Les îles Eoliennes A l’ombre du Stromboli
Je n’ai que quatre jours de navigation en Sicile mais cela devrait être suffisant pour approcher le volcan mythique et ses éruptions visibles uniquement la nuit… A condition de ne pas traîner en route et de renoncer à certaines escales, comme l’île de Lip
LA RESERVATION A ETE FAITE auprès d’Alex et Giovanni, les responsables de la base de Dream Yatch Charter de Portorosa. Elle est assez atypique, d’habitude les clients partent au moins une semaine… Mais le temps nous est compté ! Pas de farniente au programme, notre objectif est clair : le Stromboli, dont l’éruption en cours devrait offrir un sacré spectacle vu de la mer. Portorosa est une marina privée avec ses villas et ses yachts : peu d’Italiens, mais de nombreux Russes y viennent en villégiature. Pas de supermarché non plus, il faut faire ses courses à l’avance et la livraison est faite directement au bateau. La météo est bonne en ce début d’octobre, avec peu de vent, mer belle prévue pour toute la semaine. Nous commençons donc par solliciter les deux diesels (28 chevaux) de notre Lagoon 380. Sur cette mer d’huile, ils nous propulsent à 7 noeuds en poussant à 2 800 tours/minute. Après une heure de navigation, nous sommes déjà en vue de Vulcano ; il nous faudra deux heures de plus pour mouiller au plus près des eaux sulfureuses et bouillonnantes de Porto di Levante. L’odeur d’oeuf pourri est saisissante et désagréable. A terre, possibilité de bains de boue dans des eaux marron, peu engageantes… C’est sûrement bon pour la santé, mais une baignade express en mer suffira ! Cap sur Panarea. Nous longeons Lipari sans nous arrêter, la mer est toujours lisse et nous profitons d’un beau soleil couchant. Panarea est la plus petite île de l’archipel des Eoliennes. L’été, elle accueille les VIP mais nous sommes en octobre et l’île est tout à nous avec ses trois cents habitants. Elle me fait penser à l’île d’Aix après la saison. Il n’y a ni route ni voiture, les ruelles sont trop étroites. Les maisons blanchies à la chaux sont ornées de bougainvillées rouges, roses ou violets. Il fait bon s’y promener, les terrasses surplombent la baie où se trouve notre catamaran. Seuls deux autres voiliers ont jeté l’ancre à proximité avec, toujours en arrièreplan, le Stromboli couronné de son nuage de fumée. A la lueur d’une lampe tempête, nous dînons dans l’unique restaurant ouvert à cette saison. Il fait pourtant 22°… En terrasse et sous un ciel étoilé, on nous sert un plat typique à base de poulpe. Des chats ronronnent dans nos jambes et s’aventurent autour de nos assiettes, ce sont les seuls locataires des superbes villas que les propriétaires abandonnent pour l’hiver. Le dépaysement est total.
A Panarea pas besoin de réveil, la vedette qui fait la liaison entre les îles lève une vague importante qui vous sort à coup sûr de votre couchette. Pensez à bien ranger le bateau la veille ! Des pêcheurs locaux nous abordent pour vendre leurs prises de la nuit. N’espérez pas de petits prix, mais la négociation reste possible… Notre navigation du jour nous permet un détour par les îlots de Bottaro et de Lisca Nera pour une baignade. Peu de poissons, peu de couleurs, mais en navigation nous croisons trois belles tortues. A 6 noeuds, il nous faudra quatre heures de plus pour atteindre notre Graal : l’île de Stromboli et son volcan, le plus actif d’Europe.
2 400 M DE HAUT… DONT 924 M EMERGES
C’est « le phare de la Méditerranée » avec son panache de fumée permanent, ce sont aussi 2 400 m de hauteur, dont 924 émergés. Le volcan mythique et grandiose est enfin là, face à nous, avec ses trois cratères actifs d’où sont sortis les personnages de Jules Verne dans Voyage au Centre de la Terre. A l’ombre du géant, nous longeons la côte nord avec sa grande coulée de lave « la sciara del fuoco » (chemin de feu), large coulée qui plonge au plus profond de la mer Tyrrhénienne. L’ancre par 10 m de fond devant la plage noire de San Bartolo, nous nous aventurons à escalader le volcan. Trois bonnes heures de marche jusqu’au point de rencontre des guides, à 400 m d’altitude. Le reste de l’ascension n’est autorisé qu’avec un équipement spécifique et un guide officiel. Nous restons donc à mi-chemin, frustrés de ne pas pouvoir observer le cratère de plus près mais émerveillés par le coucher de soleil sur une mer lisse dans laquelle vient se jeter une piste noire de lave et de poussière. C’est un spectacle inoubliable. Mais la nuit tombe vite aux Eoliennes, il faut regagner le bateau dans le noir. La lampe torche est de rigueur même au port, car le village n’est pas pourvu d’éclairage public. Première navigation de nuit, la brise se lève et nous permet de dérouler enfin le génois. A moins d’un demi-mille de la côte, le volcan nous offre un spectacle stupéfiant avec ses projections de lave et ses ronflements sourds. Nous restons le long du Stromboli à attendre une prochaine explosion, il s’en produit une toutes les quinze minutes environ. Nous dînons dans l’obscurité, éclairés par les instruments de bord, aux premières loges pour mieux profiter du spectacle que nous offre le géant noir. Les éruptions des lapilli rouge feu dans la nuit noire donnent un feu d’artifice d’une exceptionnelle intensité. Puis le vent se lève franchement et l’ascension a fatigué les corps, il est temps de repartir. Nous filons vers Panarea. Il faut faire attention aux filets dérivants qui ne sont pas éclairés, le plus sûr est de bien s’écarter des îlots. A Panarea, nous prenons un peu de repos et nous offrons une sympathique randonnée jusqu’à Punta Del Corvo, le point culminant de l’île avec une vue imprenable sur l’archipel éolien. De retour en mer, nous longeons l’île pour découvrir les criques de Caletta dei Zimmari, sa plage, Cala Giunco et ses rochers, avant de mettre le cap au sud vers Lipari. Nous avons dû renoncer à la visiter mais profitons quand même des paysages improbables de la côte est, avec ses anciennes carrières de pierre ponce et ses eaux turquoise. Il a été convenu avec Giovanni, l’un des responsables de la base Dream Yacht, de faire le plein à Lipari pour éviter l’attente à l’unique pompe de gasoil de Portorosa. Une attente qui peut être longue les jours de retour de location ! A Lipari, le port est une grande baie bien abritée, où deux pontons équipés chacun de plusieurs pompes nous attendent. Pour rentrer en Sicile, je passe entre Lipari et Vulcano pour une dernière baignade dans le Porto Ponente, au nord de Vulcano. Ici, pas d’odeur de soufre, bien à l’abri du vent d’est. A la nage, je fais le tour du rocher de la Sirène, une étrange concrétion volcanique qui semble sortir de l’eau. Puis c’est déjà la dernière navigation, sous voiles avec 12 noeuds de vent, il serait dommage de ne pas en profiter. A Portorosa, nous rendons le bateau après une ultime inspection, et disons à nos amis italiens tout le bien que nous pensons de leurs îles. Ces quatre jours en mer Tyrrhénienne nous font l’effet d’une grosse semaine de vacances et nous repartons avec des images plein la tête. Giovanni me raccompagne à la gare où je prends le train pour Catane avant de décoller au petit matin pour la France. Ces quatre jours de navigation à l’ombre du Stromboli me resteront longtemps en mémoire !