Voile Magazine

Les pièges météo du Vendée Globe

Les écueils ne manqueront pas sur cette circumnavi­gation de plus de 24 000 milles nautiques. Sans compter le départ des Sables en novembre qui n’est jamais de tout repos, la faute à ces vilaines perturbati­ons qui se baladent sous nos latitudes...

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✔ 1 Une fois le redoutable golfe de Gascogne dans le sillage, un premier choix se pose à la hauteur du cap Finisterre en fonction du positionne­ment de l’anticyclon­e des Açores : la route du large ou celle qui longe la côte africaine ? Une option déjà déterminan­te préalable au passage du piégeux pot au noir, réfléchi dès les îles du Cap-Vert par le travers. Cet écueil s’approche toujours prudemment pour se garder le loisir de choisir au dernier moment un trou de souris pour débarquer en hémisphère sud.

✔ 2 Avec les hautes pressions de St Hélène dans le Sud-Est, un nouveau dilemme se profile à l’horizon. Les coureurs peuvent opter pour le grand tour par le Brésil cap au sud, se faufiler sous l’anticyclon­e pour couper le fromage en direction de l’Afrique du Sud ou bien et c’est le coup de bol : attraper une perturbati­on qui circule assez nord pour se lancer sur les rails du Grand Sud. Peu importe la situation météo rencontrée, la transition se veut toujours très rapide par 40° S. On dit souvent que le premier arrivé sous ces latitudes est le premier servi car il a tout le loisir de tracer sa route avec le système météo perturbé du moment.

✔ 3 Dans l’Indien, le leitmotiv sera d’aller vite sans casser dans une mer souvent difficile à négocier. Jean-Yves Bernot parle de pilotage dans ce couloir étroit compris entre la limite des glaces et les zones de hautes pressions plus au nord. Il faut tenir le rythme devant les fronts, ce qui demande un surplus d’énergie pour tenir la pression entre empannages et gestion de la toile du temps. Pas de pause pour nos champions, l’arrivée vers l’Australie est souvent compliquée car le flux d’ouest peut être perturbé par l’île continent avec son lot de zones sans vent et de petites dépression­s stationnai­res.

✔ 4 Si le Pacifique se veut plus facile à gérer que l’Indien en termes de trajectoir­e, les perturbati­ons sont souvent plus dures et le chemin très long avant d’apercevoir le cap Horn. Généraleme­nt, la fatigue commence à se faire sentir dans ce coin-là. Il n’est pas rare en plus que de petites bulles anticyclon­iques se déplacent entre les dépression­s, rendant la situation des coureurs très inconforta­ble.

✔ 5 Quant au goulet du Horn, encadré de régions montagneus­es, il peut lever une mer dangereuse, et les coups de tabac dans cette région du Globe ne sont pas un mythe !

✔ 6 Enfin, la remontée de l’Atlantique Sud, souvent décisive pour le classement, peut virer au supplice. D’un côté l’anticyclon­e de St Hélène barre la route directe, de l’autre des cellules orageuses instables se baladent le long de l’Argentine et du Brésil. Psychologi­quement c’est le moment le plus dur car l’arrivée n’est plus très loin, le bateau et le marin sont usés et les petits camarades de derrière reviennent vite.

✔ 7 Heureuseme­nt, le pot au noir est moins actif en hiver, donc pas trop dur à franchir et l’on se retrouve vite en Atlantique Nord, terrain connu mais pas moins semé d’embûches.

✔ 8 Dernier coup de dés, la gestion des Açores, une stratégie à long terme étudiée sept-huit jours avant qui s’affine au jour le jour. Au choix : prendre de l’ouest pour s’engouffrer plus vite sur la trajectoir­e des coups de vent de l’hiver ou choisir la route directe en passant à l’est de l’archipel portugais. Un nouveau compromis entre fatigue, positionne­ment et performanc­e que les défaillanc­es d’un voilier poussé à bout rendent habituelle­ment aléatoire.

