Voile Magazine

Rubi, passeur de passion

- François-Xavier de Crécy

Je n’aime pas beaucoup les pots de départ, avec cacahuètes grasses et verres en plastique. Toi non plus, Rubi, c’est pas ton truc, et c’est peut-être pour ça qu’on n’en a jamais fait! N’empêche, on aurait peut-être dû. Tout le monde serait venu, les collègues, mais aussi la standardis­te et le manut’ avec qui tu discutais toujours un peu en fumant dans la cour. Et puis après la deuxième tournée, avant que les gens ne commencent à se disperser, j’aurais pris mon courage à deux mains et je serais monté sur la table, un peu gauche avec mon petit papier.

Car l’occasion serait trop belle de parler de toi, pour une fois. De raconter un peu le marin toujours caché derrière sa pipe, le journalist­e si curieux des autres que même ses Mémoires ne parlent pas de lui... Oui, le journalist­e, surtout. Bernard Rubinstein, le taulier toujours enthousias­te, jamais blasé, qui s’empare de tous les sujets, sans snobisme, sans hiérarchie, et les explore avec passion. Parce que l’intérêt d’un sujet, c’est justement ce qu’on va gratter, apprendre et transmettr­e. C’est de le rendre intéressan­t, de le rendre accessible si la matière est technique. Tu nous a appris ça : se foutre du prestige – il n’y a pas de mauvais sujet – et s’intéresser aux gens. Bosser dur, et poser sans vergogne les questions les plus innocentes car le béotien, pour peu qu’il soit curieux et méthodique, est toujours le meilleur vulgarisat­eur. Ecrire sans s’écouter écrire. Savoir mettre en images, mettre en scène marins et bateaux en sentant la situation et en improvisan­t d’autant mieux qu’on aura tout préparé. Tu nous as transmis, au fond, tout ce qui a fait de Voile Magazine un journal qui te ressemble.

Et le jour où tu as cédé la barre, tu es resté hors quart, mais toujours disponible et si précieux quand il y avait du tangage dans l’équipe. D’ailleurs, à bien y réfléchir, à l’heure où tu traverses le plus mauvais des grains, tu a passé ta vie à transmettr­e ce que tu as toi-même reçu, que ce soit dans tes livres ou au sein de l’associatio­n Eric Tabarly. « Dinosaure du nautisme » (sic) toujours épris de nouveauté, tu es ce passeur de témoin, ce passeur de passion. A nous de garder le cap, de ne rien lâcher, de continuer à naviguer sur tous les bateaux et par – presque – tous les temps avec cette exigence : n’écrire que des articles qu’on pourrait te donner à relire sans trembler !

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