Voile Magazine

Mais comment font-ils ?

Vu du bord : Mais comment font-ils ?

- Texte : Marc Ouahnon. Photos : Sillages Communicat­ion 2017.

QUELLE MOUCHE m’a piqué de m’embarquer dans cette galère ? Mais surtout, en observant le navigateur et son coéquipier évoluer sur le voilier en faisant fi de la gîte, du roulis, de la pluie, des embruns, du froid, de l’humidité, de l’absence totale d’espace, de l’inconfort, du goût des sachets lyophilisé­s ou encore de cette impression d’être en permanence en train d’atterrir brusquemen­t sur une piste de bitume, je me suis posé une question : mais comment font-ils ?

En ce mercredi après-midi, les rues des Sables d’Olonne sont vides. Et pour cause : il pleut à verse et les rafales de vent risquent même d’emporter les parapluies. Le port ne fait pas exception : les plaisancie­rs préfèrent se remémorer leurs croisières estivales bien au chaud au restaurant plutôt que de se risquer sur leur rafiot.

ÇA VA ENVOYER DU LOURD A LA SORTIE DU CHENAL

Mais un petit groupe d’intrépides brave les éléments. Rassemblés autour d’un immense voilier jaune, ils sont venus dire au revoir aux skippers de La Mie Câline, en partance pour Le Havre où ils sont attendus le surlendema­in en préparatio­n de la Transat Jacques Vabre.

« Ça va envoyer du lourd à la sortie du chenal, confie Arnaud Boissières, le regard tourné vers les nuages noirs qui s’approchent. Mais on n’a pas le choix, c’est notre seule fenêtre météo. » En sautant sur le pont après avoir serré dans les bras ses deux enfants, le co-skipper Xavier Macaire est pourtant loin d’être inquiet : « C’est exactement ce dont on a besoin, s’enthousias­me-t-il. Ce petit coup de vent nous mettre dans le vif du sujet ».

De véritables chasseurs de tempêtes, voilà sur qui je suis tombé ! En voyant les derniers membres du team quitter l’IMOCA sur le pneumatiqu­e, je me demande si ce ne serait pas plus raisonnabl­e d’en faire autant. Mais il est trop tard. A peine notre escorte nous a-t-elle abandonnés que les deux marins sont en train de « mouliner » à cent à l’heure sur les manivelles de la colonne centrale pour hisser la grand-voile. Une fois qu’elle est haute, l’accélérati­on est brutale. Les 160 m2 de toile se gonflent et nous propulsent déjà à grande vitesse vers l’infini de l’océan. Au bout du port, j’aperçois les vagues se fracasser sur la digue dans un geyser qui me semble aussi haut que le phare lui-même. Dans une maigre centaine de mètres, les eaux calmes du chenal vont céder la place à des creux de près de cinq mètres. Au loin, les nuances de vert, de bleu, de gris et de noir forment un superbe tableau apocalypti­que. « Oh ! tu rêves ? m’interrompt Arnaud. Ne reste pas là, tu me caches les instrument­s de navigation ! » Je vois alors l’anémomètre indiquer 35 noeuds de vent. Ça promet.

Ça y est, on est au large. Ça balance dans tous les sens, je commence à regretter mon banana-split de midi. Prise de ris, changement de voile d’avant, ajustement des foils, les manoeuvres s’enchaînent… Et je ne sais pas où me mettre. Debout au milieu je bloque le passage du « moulineur », côté bâbord je suis sur le chemin de l’écoute de génois et à tribord devant les taquets. Je finis par m’asseoir entre deux winches inoccupés, sur une paroi stable qui me permet de m’appuyer dos à la casquette. Pas vraiment un siège, mais ça fera l’affaire. Tiens, la pluie s’est arrêtée. Et si j’en profitais pour aller mettre la tête en dehors du cockpit et respirer l’air marin ? A peine ai-je le temps de voir la couleur de la mer que je me retrouve le visage aspergé d’eau. « C’est à ça que sert la casquette, m’explique Arnaud, amusé. En IMOCA, dès qu’on prend un peu de vitesse, mieux vaut rester là-dessous si l’on veut éviter d’être arrosé. » Quelque peu refroidi, je me dis qu’un bon repas chaud devrait me requinquer. « C’est servi ! » annonce Xavier. Pas de sympathiqu­e tablée fraternell­e, le dîner se traduit par un sachet de nourriture lyophilisé­e posé entre deux bouts sur le sol du cockpit. Au menu ce soir : tagliatell­es carbonara. Pour le goût, on est encore loin du restaurant italien ! Pour la digestion en revanche, ça devrait aller, le vent s’est calmé et le bateau est désormais stable.

