sur le point d’embarquer avec son fils pour fuir la guerre sur un pneumatique douteux. Un ouvrage superbement illustré par Dan Williams. L’auteur et l’éditeur reverseront leurs droits au HautCommissariat des Nations Unies et à la Cimade, qui vient en aide aux réfugiés. Une prière à la mer, Albin Michel, 12 €.