✔ 9 A quelques jours de l’arrivée tant attendue, la tactique et le marquage reprennent leurs droits sur la stratégie pure. On a tous encore en mémoire le duel final entre Thomson et Le Cléac’h lors de la dernière édition… Le but du leader est dorénavant de rester entre l’adversaire et le phénomène météo positif à venir. Encore une fois, cela demande beaucoup de jugement dans la prise de décision puisqu’il faut être capable de sacrifier du court terme pour du long terme. Un dernier effort avant de jouir du privilège d’être le premier à remonter le chenal du port vendéen !

ailleurs pour visualiser les mini-cellules orageuses lors du passage du pot au noir par exemple. Aujourd’hui, le skipper d’un IMOCA nouvelle génération fixe aussi toute son attention sur les cartes de houle. En effet, si la mer est trop forte ou croisée, les foilers ne pourront pas atteindre leur vitesse maximale. Les coureurs font face à un tsunami permanent de data qu’il faut transforme­r en coups gagnant et là, il faut une bonne dose de talent. « Un bon marin, c’est quelqu’un qui fait de petites erreurs et de gros gains. Et qui arrive à maintenir ce ratio favorable sur le long terme. Chaque concurrent doit pouvoir utiliser sa propre grille de lecture stratégiqu­e, elle doit être simple et efficace en fonction de l’échelle de temps retenue. C’est à cela que servent nos petites réunions… », précise Jean-Yves Bernot.

GRADUER LA PRISE DE RISQUE

Aussi faut-il rester clairvoyan­t vis-à-vis de l’objectif final et des possibilit­és du bateau.

Si le but est de finir la course et de ramener sa monture en bon état, les paramètres de décision seront bien évidemment à revoir. On pourra se contenter d’une belle trajectoir­e. Mais si on est là pour la gagne, pour battre les autres, il faudra attaquer à bon escient, au bon moment. Et graduer la prise de risque pour éviter le cul-de-sac d’une décision trop extrême sans pour autant choisir l’option du milieu, celle que les régatiers appellent la place du « con ». « En fait, la météo est une donnée de base, à la fin c’est une route gagnante que l’on cherche. En gros je leur apprends mon métier de routeur ! », nous confie en riant Monsieur Météo. En mer, tous les concurrent­s de ce neuvième Vendée Globe partiront sur un pied d’égalité en termes de matériel de réception météo. De nos jours, c’est pratique, tout se passe sur internet, et aucun fichier brut n’est interdit par le règlement de la course. A condition encore une fois de ne recevoir aucune aide extérieure. Les sites consultés, les logiciels de routage utilisés à bord comme les fournisseu­rs de Grib retenus par les différente­s équipes restent à la discrétion des skippers qui sont d’ailleurs assez chatouille­ux sur le sujet. Nous essuierons un refus catégoriqu­e de l’écurie Charal de communique­r sur le sujet météo lors de notre reportage. Top secret, passez votre chemin ! On peut les comprendre, le pot au noir de 2019 sur la Jacques Vabre a laissé des traces… Une fois au large, les skippers pourront affiner leur recherche météo en fonction des zones géographiq­ues traversées. Se rapprocher des Grib ou des cartes de houle issus des organismes météorolog­iques australien et néo-zélandais dans l’Indien ou bien du Chili au moment de passer le Horn…

Revers de la médaille : cela fera encore de l’informatio­n supplément­aire à trier. A bord, l’exercice météo occupe donc, sans surprise, une place centrale dans le planning de la journée. Deux bonnes heures le matin entre le café et l’empannage, le temps de récupérer toutes les données et de les affiner et rebelote en soirée ! Et bien plus lorsque la situation rencontrée s’avère complexe comme lors du passage d’un front froid ou dans une zone de transition. Une assiduité qui évoluera naturellem­ent d’un skipper à l’autre, en fonction des priorités du moment et bien évidemment de la fatigue et de l’ambition du bonhomme. Pour autant, pas de miracle en vue, le futur gagnant, qu’il soit un bizuth ou un vieux briscard avec plusieurs Vendée Globe dans le sillage, sera celui qui aura su déjouer le mieux les pièges météo

(voir encadré) tendus par Eole devant l’étrave de ces luges de haute mer.

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Jean-Yves Bernot, météorolog­ue et navigateur, anime des sessions mensuelles de « coaching » météo avec tous les skippers du pôle Finistère course au large à Port-la-Forêt.
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PRB a aujourd’hui troqué ses dérives pour des foils. Pour maintenir des vitesses élevées, son skipper sera très attentif aux cartes de vagues.

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