Les conditions idéales pour aller dormir. A l’intérieur, c’est bien triste. Carbone oblige, toutes les parois sont noires. Et rien, à part la silhouette d’Arnaud, allongé sur le sol le visage rivé sur la centrale de navigation, ne vient égayer cet espace désespérém­ent vide, austère. Afin de ne pas déranger, je vais me coucher dans la bannette arrière tribord. Pour le confort, il faudra repasser : pas de banquette ni de coussins, je pose mon sac de couchage directemen­t sur le banc en carbone. Mais ce ne sont pas les maux de dos qui me maintienne­nt éveillé : les bruits de l’hydrolienn­e, du clapotis des vagues et surtout de la coque qui vient régulièrem­ent percuter l’eau dans un fracas digne des chutes du Niagara, ont du mal à jouer le rôle d’une berceuse. Par miracle, je finis par m’endormir. Quand j’ouvre les yeux, j’aperçois à travers le minuscule hublot du carré un coin de ciel bleu. Intrigué, j’enfile mes vestes et pantalons de quart, sors sur le pont et constate que, ô surprise, il fait beau ! Et la vue des côtes m’indique que le vent ne nous a pas emportés au milieu de l’Atlantique ! « On est en train de passer Ouessant » m’informe Arnaud, bien plus frais que moi malgré sa nuit fractionné­e et ses allers-retours perpétuels vers la proue du bateau pour effectuer je ne sais quel réglage. C’est le moment de lui poser cette question qui commence à me trotter dans la tête : « Comment vous faites, sérieuseme­nt, pour garder la forme dans ces conditions ? » Il me sourit et tend le bras vers le sillage du voilier, la mer, le soleil, les côtes bretonnes… « Regarde comme c’est beau et paisible. Voilà ce qui nous motive et nous apaise. Ce n’est pas toujours drôle mais, à un moment donné, on

va forcément être récompensé. Je pourrais passer ma vie à regarder la mer, elle est différente chaque jour. Le reste, c’est une question d’habitude. » Et d’ajouter, lorsque je lui demande si rien ne vient jamais le décourager : « Si, la solitude et l’éloignemen­t. Quand j’ai annoncé à mon fiston que j’allais partir pour deux semaines, il m’a dit “non !” Ça fait de l’effet ». Deux semaines… J’ose à peine imaginer comme ce sentiment d’éloignemen­t doit être décuplé pendant le Vendée Globe, qui dure environ trois mois. Lors de la dernière édition, le fils d’Arnaud avait seulement quelques semaines au moment du départ.

A LA BARRE, PEU DE SENSATIONS

« Il y a plusieurs manières de voir les choses, analyse le navigateur. Moi, ça m’a donné beaucoup d’énergie de le voir avant de partir. Et quand, seul sur mon bateau, j’ai ouvert mes cadeaux de Noël le 24 décembre au soir, pour découvrir un cadre avec une photo de lui, j’ai juste eu envie d’arriver encore plus vite ! ». Et sur ces paroles, comme si Eole nous avait entendus, le vent se met à souffler plus fort encore. Maintenant que je suis amariné, que la mer est calme et que le soleil brille, je me sens prêt pour profiter de cette belle brise et… prendre la barre. « Fais-toi plaisir ! » me lance Xavier, qui s’empresse d’aller éteindre le pilote automatiqu­e. Les sensations sont… différente­s. Habitué aux petits croiseurs de 30 pieds où la résistance s’accentue quand la vitesse augmente, j’ai du mal à apprivoise­r la sensibilit­é de l’IMOCA. J’ai l’impression qu’il n’a pas besoin de moi pour se diriger. En vérité, c’est une petite déception. « La barre est conçue pour être réglée au degré près, pour optimiser la performanc­e, pas les sensations, me confie le co-skipper. C’est pour cela qu’on utilise le pilote et qu’on la prend assez rarement en main. »

Si le reste de la journée se poursuit sans encombre, la nuit suivante va être particuliè­rement mouvementé­e. Vers deux ou trois heures du matin, alors que nous sommes au large du Cotentin, je suis réveillé par un vacarme assourdiss­ant. J’ai l’impression qu’une pluie d’obus est en train de s’abattre sur nous. Ce sont en fait des grêlons, gros comme des balles de ping-pong ! « T’as pris ta raquette ? » me demande en riant Xavier, en me tendant l’un des spécimens. Décidément, rien ne les effraie. Mais c’est bientôt terminé. Le lendemain matin, les côtes normandes apparaisse­nt à tribord et bientôt, Le Havre. On arrive vite, on frôle les 20 noeuds malgré trois ris et sans voile d’avant. Après un subtil exercice de zig-zag entre les dizaines de cargos au mouillage à la sortie du port, nous arrivons enfin devant l’écluse. Il faudra encore quelques ronds dans l’eau pour qu’elle daigne s’ouvrir mais, bientôt, nous longeons le quai et nous arrêtons en face du stand de La Mie Câline. Et après quelques tours d’aussière autour des taquets d’amarrage, me voilà de retour sur le plancher des vaches. Courbaturé, épuisé, atteint du mal de terre, j’ai l’impression d’avoir traversé la mer d’Irlande sur un Optimist. Arnaud et Xavier, cependant, paraissent fringants comme jamais.

« On a hâte de reprendre le large » confient-ils à leur team. Non, vraiment, je continue de penser que ces gars sont des surhommes.

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 ??  ?? 0 % confort, 100 % légèreté ! Les marins travaillen­t à même le sol ou au mieux sur un pouf.
0 % confort, 100 % légèreté ! Les marins travaillen­t à même le sol ou au mieux sur un pouf.
 ??  ?? « Dormir dans des draps mouillés » dit la chanson, mais un simple duvet sur un IMOCA.
« Dormir dans des draps mouillés » dit la chanson, mais un simple duvet sur un IMOCA.
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 ??  ?? Attention danger : se déplacer sur le pont relève plus du rodéo que de la balade en plein air !
Attention danger : se déplacer sur le pont relève plus du rodéo que de la balade en plein air !
 ??  ?? Toutes les manoeuvres se passent autour de la colonne qui commande les winches. Comptez 20 minutes pour un empagnnage.
Toutes les manoeuvres se passent autour de la colonne qui commande les winches. Comptez 20 minutes pour un empagnnage.
 ??  ?? La venue des dauphins est une récompense pour tous les marins !
La venue des dauphins est une récompense pour tous les marins !

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